Politique / France

La Poste est déjà dans un univers concurrentiel

Le débat autour de l'avenir de La Poste continue.

Temps de lecture: 3 minutes

Eric Le Boucher répond à vos nombreux commentaires sur son article autour de l'avenir de La Poste.

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Merci à tous les internautes que mon article a réjouis. Très sympa de faire des commentaires sur Slate. Je suis toujours touché des compliments, on ne se refait pas.

Je voudrais répondre aux autres qui, je crois, avancent deux arguments principaux: 1) le changement de statut est la première étape, il porte en lui-même une privatisation de La Poste (Winman, Interesting Times...); 2) le «privé» ne fait pas mieux que le «public», le libéralisme a montré au contraire qu'il déshumanisait les secteurs qu'il gagnait (Realworld, Esteve, Marfel...).

Point 1): je suis d'accord avec vous! Dans mon article j'essaie de décrire ce qu'est devenue La Poste qui est loin, très loin de ce qu'imaginent les gens qui ont voté «non» à la votation. La Poste est déjà une entreprise plongée dans le cruel monde concurrentiel. La Poste n'est plus du tout la somme de ses bureaux de poste, c'est une tout autre institution, je vais y revenir. Mais je n'ai pas abordé dans mon papier le mic-mac du gouvernement dans cette histoire qui est, en effet, une duperie.

Il y a deux ans le changement de statut en Société Anonyme devait s'accompagner d'une mise en bourse minoritaire et d'une distribution d'actions au personnel. Objectif: obtenir les 3 milliards nécessaires pour investir que l'Etat impécunieux n'a plus en caisse. Rendre les salariés actionnaires était un petit coup de social-libéralisme au passage, ou si l'on veut être méchant, une façon de les «acheter» pour leur faire avaler la pilule de la privatisation. Puis la crise financière est arrivée et avec elle, les milliards distribués aux banques. Il est apparu difficile de plaider que l'Etat n'avait plus les moyens. En outre, la contestation commençait à monter, avec la crainte des élus de voir supprimer les bureaux de poste de leur circonscription.

Conséquence, le projet s'est transformé: on change le statut mais c'est l'Etat et la Caisse des dépôts qui vont apporter l'argent. Mais alors à quoi sert de changer le statut en Société anonyme? A quoi, sinon à préparer l'étape d'après? La suspicion est légitime parce qu'elle découle de la contradiction du projet de loi, le gouvernement a reculé sur la privatisation boursière pas sur le statut qui allait avec.

Je profite de cette réponse aux internautes pour dire qu'après cette votation, je crains le pire: on risque maintenant de voir le gouvernement reculer à nouveau qui, pour ne pas perdre la face sur le statut, va céder sur la modernisation, va promettre de garder les bureaux de postes etc. Bref, on aura figé La Poste.

J'en viens au point 2), la question du libéralisme. A mon avis, poser l'avenir de la Poste en termes idéologiques (le privé est meilleur que le public ou le contraire) est faire fausse route. D'abord parce que c'est trop tard, les directives sont passées et La Poste est déjà dans l'univers concurrentiel. Veut-on alors refuser la directive européenne? Je crois que cette politique ne mènerait qu'à se faire condamner à obéir par les instances communautaires. Doit-on aller plus loin et quitter l'Europe pour La Poste? Certains ont voté «non» dans ce but, bien entendu. Je ne crois pas que cela vaille le coup.

Surtout, de quel «service public» parle-t-on? D'un mythe. C'est tout l'objet de mon article que d'inviter le lecteur à regarder la réalité de La Poste en face. Il «découvrira» que le courrier personnel est en voie de disparition. Nous écrivons de moins en moins. Pour survivre la Poste doit investir dans son avenir: le courrier d'entreprises et l'internationalisation. A l'heure d'Internet, qui imagine encore que La Poste peut vivre sur ce secteur en déclin des lettres des Français, des mandats et même de la banque postale avec 11 000 bureaux? Un service public postal doit subsister, sous une forme efficace et peu coûteuse (les points de contacts sont une solution). Mais c'est une petite partie de La Poste.

Si on veut que ce service public subsiste, il y a deux solutions. Soit on le sépare de La Poste et on crée une entreprise publique à part à un coût payé par le contribuable (plusieurs milliards). C'est sans doute ce à quoi rêvent beaucoup des 2 millions de Français qui ont voté «non». Mais combien de temps accepteront-ils de payer pour des usagers de moins en moins nombreux, pour, en campagne, des bureaux de postes vides? Soit on le laisse intégré au sein de La Poste mais, alors, on ne la ralentit pas dans sa modernisation. Sinon on perdra sur les deux tableaux et on aura ni l'opérateur moderne, ni les moyens de financer ce qui doit rester du service public.

Eric Le Boucher

Image de Une: Une urne de la votation sur la privatisation de La Poste, REUTERS/Eric Gaillard

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