Culture

Le «syndrome du Titanic»: monsieur Hulot de retour au cinéma

Le film de Nicolas Hulot sort mercredi.

Temps de lecture: 5 minutes

Les aventures du Mr Hulot de Jacques Tati s'achèvent en 1973, l'année de ma naissance. Tati, c'était dans l'esprit d'une gamine — moi — née avec le premier choc pétrolier, les préparatifs et achats annuels pour la rentrée des classes et la virée avec sa mère dans le quartier Barbès à Paris, boulevard Rochechouart... Oui, je suis de cette génération des «X et Y» ou «Baby Bust et Why» de Tati discount», un des symboles du consumérisme, de l'ère des «Trente destructurantes», d'une société qui depuis 1979 entretient un modèle vicié et périmé. Je suis de ceux qui se demandent quand acceptera-t-on de reconnaître que cela fait 30 ans que l'on vit en crise pour enfin imaginer passer à autre chose.

«Je suis une enfant de cette société de consommation»*

De 1949 (Sortie de «Jour de Fête» de Tati) à 2009 (Sortie du «Syndrome du Titanic» de Hulot), en 60 ans, nos choix de développement ont fait plus de dégâts humains et environnementaux que dans toute l'histoire de l'humanité. Je ne pense pas que Jacques Tati aurait trouvé les ressources de nous faire rire face à la crise économique et sociale latente derrière laquelle s'esquisse une autre crise intimement liée à la première qui s'aggrave et s'exprime avec violence. Klauss, Mitch, Katrina ou encore Lothar et Martin ne sont pas des personnages de fictions et de cinéma, ce sont des cyclones et des tempêtes qui se multiplient, tuent des centaines, des milliers de personnes et dont les dégâts coûtent des millions, des milliards d'euros. C'est le dérèglement climatique qui nous promet l'aggravation de la misère dans le monde / pour tout le monde et des flux migratoires de près d'un milliard de personnes.

En 2009, quand Mr Hulot fait son cinéma, c'est presque sans surprise, que celui qui aujourd'hui a un prénom (Nicolas) et qui tente avec d'autres, de sensibiliser, d'alerter et d'accompagner, d'anticiper le changement plutôt que de le subir, ne nous amuse pas. Parce que le monde a changé et que le film de Nicolas Hulot est une invitation à admettre simplement que la croissance et les modèles d'hier sont bel et bien morts et à amplifier l'action vers un autre modèle de société plus solidaire et plus écologiste. Parce que le fantasque Mr Hulot de Tati, lui, n'a pas connu le deuxième choc pétrolier de 1979. Il n'a pas vécu la crise ouverte de la sidérurgie en Lorraine dont le plan de redressement n'évitera pas que la marche des sidérurgistes à Paris tourne à l'émeute...

Il n'a pas vécu les années Thatcher et le développement des idées libérales et monétaristes, ni les promesses socialistes des années 90 actives, technologiques et gaies, les années Tapie et Mitterrand où tout était permis. Il a échappé, 20 ans plus tard, en 1999 à Tony Blair et Gerhard Schröder qui portent une social-démocratie européenne adaptée aux exigences du libéralisme...

« Le modèle économique dominant n'est plus la solution»*

C'est vrai que le «Syndrome du Titanic» nous renvoie une image féroce et barbare de notre société humaine. Mais sa vision est à la mesure de ce système développé, entretenu et inique. Il réaffirme une évidence: les réponses aux crises sociales et écologiques sont plus que jamais indissociables! Avec un peu d'honnêteté, ce n'est pas compliqué de reconnaître que la crise des équilibres du vivant ébranle les équilibres sociaux en pénalisant d'abord les plus démunis, aussi bien dans les pays du Sud que dans les Etats industrialisés et que l'environnement n'est pas qu'une préoccupation de bobos. Ce n'est pas si difficile à comprendre que nous devons répondre à une crise systémique (sociale, économique, financière, énergétique, écologique, climatique...) et que cette crise globale nous oblige raisonnablement à engager des mutations radicales vers un autre modèle économique pour offrir un nouvel horizon de civilisation.

