Parents & enfants

Une appli peut-elle vous sauver de votre phobie des maths?

À l'école, on fait des mathématiques une matière aride, voire humiliante, renvoyant les élèves à une supposée nullité.

REUTERS/Luke MacGregor
REUTERS/Luke MacGregor

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Il y aurait de quoi composer plus d’une grille de bingo à partir des phrases que les enseignants entendent lors de chaque réunion parents-professeurs. Il y a les élèves qui jurent leurs grands dieux qu’ils bossent comme des dingues, les parents qui traitent leurs enfants des bons à rien (hautement constructifs)... Mais du côté des profs, il y aurait presque de quoi créer une grille de bingo spécifique. Du haut de ma petite dizaine d’années de carrière, je ne suis plus en mesure de compter le nombre de parents qui m’ont avoué qu’ils étaient nuls en maths et que ce n’était pas étonnant si leur fils ou leur fille l’était aussi (sachant que je n’ai jamais employé le terme «nul» pour qui que ce soit).

Chez ces parents-là comme chez d’autres qu’on devine trop réservés pour l’avouer, on sent immanquablement monter une angoisse liée à leur scolarité passée mais également à celle de leur enfant. Pour bon nombre de parents, on n’est pas loin de la phobie dès qu’il s’agit des maths. C’est d’ailleurs un phénomène que l’on retrouve en société, la réponse «je suis prof de maths» à la question «et toi, qu’est-ce que tu fais dans la vie?» donnant souvent lieu à un silence gêné ou à une réplique du genre «j’ai toujours été nul(le) en maths».

J’ai souvent questionné mes collègues d’autres matières pour savoir si eux aussi recevaient ce genre de témoignage de la part de personnes traumatisées. La réponse est claire: mise à part l’EPS, où les élèves peu sportifs ont souvent tendance à morfler et où les complexes liés au physique ont tendance à ressortir, aucune autre discipline ne semblait avoir généré autant de douleur. Je ne suis sans doute pas le mieux placé pour comprendre pourquoi, mais j’essaie pourtant de toute mes forces. La vérité tient sans doute au fait que les maths sont souvent considérées par les élèves comme la discipline la moins utile qui soit, parce qu’elles font intervenir des notions abstraites dans le seul but apparent de pouvoir faire ensuite d’autres maths plus difficiles. C’est comme un casse-tête permanent et infini, où la résolution d’un niveau permet simplement d’accéder au suivant. Les anti-maths ont quasiment tous vu le sketch de Gad Elmaleh sur l’inutilité des maths, où le compas et le triangle isocèle permettent de crucifier l’ensemble des professeurs de mathématiques. Contrairement à ce qui se produit dans les autres disciplines (y compris scientifiques), impossible de faire avaler à qui que ce soit que la culture mathématique, c’est aussi de la culture.


Résultat: lorsqu’ils rencontrent des difficultés en mathématiques, les élèves ne se sentent pas juste à la traîne. Ils ont l’impression d’être véritablement nuls, comme si on leur avait demandé de déchiffrer des hiéroglyphes et qu’ils n’y étaient pas parvenus. Le pire, c’est que cette phobie-là, sans doute accrue par le manque absolu de tact de certains de mes confrères, se transmet. C’est ce qu’ont montré des chercheurs de l’Université de Chicago dans une étude publiée cet été: lorsque des parents angoissés par les mathématiques tentent d’aider leurs enfants à faire leurs devoirs, ils les poussent inconsciemment à échouer dans cette discipline. Imaginez qu’une personne essaie de vous aider dans un certain domaine tout en proclamant sa propre nullité: quelle que soit la valeur de son aide, vous sentiriez-vous en confiance? Les enfants ont non seulement besoin qu’on leur file un coup de main, mais il leur faut également sentir que la réussite est possible. Entendre leurs parents parler de maths comme ils parleraient du Vietnam ne peut pas avoir d’effets positifs.

Capture d'écran de la home de Bedtime Maths

Pour tenter de remédier à cela, des développeurs ont conçu l’appli Bedtime Math, disponible sur iPad et iPhone, qui permet aux parents et aux enfants de remplacer l’histoire du soir (laquelle n’a rien d’obligatoire) par la lecture d’une petite histoire liée aux mathématiques, avec ou sans énigme à résoudre à la fin. L’étude poursuivie par l’université de Chicago démontre qu’un usage même modéré de cette application tendrait à faire diminuer l’anxiété liée aux maths chez les parents et les enfants, ce qui permettrait à ces derniers d’obtenir de meilleurs résultats dans la discipline. L’idée principale de l’application est d’offrir un regard plus concret, et surtout plus apaisé, de la discipline: en partageant ensemble un tel moment avant le coucher, les parents et les enfants avancent ensemble dans leur tentative de réapprivoiser les nombres et la géométrie.

Gratuite (mais en anglais), l’appli propose chaque jour une petite histoire sur un sujet insolite, puis trois ou quatre questions mathématiques liées à ce sujet. Le niveau des questions va croissant, allant du très très simple au pas trop difficile. Mais surtout, pas de stress: les utilisateurs n’ont même pas à entrer leur réponses. Il leur est juste proposé de vérifier si leur opinion est la bonne et de lire un paragraphe d’explication si c’est nécessaire. C’est tout. En une poignée de minutes, on aura réfléchi ensemble, et sans angoisser, à quelques questions mathématiques plutôt basiques mais qui permettent de consolider les bases et de prendre confiance.

Si tu as mangé 4 part de pizzas, quel est le chiffre de ta prochaine part?

Si tu coupes une pizza en six parts égales, et une autre en huit parts égales, quelle pizza aura les plus grosses parts? 

En fait, l’appli Bedtime Math joue un rôle que les profs de maths ne prennent souvent pas le temps d’endosser: celui qui consiste à rassurer l’élève (et donc ses parents) en lui montrant qu’il est loin d’être ignare, et qu’il sait même plein de trucs. Plus les années passent, et plus les copies blanches s’accumulent lors des devoirs surveillés (et pas qu’en mathématiques): certains élèves ont une si piètre opinion d’eux-mêmes qu’ils préfèrent ne rien rendre plutôt que de risquer d’écrire des bêtises. Cette remise en confiance doit non seulement passer par les enseignants, mais aussi par les parents, qu’il faut aider si besoin à présenter la scolarité comme un tremplin et non comme un échafaud.

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