France

Au Pontet, chez Marion Maréchal-Le Pen: «Sarkozy a menti. Sarkozy a trahi. Il n'a que ce qu'il mérite»

Largement en tête au soir du premier tour, Marion Maréchal-Le Pen a qualifié le score du FN d'«historique». Là où elle avait lancé sa campagne il y a quatre mois, ses militants ont fait la fête en rêvant de détrôner la droite en région Provence-Alpes-Côte-d'Azur.

Au Pontet, le dimanche 6 décembre 2015 BORIS HORVAT / AFP
Au Pontet, le dimanche 6 décembre 2015 BORIS HORVAT / AFP

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Le Pontet (Vaucluse)

Peu après 20h30, Marion Le Pen fait son entrée dans la grande salle du gymnase Fargues, au Pontet (Vaucluse), où l'attendent plus de 300 militants chauffés à blanc. Elle fonce d'un pas sec devant les caméras de TF1, enfile une oreillette, s'emmêle un peu les cheveux. Et fatalement, elle finit par s'irriter de ce micro qui ne fonctionne pas correctement. Finalement, elle choisira de s'isoler dans une pièce en coulisses pour répondre aux questions de Gilles Bouleau, en direct, avant de retourner avec son staff de campagne pour discuter, déjà, du second tour qui aura lieu dimanche prochain. 

À cette heure-ci, c'est la seule fausse note de la soirée qui a vu la liste FN emmenée par la nièce de Jean-Marie Le Pen tutoyer des scores «historiques», selon les propres mots de la députée de Vaucluse. Des scores qui ont littéralement enfoncé Christian Estrosi, qui accusait le coup dans la soirée, relégué à près de 15 points derrière sa rivale (40,55 % contre 26,48%). «C'est très dur à vivre mais on se bat», confiait-on au même moment dans le staff d'Estrosi, livide lorsqu'il commente les résultats depuis son QG marseillais. «Pour nous au moins, c'est simple, il n'y aura pas de séance casse-tête dans les prochains jours», relativise-t-on du côté FN, où l'on se prépare à fêter la victoire dans cette ville symbole de 17.000 habitants, au nord-est d'Avignon, conquise vaillament par Joris Hébrard aux dernières municipales. 

«On est chez nous»

À cet instant, la liste PS laisse planer le doute sur un éventuel désistement: «Une triangulaire, ce serait le scénario rêvé», jure un proche de Marion Le Pen. Les socialistes, eux, pensent déjà à leur nuit blanche: un sondage donne le total gauche devant Estrosi, ce qui impliquerait qu'ils se maintiennent. Toute la soirée, le débat sera houleux entre ceux qui acceptent de se retirer et ceux qui veulent continuer à ferrailler. Finalement, peu après 23 heures, Christophe Castaner, tête de liste PS, qui cumule 16,59% des voix, annoncera son retrait pour faire barrage au Front national, comme l'a exigé le premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis. «Les électeurs de gauche ne leur pardonneront jamais d'avoir fait ça», croit savoir Franck Allisio, porte-parole de Marion Le Pen et fraîchement débarqué des Républicains. 

En duel face à Estrosi, nous pouvons gagner, car le total gauche est à peu près égal au score de la droite

Ce soir, le bonhomme de 35 ans, fine barbe, lunettes sur le nez et léger accent chantant, est l'un des symboles de ce Front national qui mord dans l'électorat de la droite traditionnel. «De toute façon, en duel face à Estrosi, nous pouvons gagner, car le total gauche est à peu près égal au score de la droite. Les électeurs de gauche resteront chez eux.»

Sur le pupitre où s'exprime Marion Le Pen, le FN annonce la couleur: «Nous sommes prêts». Le slogan sera repris en chœur par les militants, qui l'agrémentent parfois d'un «On est chez nous», clamé du fond de la gorge. Dès 19 heures, les cadres du FN, eux, avaient bien du mal à cacher leur joie. Le champagne «Empire» était au frais et la pissaladière encore au four. Frédéric Boccaletti, secrétaire fédéral FN du Var et directeur de campagne de Marion Le Pen, est tout sourire et répète: «Ce soir, ça va très très bien.» Dans certains endroits, la liste FN a fait près de 60%. Mais les sympathisants tardent à arriver des quatre coins du département: «Il faut dire que certains maires jouent les prolongations pendant le dépouillement», regrette Rémi Rayé, assistant parlementaire de Marion Le Pen dans la circonscription.

