Économie / Monde

La corruption, ce mal qui bride la croissance des pays émergents

Brésil, Chine, Afrique: la corruption dans ces pays est un mal endémique qui explique une bonne part de leur ralentissement économique d'aujourd'hui. Pour s'en sortir, ils devront s'en remettre à la société civile.

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La corruption fait tourner le monde... mais est un frain à la croissance des pays émergents | CHRISTOPHER DOMBRES via Flickr CC License by

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La ville de Mexico doit se doter d’un nouvel aéroport international pour désengorger l’actuel, améliorer la compétitivité du pays et faire de la ville un grand hub régional. Après vingt ans de tergiversations, la décision a été enfin prise d’en confier la réalisation, d’ici à 2020, à un établissement public. Au Mexique, pays de violence, le risque que ce genre d’immense projet accouche d’une corruption généralisée est grand. L’OCDE, qui a fait de la lutte contre la corruption l’une de ses priorités, note qu’étant donné l’importance «vitale» de l’aéroport «une gouvernance efficace, des appels d’offres intègres et une politique de transparence sont des éléments critiques». En clair, derrière les euphémismes de l’Organisation sise au bien nommé château de la Muette, rien de tout ça n’est mis en place.

Chine, Brésil, Afrique du Sud, Inde, Mexique: tous les pays émergents souffrent actuellement d’une série de maux «venus de l’extérieur». La volatilité financière persistante, la faiblesse européenne, la chute des cours du pétrole et des matières premières, la hausse des taux par la Federal Reserve. Mais leurs difficultés économiques actuelles viennent d’abord d’une corruption à tous les étages.

«Corruption tranquille»

La Banque mondiale estime qu’entre 10% et 30% des crédits des grands projets mondiaux sont engloutis dans la corruption. Une transaction sur sept fait l’objet d’un détournement, selon une enquête sur 127 pays. Globalement, les pots-de-vin, la prévarication, les vols, le clientélisme occasionnent une perte de croissance de 3.100 milliards de dollars, soit 5,1% du PIB mondial. Shanta Devarajan, chef économiste pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de cette institution, rappelle que «la corruption tranquille» en Tunisie sous Ben Ali a consisté à monopoliser l’activité du pays au profit de la famille et des amis, ce qui a eu pour conséquence la stagnation de l’emploi, vingt ans durant. Il ajoute que l’État islamique vient en partie de cette délégitimation des gouvernements auprès de la population jeune.

La lutte internationale contre l’argent sale est lente, l’accord de transparence fiscale signé au sein de l’OCDE en novembre montre qu’il y a quand même quelques progrès. L’essentiel devrait venir des pays eux-mêmes. Mais les avancées sont rares, elles butent sur l’entremêlement étroit des intérêts financiers et des intérêts politiques.

La chute des cours des exportations est loin d’expliquer la régression meurtrière au Brésil. L’essentiel est l’incapacité d’une classe politique à lancer les réformes

Le Brésil en donne un exemple parfait. Le pays a connu une décennie de développement remarquable avant de caler et de s’enfoncer dans une récession meurtrière. Le PIB devrait décroître de 2,5% à 3% cette année, l’inflation dépasse 10%, la dette 70%, la note du Brésil est tombée au niveau des «junk bonds» et, avec la remontée des taux, on parle d’un défaut. La chute des cours des exportations est loin d’expliquer cet échec. L’essentiel est l’incapacité d’une classe politique à lancer les réformes et la perte de confiance dont elle fait l’objet après une série invraisemblable de scandales à répétition, parachevée par celui de Petrobras. La firme pétrolière a arrosé une kyrielle d’élus et de ministres, jusque devant le bureau de la présidente Dilma Rousseff.

La Chine est un autre exemple. Le président Xi Jinping a pris en main directement la lutte contre la corruption. Mais ce combat déstabilise complètement les étroits équilibres locaux entre les responsables du Parti communiste et les chefs des entreprises publiques. Ce modèle d’enrichissement a marché depuis trente ans, c’est précisément lui qu’il faut remettre aujourd’hui en cause.

Ce qui est vrai du Brésil et de la Chine, l’est évidemment encore plus en Afrique: la croissance des pays émergents vient choir sur la prévarication des responsables politiques. Les réformateurs, comme Xi Jinping, doivent couper les avantages de leurs propres amis, voire les emprisonner, une tâche pour le moins périlleuse; l’histoire donne maints exemples d’échec.

Moteur d’internet

Il risque de se passer du temps avant que les pays émergents reprennent leur rythme ascensionnel passé. L’économie mondiale qui avait compté sur eux pour prendre le relais des pays avancés en panne de croissance, devra trouver d’autres moteurs.

Il est une solution moderne qui peut accélérer le mouvement: internet. Les réformateurs, dit Daniel Kaufmann, président du Natural Resource Governance Institute, doivent s’appuyer sur la société civile et les citoyens. Ce qui peut aller jusqu’à ôter certaines missions publiques que les administrations pourries sont désormais incapables de mener à bien pour les confier à des organisations privées, des ONG par exemple. Il est déjà plus facile d’exiger d’elles de la transparence.

La nouvelle constitution tunisienne prévoit une ouverture de toutes les données budgétaires, l’accès libre via les smartphones à tous les projets, à toutes les dépenses. À La Paz, en Bolivie, une plateforme a été offerte aux citoyens des quartiers pauvres pour qu’ils envoient des messages de suggestion ou de dénonciation sur des services publics défaillants.

Cette évolution n’est pas forcément qu’anecdotique. Il en est de la lutte contre la corruption comme du réformisme. Compter sur les partis politiques existants pour qu’ils «fassent le ménage» eux-mêmes est une voie sans espoir. Le renouveau politique est une aspiration des populations partout dans le monde, internet les dote d’un outil, d’un «empowerment», d’un pouvoir. Les réformateurs du Sud, comme en vérité du Nord, n’ont guère d’autre choix s’ils veulent briser les avantages et les rentes de leurs amis et avancer. Même la Chine.

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