Les solutions pragmatiques, responsables, réalisables pour opérer la transformation existent (depuis le Pacte écologique: le New Green Deal). Nous ne disons pas que cette mutation sera facile mais qu'elle est nécessaire, qu'il est encore temps, que nous avons encore les moyens d'agir et que le génie humain a encore la marge de démontrer ce qu'il comporte de meilleur! Le refus du fatalisme est le moteur de nos actions, le ciment de nos convictions et le sens de notre engagement. Ce projet collectif auquel je crois et pour lequel je me suis engagée, après Alsace Nature et FNE, au sein d'Europe Ecologie, suppose de l'audace et de l'imagination: nous en avons et nous l'utilisons!

«Je ne suis pas née écologiste, je le suis devenue»*

Et le film de Nicolas Hulot, pour moi, invite à l'action et constitue incontestablement une pierre supplémentaire à la construction et à l'acceptation du projet de société qui nous permettra de sortir durablement de la crise globale à laquelle nous devons faire face et dont nous ne sortirons pas sans un volontarisme collectif et politique fort !

Le cinéma de Jacques Tati, qui portait un regard drôle et ironique sur notre société et nous amusait avec nos excès dans «Play Time» ou «Trafic», est bien loin. En 2009, fini le Monsieur Hulot, personnage tendre et amusant, place à un autre Monsieur Hulot, qui porte un regard sensible et grave sur notre société et nous interroge sur d'autres excès. «Le Syndrome du Titanic» sera t-il aussi accessible que les films de Tati? Je le pense, parce qu'il offre à voir et à comprendre, nous renvoie à nos contradictions et nos paradoxes. Il s'adresse de manière personnelle à des personnes conscientes, intelligentes et responsables. Ce que nous sommes tous.

Ma génération ne connaît pas la sécurité de l'emploi, n'a pas connu le monde sans sida, elle est née avec les débuts de l'intérêt du grand public pour l'écologisme qui a évolué au fil des catastrophes et des risques du progrès révélés (Tchernobyl, amiante, Sandoz, Amoco, AZF, etc). Elle a grandi, avec le développement des moyens de communication, dans les contradictions, l'illusion et le virtuel. Elle n'a plus aucune croyance et s'est créée ou s'est vue imposer de nouveaux repères... Et pourtant c'est une génération qui a de l'imagination et cultive l'espoir, un tout autre espoir que celui des «baby boomer» et de leurs héritiers dont l'idéal est le capitalisme et le droit à la possession, ceux qui se demandent depuis 30 ans quand reviendra la croissance.

Ces nostalgiques de l'allégresse de cette période de forte croissance économique des «Trente glorieuses», caractérisée par une croissance forte de la production industrielle, qui n'ont mené aucune réflexion critique des conséquences de ce modèle de développement et ont reporté sur les générations suivantes le coût de leurs choix passés. Bien sûr, il appartient à chacun de nous de prendre de la hauteur et de la distance face à toute chose et tout événement. Mais à quel moment cette distance et cette hauteur de vue deviennent-elles de l'indifférence, du cynisme, du fatalisme ou de l'inconscience?

«Le Syndrome du Titanic» ouvre une fenêtre sur le monde et la société. On peut décider d'ignorer cette réalité. On peut discuter sans fin si une autre manière de présenter cette réalité aurait plus d'impact. On peut s'interroger sur les effets que produira ce film sur chacun d'entre nous et dans nos comportements à venir. On peut encore se dire «bon très bien et après?». Ou encore, on peut rentrer chez soi, reprendre une vie «normale» et espérer le prochain Ushuaia Nature pour se changer les idées...

Je suis ressortie simplement déstabilisée de la projection du film. Parce que celui-ci m'a touchée dans l'intimité de la réflexion qui m'a conduite à être là où je suis aujourd'hui. J'y ai retrouvé des mots, des auteurs, des hommes, des images, des expériences qui ont construit ma réflexion, mon regard sur le monde et m'ont conduite à m'engager.

Sandrine Bélier

Les citations avec * sont tirées ou adaptées du film «Le Syndrome du Titanic».

Image de une: Fjord de Akobshavn, en Norvège. Jacob Strong/Reuters

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