«Alors, je te l'avais bien dit»

Autour de la salle, cinq policiers font des rondes, accompagné d'un chien renifleur. Quant aux pompiers qui sécurisent aussi les lieux, ils tapent dans le dos des militants qui commencent alors à affluer: «Alors, je te l'avais bien dit», fait l'un d'eux, tatouage tribal sur le bras, qui menace de virer des journalistes lorsque Marion Le Pen fait son entrée dans la salle et provoque une cohue sans nom. 

Sur une table, trois jeunes adhérents du Front national, 21, 23 et 28 ans, font défiler leur timeline sur Twitter en regardant les premières estimations. Antoine Baudino, qui travaille avec Frédéric Boccaletti dans l'équipe de campagne, ironise sur le score de Christian Estrosi: «C'est une torgnole pour lui. Après, on s'y attendait, car la dynamique était de notre côté. On grimpait déjà avant les attentats. Au final, la mobilisation des électeurs de gauche n'a pas eu lieu.» Ici, le vote FN est protéiforme, mais il tient en deux mots : assistanat et immigration. Le discours est décomplexé même s'il est dit sur un ton policé: «Ça vous dérange pas de payer des impôts qui ne servent à rien?», demande un militant, la cinquantaine grisonnante. «Il suffit de rentrer en France avec une carte de séjour pour tout avoir: médecine gratuite, etc. C'est humiliant pour les Français.»

«On jubile intérieurement»

Assis sur une des tables dressées pour l'occasion et nappée d'un tissu bleu blanc rouge, Raphaël Michel, 46 ans, magasinier, invite ses collègues à s'asseoir pour boire un pot: «On jubile intérieurement», sourit-il, alors qu'il vient de terminer le dépouillement dans sa commune de Morières-lès-Avignon, 8.000 habitants, qui a voté à 47% pour la liste FN. «Sur ma commune, on fait construire des logements sociaux qui n'ont rien à voir avec notre identité. Le pire, c'est que ces gens ne viennent même pas voter. Ici, c'est l'anarchie», ponctue celui qui milite au Front depuis quinze ans.

Sur ma commune, on fait construire des logements sociaux qui n'ont rien à voir avec notre identité. Le pire, c'est que ces gens ne viennent même pas voter

Parmi eux, beaucoup étaient encore à l'UMP il y a un an, voire même six mois. «Sarkozy a menti. Sarkozy a trahi. Il n'a que ce qu'il mérite», lance une dame, qui siffle Christian Estrosi qui apparaît sur l'écran géant au milieu de la salle. Le vote FN, qu'on présente souvent comme contestataire, prend les allures d'un vote d'adhésion. «Il y a une réelle adhésion aux idées, plaide Rémi Rayé. Marion a su se montrer crédible, elle a rencontré des milieux institutionnels, des patrons.»

«Nos compatriotes n'ont pas peur»

Dans le sud, on veut voir Marion Le Pen gouverner, malgré son jeune âge, malgré son manque d'expérience. Silence de cathédrale. «Marion, on t'aime!» La jeune femme, qui fêtera ses 26 ans dans l'entre-deux-tours, parle au pupitre et remercie ses troupes: «C’est un succès immense. Ce soir, le vieux monde des politiciens est mort, leur logiciel méprisant et leurs leçons de morale aussi. Ils n’ont pas réussi à camoufler leurs échecs et leurs compromissions. Ce jour, c’est bien la République qui leur a donné une leçon. Rien n’est encore acquis.» «On est chez nous! On est chez nous!», hurlent les militants. «Nos compatriotes n'ont pas pas peur. Ils n'ont pas choisi les rentiers du système.» Le piège de Provence-Alpes-Côte-d'Azur semble s'être refermée sur les électeurs. Côté face, le FN gagne. Côté pile, il gagne aussi, car l'«immense risque FN» invoqué par le candidat socialiste Christophe Castaner ne provoque guère de réactions dans l'électorat sudiste. Et surtout, une victoire dans le cadre d'un duel démontrerait que le front républicain et le plafond de verre du FN n'ont plus lieu d'être. Un tournant, certainement.

Que faudra-t-il à ces électeurs pour qu'ils se réveillent? Un bilan catastrophique d'une région aux mains du FN, comme celui qu'avaient laissé les maires frontistes de Vitrolles, Toulon ou Orange? Orange, tiens, où Jacques Bompard, de la Ligue du Sud, ex-frontiste historique entré en dissidence, appelle à «enterrer la hâche de guerre» avec le Front national. Les partis ont  une histoire et malgré les selfies que Marion Le Pen empile avec ses soutiens aux anges, malgré la mèche blonde et la jeunesse qu'elle incarne, malgré, enfin, les discours décomplexés qui plaisent tant à cette nouvelle génération délaissée par les partis politiques, cette région de Méditerranée ouverte sur le monde risque de vite s'en rendre compte.

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