Culture

«Beijing Stories», mélodies en sous-sol

Pour son premier film, Pengfei explore les dessous du miracle économique chinois tout en faisant œuvre de fiction. Une belle révélation.

© Urban Distribution
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Temps de lecture: 2 minutes

Le symbole est presque trop évident. À Pékin, des centaines de milliers de personnes vivent dans les sous-sols des immeubles, anciennes galeries anti-atomiques, caves ou aménagements sauvages. Cette face cachée du sidérant boom économique chinois des quinze dernières années aurait pu suffire à constituer la trame d’une chronique de la misère urbaine de masse à l’ère de l’explosion économique. Mais pour son premier film, Pengfei réussit à jouer des ressources dramatiques et métaphoriques de la situation, sans s’y laisser en fermer.


Construisant une intrigue tissée par trois personnages principaux, le réalisateur raconte de manière attentive la situation tout en laissant se déployer les ressources de la fiction, et les émotions que suscitent les protagonistes. Aux côtés du jeune ouvrier, brocanteur à ses heures, et de la jeune femme qui gagne sa vie en s’exhibant dans un bar de pole dance, voisins de sous-sol, comme en compagnie du couple plus aisé qui refuse d’évacuer sa maison expulsée pour cause de promotion urbaine galopante, Beijing Stories se révèle surtout d’une attention délicate aux êtres et aux choses, aux gestes et aux parts d’ombre de chacun.

Romance en sous-sol

On peut y reconnaître l’influence de Tsai Ming-liang, dont Peifei a été l’assistant, même si la tonalité est finalement moins sombre que chez le grand cinéaste taïwanais, quand bien les situations évoquées n’ont vraiment rien de réjouissant. L’humour et l’empathie affectueuse pour les personnages, jusque dans leurs limites, leurs erreurs, voire leur ridicule, et une grande élégance dans la manière de filmer, élaborent toute l’épaisseur sensible de ce terrible constat au pays des immigrants (intérieurs) noyés comme des rats dans les sous-sols de la nouvelle classe moyenne, et de l’éviction brutale des habitants pour satisfaire les appétits d’entrepreneurs voraces et de fonctionnaires corrompus.

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Beijing Stories n’élude en rien ces réalités, et apporte ainsi une nouvelle contribution de grande qualité à cette prise en charge par le cinéma chinois contemporain des effets les plus sombres de l’évolution du pays, terreau sur lequel continuent de s’affirmer des jeunes réalisateurs. L’ébauche d’une romance en sous-sol, les ressorts d’une comédie ou l’embryon d’un polar se fondent comme naturellement pour nourrir la plénitude du film. Les trajectoires en pointillés des trois protagonistes, et la manière dont elles se croiseront, dessinent ensemble une carte à la fois romanesque, réaliste et imaginaire.

Une fiction ambitieuse

Cette dernière dimension, seulement suggérée par le film mais finalement essentielle, le nourrit de deux manières qui se renforcent l’une l’autre. Elle concerne la relation décisive des Chinois à la terre (à la fois au sol, au monde concret, par opposition au «ciel») et à un terroir précis, au lieu de leur origine, là où sont enterrés les ancêtres. Les habitants des sous-sols sont des personnes déplacées, loin de leur région d’origines, et c’est eux qui sont enterrés, qui vivent sous un sol qui n’est pas «le leur»: situation tout aussi tragique que la dureté des conditions de vie matérielles, et l’humiliation de devoir cacher à l’extérieur où on habite.

Mais le film, très ambitieux sous son apparence modeste, mobilise encore le rapport complexe au destin, rapport ni volontariste et sentimental comme le promeut l’Occident, ni simplement fataliste au sens d’une soumission à l’ordre des choses comme on le croit souvent, mais invention courageuse, stratégique, difficile, de réagencements praticables des éléments réels auxquels on est confronté. À ce titre, et cela non plus n’est pas rien, c’est finalement le personnage de la jeune fille qui devient le plus central et, sans aucune mièvrerie, le plus passionnant.

Beijing Stories

de Pengfei, avec Ying Ze, Luo Wen-jie, Zhao Fu-yu. 

Durée: 1h15. Sortie le 6 janvier.

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