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Tiger Woods, un champion en quarantaine

À 40 ans, celui qui a été pour son sport l’équivalent d’un Pelé ou d’un Jordan ne cesse de voir son jeu se dégrader. Pire: il ne semble plus y croire lui-même.

Tiger Woods au British Open à Saint-Andrews, le 17 juillet 2015. REUTERS/Russell Cheyne.
Tiger Woods au British Open à Saint-Andrews, le 17 juillet 2015. REUTERS/Russell Cheyne.

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Ce 30 décembre, Tiger Woods fête ses 40 ans. L’anniversaire d’un champion n’est pas a priori un événement en soi, sauf que celui-ci paraît faire basculer l’un des sportifs les plus emblématiques de l’époque de l’«autre côté», dans une sorte d’«au-delà» d’où il serait impossible pour lui de revenir. Depuis au moins un mois, les médias américains n’ont pas cessé, en effet, de célébrer ce milestone par anticipation en retraçant la saga du golfeur américain et en tentant d’imaginer pour lui quelques (rares) perspectives. C’est comme s’il était déjà l’heure de faire le bilan définitif d’une extraordinaire carrière qui n’aurait plus rien à espérer de l’avenir.

Aujourd’hui, Woods figure au 416e rang de la hiérarchie internationale. Ce classement ne veut rien dire en ce qui le concerne. Plus que l’accumulation de contre-performances, il reflète surtout ses mois d’absence dues à des blessures. Opéré quatre fois au genou gauche au fil de son aventure professionnelle, Woods a surtout connu, depuis mars 2014, trois interventions chirurgicales au dos, les deux dernières ayant eu lieu en septembre et en octobre 2015. Son corps a fini par carrément l’abandonner et il n’est pas certain qu’il ait envie de reprendre du service. Peut-on revenir à son meilleur niveau pour essayer de gagner un tournoi majeur après trois procédures aussi sérieuses et aussi rapprochées? La réponse semble être contenue dans la question, d’autant que Woods ne sait pas à ce jour quand il sera possible pour lui de reprendre le chemin de la compétition et si tout simplement cette hypothèse est même seulement envisageable.

Dans une passionnante interview à Time Magazine parue voilà quelques jours, il n’a pas fait mystère de ses difficultés du moment:

«Je marche dix minutes sur la plage. C’est tout. Puis je reviens à la maison pour m’étendre sur un canapé ou sur un lit. […] Je ne peux pas me rappeler la dernière fois que j’ai regardé du golf à la télé. C’est juste insupportable pour moi.»

De manière très précise pour quelqu’un habituellement d’aussi secret, il a même raconté les circonstances du déclenchement de cette blessure:

«Je n’oublierai jamais le jour où je me suis vraiment blessé au dos. J’étais en train de m’entraîner derrière la maison, je réalisais quelques sorties de bunker et d’un coup j’ai senti une douleur dans le nerf. Je suis tombé au sol. Je n’avais pas mon téléphone, j’étais étendu dehors sur le sol, je ne pouvais appeler personne et encore moins bouger. Et, Dieu merci, ma fille, qui est bien la fille de son père, adore être dehors. Elle est sortie et m’a dit: "Papa, pourquoi tu es allongé par terre? C’est encore ton dos?’" Je lui ai répondu que ça n’allait pas très fort et qu’elle devait aller chercher quelqu’un à l’intérieur pour m’aider.»

Le record de Nicklaus semble inatteignable

Voilà presque huit ans que Tiger Woods n’a plus remporté le moindre tournoi majeur et il est difficile, à ce stade, de croire qu’il pourra faire évoluer son total de victoires en Grand Chelem, bloqué à quatorze depuis juin 2008, à une époque où il n’avait que 32 ans et où rien ne paraissait devoir l’arrêter. Il est donc peu vraisemblable d’imaginer qu’il sera en mesure de menacer le record de Jack Nicklaus, vainqueur de 18 titres majeurs, le 18e et dernier ayant été conquis à l’âge de 46 ans, ce qui laisse tout de même un très mince filet d’espoir à Tiger Woods.

En réalité, il est plus raisonnable de penser que Woods est fini, raison pour laquelle un cortège de bougies funèbres décore son gâteau d’anniversaire. Woods s’est anéanti lui-même dans sa fréquentation trop assidue des salles de musculation où, obsédé par ce désir d’un corps toujours plus puissant, il a brisé la belle mécanique de son swing en abîmant un corps lassé par ces charges harassantes de travail. Il a commis une erreur fatale en privilégiant la force à la souplesse et à la vitesse de son corps.

En 2015, alors qu’il n’avait pas encore tiré un trait provisoire sur la compétition (son dernier tournoi date du mois d’août), ses résultats ont bien souligné qu’il n’était plus le joueur qu’il avait été, mais qu’il n’avait pas l’air non plus de savoir quel joueur il était devenu à force de se chercher un nouveau swing adaptable à ses nouvelles limites physiques. Lors de trois des quatre tournois majeurs qu’il a disputés, il a échoué au stade du cut –un fait inédit pour lui– en adoptant à chaque fois une méthode Coué pour commenter ses médiocres prestations, résumable par «je vais dans la bonne direction».

Au début de l’année, son petit jeu était atroce puis c’est son grand jeu qui s’est déréglé jusqu’à la détérioration finale de son putting. Celui qui avait remporté quatre tournois du Grand Chelem en succession entre 2000 et 2001, qui avait figuré à la première place mondiale pendant 623 semaines, qui avait remporté au moins cinq épreuves chaque saison sur une période de dix ans, qui avait disputé 142 tournois consécutifs sans manquer un seul cut, n’était plus que la vague ombre de la machine à gagner qu’il fut.

Une manière de communiquer transformée

Parmi les preuves qui montrent que Woods n’y croit peut-être plus lui-même, il y a justement la transformation de sa manière de communiquer depuis ses deux dernières opérations. La longue interview donnée à Time Magazine est révélatrice de ce point de vue. Le golfeur s’est toujours protégé en minimisant ses apparitions médiatiques en dehors de ses obligations liées à ses compétitions et cette confession, qui lui ressemble si peu, est un moment de vérité unique qui montre à quel point ses digues personnelles ont sauté. Il s’est humanisé, comme si l’armure qui le protégeait et le rendait invincible avait fini par se fendre pour le laisser sans défense. Dans cet entretien, il s’est même autorisé à évoquer ses problèmes conjugaux survenus en 2009.      

Woods est un champion qui a marqué et révolutionné sa discipline, mais aussi le sport en général. Avant lui, Pelé, Björn Borg, Michael Jordan, dans leurs sports respectifs, ont été des pionniers qui ont changé la donne à la fois sur le plan de l’image et de l’économie. Les uns et les autres ont connu des fortunes diverses au moment de faire leurs adieux à la scène, sans que leur héritage soit remis en cause, au-delà parfois d’un petit goût amer d’inachevé. «Tous ceux qui ont déjà eu des blessures et à qui j’ai parlé de ce sujet m’ont répondu la même chose, qu’on ne sait jamais, a philosophé Tiger Woods dans Time Magazine. Le plus important reste ma vie avec mes enfants, c’est bien plus précieux que le golf. Je viens juste de le réaliser.» Il continue néanmoins d’y croire en dépit des spéculations le concernant à 40 ans. «Premièrement, il ne faut pas y prêter attention, a-t-il avoué. Deuxièmement, dans le monde tel qu’il existe aujourd’hui, j’évite d’aller sur le net.»

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