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Pourquoi est-on plus dur avec Benzema qu'avec Platini?

Karim Benzema fait l'objet d'une virulence que Michel Platini n'a jamais eue a craindre. Dans le monde politique et journalistique l'ancien n°10 bénéficie d’un réseau d’amis protecteur et surtout peu critique.

Montage: Michel Platini Reuters/ Carl Recine et Karim benzema REUTERS/Charles Platiau
Montage: Michel Platini Reuters/ Carl Recine et Karim benzema REUTERS/Charles Platiau

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Manuel Valls n’a pas été tendre avec Karim Benzema lorsqu’il s’est agi de commenter les déboires actuels de l’attaquant de l’équipe de France dans l’affaire dite de la «sextape» de Mathieu Valbuena. «Un grand sportif doit être exemplaire, a déclaré l’hôte de Matignon, mardi 1er décembre, sur les ondes d’Europe 1. (...) S’il ne l’est pas, il n’a pas sa place en équipe de France». Puis il a ajouté: «S’il y avait un ministre mis en examen, il ne serait plus au gouvernement. (...) D’une certaine manière, c’est pareil pour l’équipe de France


Fin septembre, le Premier ministre avait été autrement plus doux, ou moins violent, au moment de donner son avis sur Michel Platini, candidat dans la course à la présidence de la FIFA, entendu par la justice puis empêché de faire campagne en raison du versement douteux en 2011 d’une somme de deux millions de francs suisses (1,8 million d’euros), conséquence d’un accord verbal passé neuf ans plus tôt avec Sepp Blatter, le président de la FIFA. «Je n’ai aucune information à ce sujet et je pense qu’il faut laisser la justice faire son travail sereinement, avait déclaré Manuel Valls. Nous avons la chance, en France, d’avoir Michel Platini, qui fut un très grand sportif et qui est un grand dirigeant à la tête de l’UEFA. Je lui fais entièrement confiance.»

Platini VS Benzema

Comme tout raccourci, la juxtaposition des deux citations est forcément réductrice, mais elle est aussi terriblement évocatrice. La présomption de culpabilité pour l’un, la présomption de l’innocence pour l’autre. Si les deux affaires sont évidemment différentes, elles se rejoignent parce qu’elles concernent déjà l’ancien et l’actuel porteur du n°10 des Bleus et parce que Michel Platini, comme le rappelle entre les lignes Manuel Valls, reste un grand sportif pour l’éternité et, à ce titre, un modèle qui devrait être d’autant plus irréprochable qu’il dirige une institution aussi éminente que l’UEFA, en briguant la présidence de l’institution suprême, la FIFA. Autre point commun entre les deux situations de Benzema et Platini dont les procédures disciplinaires et judiciaires en cours établiront les responsabilités: tous les deux se sont retrouvés dans de sales draps à cause de leur légèreté sidérante et de leur manque de clairvoyance voire d’intelligence face à la demande d’un copain indéfectible pour l’un («C’est mon ami, un très bon ami, comme un frère. Oui, c’est un ami d’enfance») et face à la proposition d’un supérieur admiré pour l’autre («Oui, j’admirais le politique. Il a beaucoup de charme et je peux dire qu’il m’avait d’une certaine façon envoûté»).

On le voit bien, Benzema est déjà cloué au pilori et condamné (notamment par un Premier ministre) parce qu’au mépris incroyable de la procédure judiciaire, il voit les écoutes de ses échanges téléphoniques puis le compte-rendu de ses réponses devant la juge d’instruction publiés dans la presse. Mais sous le poids de cette accumulation de mots souvent très maladroits, n’est-on pas en train de trop lourdement charger sa barque? Benzema est, à l’évidence, coupable d’une faute morale très lourde en ayant accepté de jouer les intermédiaires au cœur d’un chantage et en ne se montrant guère enclin à voler au secours de la victime, Mathieu Valbuena. Et pour cette grave erreur d’appréciation, il sera normalement sanctionné par la Fédération française de football (FFF). Mais pour la suite, qu’en restera-t-il sur le plan judiciaire?

La FIFA, matrice d’un scandale inouï, range la «sextape» au rang de bluette judicaire

Dommage, en revanche, car les secrets de la FIFA sont bien plus imperméables que ceux de la justice française, il ne sous sera pas donné d’écouter les conversations certainement châtiées entre Sepp Blatter et Michel Platini dont on imagine qu’elles auraient été, elles aussi, bigrement divertissantes à l’occasion. Heureusement pour lui, Michel Platini, vache sacrée du sport national, n’est pas été jugé éthiquement par un Premier ministre, même s’il est clair qu’il n'a pas été Eliot Ness au milieu de la pègre qu’était devenue la FIFA, matrice d’un scandale inouï qui range la «sextape» au rang de bluette judicaire. Platini, membre du comité exécutif de la FIFA depuis 2002, et qui n’avait jamais rien à dire quand la presse britannique levait des lièvres sur les pratiques délictueuses de la FIFA. Platini, ami-complice de Blatter pendant si longtemps, trop longtemps en attendant d’avoir sa place pour ne le critiquer qu’à la toute fin de son règne nauséabond. Platini qui s’accommodait de cette FIFA et de sa gouvernance à laquelle il ne trouvait rien à redire avant de lui trouver, aujourd’hui, tous les défauts de la terre parce qu’elle s’attaque à lui par le biais de sa commission éthique.

Au-delà de la brumeuse affaire en cours sur son chèque de deux millions de francs suisses (c’est tout de même cher payé pour des conseils et pour quelqu’un qui dit ne pas être un homme d’argent), c’est bien, là aussi, une faute morale pour Platini, à laquelle on pourrait ajouter celle d’avoir voté pour le Qatar en tant que pays organisateur de la Coupe du monde 2022 dans les étonnantes conditions que l’on sait. Mais Platini n’a rien à craindre d’un Premier ministre, d’un monde politique voire journalistique français, où notre ancien n°10 bénéficie d’un réseau d’amis protecteur et surtout peu critique, bien moins en tout cas que Benzema qui, comme le note Jérôme Latta dans son blog, «refuse les relations de complaisance avec les médias».

Platini tellement tranquille, s’il l’on peut dire, comparativement à Sebastian Coe -un «Platini» qui a réussi à se faire élire juste dans les temps, en août, à la présidence de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF)– harcelé par la presse britannique après le scandale de dopage lié à l’athlétisme russe dans lequel a visiblement trempé Lamine Diack, l’ancien président de l’IAAF, et dont Coe avait été le vice-président zélé mais visiblement aveugle pendant huit ans. Coe vilipendé aussi au sujet de ses liens contractuels avec Nike qu’il a été obligé de rompre sous la violente pression médiatique d’outre-Manche. Coe convoqué devant les parlementaires britanniques qui l’ont intensément mis sur le gril ce 2 décembre pour s’expliquer sur son intenable situation, quand Platini, au regard de la FIFA corruptrice et corrompue et sur laquelle on aimerait savoir pourquoi et comment il n’a rien vu ou entendu sans parler du trouble suscité par son choix du Qatar, n’aura lui rien à craindre, à l’avenir, des questions des politiques français qui, à l’aube de l’Euro 2016 dans l’hexagone, préfèrent le cajoler, comme le Premier ministre ou le Secrétaire d’état aux sports. Benzema-Platini, deux poids, deux mesures. Benzema-Platini, un match (vraiment) nul sur toute la ligne, à bien y réfléchir.

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