Santé

Être heureuse ne fait pas vivre plus longtemps (et inversement)

Une vaste étude britannique publiée dans The Lancet met à mal une idée très répandue sur les liens pouvant exister la joie de vivre et la mortalité. Décryptage.

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Joyeux anniversaire, grand-mère | Giny via Flickr CC License by

Temps de lecture: 3 minutes

Surprise dans The Lancet: l’hebdomadaire médical britannique s’intéresse au bonheur (hapiness); au bonheur dans ses rapport avec l’espérance de vie. C’est un travail à haut risque qui n’est pas sans flirter avec le syllogisme. Une mauvaise santé n’incline pas au bonheur; la tristesse et la mauvaise santé ne sont pas synonyme d’espérance de vie élevée; donc le bonheur est un gage de longue vie. Mais il semble bien que cela soit plus compliqué, du moins chez les femmes anglaises et écossaises entamant la seconde partie de leur vie.

Codirigée par le célèbre épidémiologistes Sir Richard Peto (université d'Oxford) et datée du 9 décembre, la publication du Lancet est le fruit d’un vaste travail mené auprès de 720.000 femmes âgées en moyenne de 59 ans et incluses dans la «Million Women Study». Il s’agit là d’une cohorte de femmes recrutées volontairement entre 1996 et 2001 et qui sont suivies jusqu’à leur décès. Les causes de mortalité peuvent ainsi être croisées avec de nombreux paramètres, biologiques, médicaux, socio-économiques ou psychologiques.

Plus de 700.000 femmes interrogées

Trois ans après leur recrutement ces femmes ont répondu à un questionnaire de référence dans lequel elles auto-évaluaient leur état de santé, leur qualité de vie, leur état de stress, de maîtrise d’elle-même, de sensations positives, etc. –autant d’éléments qui permettaient aux chercheurs de quantifier leur degré de «bonheur». Sur cette base, les auteurs de la publication se sont intéressés aux causes des morts survenues avant le 1er janvier 2012: infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, bronchopneumopathie chronique obstructive, affections cancéreuses etc.).

39% ont déclaré être heureuses la plupart du temps; 44% généralement heureuses, et 17% malheureuses

Une grosse partie du travail a consisté à éliminer les facteurs de confusion et à cerner au mieux, ici, les liens les plus solides entre les taux de mortalité et les réponses aux questionnaires concernant le degré de sensation d’être (plus ou moins) heureux ou malheureux. Au départ sur les 719.671 femmes interrogées (âges compris entre 55 et 63 ans) 39% ont déclaré être heureuses la plupart du temps; 44% généralement heureuses, et 17% malheureuses. 

«Le malheur ne vous rend pas malade»

Durant les dix années de suivi de l’étude, 4% des participantes (soit 31.531 femmes) sont mortes. Une première évaluation avait laissé penser à un lien entre un mauvais état de santé et des réponses de type dépressif. Toutefois, après une meilleure prise en compte des données médicales (incluant les traitements de l'hypertension artérielle, du diabète, de l'asthme, de l’arthrose, de la dépression ou de l'anxiété) ainsi que des éléments du mode de vie (incluant le tabagisme, la vie solitaire, l’absence d’exercice et l'indice de masse corporelle), les conclusions initiales ont été inversées. 

C’est ainsi que les auteurs du Lancet parviennent à la conclusion que contrairement à une opinion très répandue le bonheur n’a pas d’effet direct sur la mortalité. Selon eux, les travaux précédents ayant établi que l’état de stress et l’absence de sensations positives étaient corrélés à des problèmes de santé étaient victimes de biais ôtant toute valeur à leurs conclusions. «La maladie vous rend malheureux, mais le malheur lui-même ne vous rend pas malade. Nous avons trouvé aucun effet direct du malheur ou du stress sur la mortalité, et ce dans une étude de dix ans d'un million de femmes», résume le Dr Bette Liu (university of New South Wales, Sydney), principal auteure de ce travail. 

Bien évidemment, les gens qui sont malades ont tendance à être plus malheureux

Sir Richar Peto

Et chez les hommes alors?

Une conclusion que Sir Richard Peto formule en des termes voisins: 

«Beaucoup de gens pensent encore que le stress ou le malheur peuvent directement causer la maladie, mais ils confondent, tout simplement, l’effet et la cause. Bien évidemment, les gens qui sont malades ont tendance à être plus malheureux que ceux qui vont bien, mais notre travail établi que le bonheur et le malheur n’ont, eux, pas d'effet direct sur les taux de mortalité.»

The Lancet a demandé à deux chercheurs français de commenter ce travail, le Dr Philipe de Souto Barreto et le Pr Yves Rolland (Institut du vieillissement, CHU de Toulouse): 

«C’est là un travail remarquable par l’ampleur des données recueillies et la rigueur des analyses, a expliqua à Slate.fr le Dr de Souto Barreto. Pour autant rien ne permet de trop extrapoler. Les conclusions obtenues ne valent que pour les femmes de cette tranche d’âge vivant en Angleterre et en Écosse. Rien ne permet, notamment, de penser qu’elles s’appliquent aux hommes. Or, nous savons, grâce à d’autres études, que les déterminants du bonheur chez les hommes peuvent être assez différents de ceux des femmes.»

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