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La Russie peut-elle trouver la solution au conflit Iran-Arabie saoudite?

Vladimir Poutine se positionne comme intermédiaire entre les deux puissances rivales. Mais a-t-il les moyens pour faire vraiment la différence?

Vladimir Poutine et l'ambassadeur saoudien en Russie en mai 2015 I REUTERS/Sergei Karpukhin
Vladimir Poutine et l'ambassadeur saoudien en Russie en mai 2015 I REUTERS/Sergei Karpukhin

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La Russie a proposé de servir «d’intermédiaire» dans le conflit qui oppose l’Iran et l’Arabie saoudite. Et Moscou n'est pas la plus mal placé pour jouer ce rôle. L’exécution du cheikh chiite Nimr al-Nimr, avec quarante-six autres personnes condamnés pour «terrorisme» par le régime wahhabite, début janvier, a ravivé les tensions entre les deux pays. Depuis la rupture des relations diplomatiques entre le champion sunnite et son rival chiite, toutes les puissances extérieures à la région ont appelé à la «modération». Les États-Unis ont souligné l’importance de «maintenir une implication diplomatique et des discussions directes». L’Union européenne, par la voix de la Haute représentante pour la politique extérieure et de sécurité commune, Federica Mogherini, a fait part de sa «préoccupation», tandis que la France appelait à la «désescalade»

Mais Vladimir Poutine a dans sa manche un atout: il peut parler à tout le monde. La diplomatie française se prévaut du même avantage mais elle a trop misé sur l’Arabie saoudite au cours des dernières années, pour des raisons à la fois stratégiques et commerciales. La visite à Paris du président iranien Hassan Rohani, qui aurait permis de rééquilibrer la politique française dans la péninsule arabo-persique, a été annulée à la suite des attentats du 13 novembre. Elle devrait cependant avoir lieu dans les prochaines semaines.

Une Russie plus interventionniste

Quant aux Américains, ils reprennent lentement leurs relations avec Téhéran, après l’accord sur le programme nucléaire iranien du 14 juillet 2015 sans être encore devenus des interlocuteurs fiables, aux yeux des mollahs. Du côté de l’Arabie saoudite, Washington a perdu une partie de son influence traditionnelle en cherchant à se rapprocher de l’Iran et en soutenant, au moment des printemps arabes, des mouvements hostiles à Riyad.

Après avoir livré des armes et envoyé sur place des «conseillers» à Bachar el-Assad, la Russie est passée, depuis l’automne dernier, à des bombardements massifs

L’engagement croissant de la Russie au Moyen-Orient est une illustration d’une des lignes directrices de sa politique étrangère énoncée dans le nouveau «document sur la stratégie de sécurité nationale de la Fédération de Russie» que le président Poutine a signé le 31 décembre: jouer un rôle de plus en plus important sur la scène internationale. Un des moyens utilisés par le Kremlin a été une intervention de plus en plus massive dans la guerre civile en Syrie qui dure depuis 2011 et a fait plus de 250.000 morts. Après avoir soutenu par des livraisons d’armes et la présence sur place de «conseillers» Bachar el-Assad, la Russie est passée, depuis l’automne dernier, à des bombardements massifs contre les groupes d’opposants au régime de Damas, et subsidiairement contre les positions de l’État islamique. Sur le terrain, la Russie se retrouve l’alliée de l’Iran qui soutient lui aussi Bachar el-Assad par une présence militaire directe et indirecte par l’intermédiaire de son bras armé libanais, le Hezbollah.

Moscou ménage Riyad

Toutefois, Vladimir Poutine a pris grand soin, tout en s’alliant à l’Iran, de ne pas se couper du royaume saoudien. À l’automne, il a reçu à Sotchi le ministre de la défense, le vice-prince héritier Mohammed Ben Salmane, qui semble être l’homme fort de régime, à l’origine de l’intervention saoudienne au Yémen contre la rébellion houthiste soutenue par Téhéran. La Russie et l’Arabie ont des relations conflictuelles à la fois à propos de la Syrie où Riyad veut la chute d’Assad et dans le domaine énergétique. La volonté de l’Arabie saoudite de faire baisser les prix du pétrole va à l’encontre des intérêts de la Russie qui a de plus en plus de mal à boucler son budget avec un baril à 30 dollars. Des déclarations belliqueuses à l’encontre de Riyad, notamment dans les médias russes, ne prouvent pas que le Kremlin ignore le rapport des forces dans la région.

La rupture des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite, vite imitée par ses alliés du Golfe, et l’Iran, après l’incendie et le sac partiel de l’ambassade wahhabite à Téhéran après l’exécution de l’imam Nimr al-Nimr, n’est qu’un épisode de la rivalité traditionnelle entre les deux puissances du Golfe. L’Iran se présente comme le représentant de tous les chiites tandis que l’Arabie se veut la gardienne de la foi sunnite. La tension entre les deux pays était montée au moment du dernier pèlerinage de La Mecque où plus de 2.000 personnes, dont 450 Iraniens, avaient été tuées dans un mouvement de foule. Téhéran avait accusé Riyad de ne pas avoir veillé à la sécurité de ses pèlerins.

Priorité au conflit syrien

Mais les deux pays se livrent surtout une guerre par procuration en Syrie où ils soutiennent des groupes rivaux et où ils s’accusent mutuellement de favoriser le terrorisme. C’est aussi pour contrer un élargissement de l’influence iranienne dans la péninsule que l’Arabie saoudite, à la tête d’une coalition arabe, bombarde au Yémen la rébellion houthiste de confession zaïdite (une branche du chiisme), faisant des milliers de victimes dans la population civile. La lutte commune contre Daech aurait pu les rapprocher si leur hostilité à l’État islamique n’était pas entachée, de part et d’autre, de nombreuses ambiguïtés. Les observateurs remarquent par exemple que les bombardements saoudiens sont plus intenses au Yémen qu’en Syrie.

Personne n’a intérêt à ce que la guerre par procuration entre l’Iran et l’Arabie saoudite dégénère en conflit ouvert

Personne n’a intérêt à ce que la guerre par procuration entre l’Iran et l’Arabie saoudite dégénère en conflit ouvert. La Russie, moins que quiconque, qui a engrangé un succès diplomatique avec la résolution 2554 du Conseil de sécurité de l’Onu qui prévoit une feuille de route pour la solution de la guerre en Syrie en laissant ouvert le sort de Bachar el-Assad. Cette résolution faisait suite à deux réunions à Vienne où les représentants de Riyad et de Téhéran avaient accepté de s’assoir à la même table.

Les premières négociations devaient commencer à la fin du mois de janvier. La représentation de l’opposition syrienne est plus que jamais en suspens après la mort de Zahrane Allouche, chef de la milice islamiste Jaich al-Islam, puissante dans la région de Damas, qui avait accepté de participer aux pourparlers. Zahrane Allouche a été tué dans un bombardement des forces du régime ou de l’aviation russe. Quoi qu’il en soit, Moscou a pris le risque de compromettre le début des négociations en affaiblissant l’opposition pour renforcer la position du régime syrien. Vladimir Poutine n’est-il pas trop engagé pour jouer les honnêtes courtiers alors que la tension Riyad-Téhéran menace d’étendre l’incendie?

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