France

La Justice ne craint pas Twitter

Que les journalistes puissent relater un procès en direct pose davantage de questions sur la pratique du journalisme que sur celle du droit.

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En passant devant le Tribunal de grande instance de Paris qui examine depuis plusieurs jours l'affaire Clearstream, les plus de 30/40 ans risquent de surprendre un dialogue entre journalistes qu'ils ne pourront comprendre:

- «Moi je twitte, et toi?,

- Oui. Et toi, dehors ou dedans?»

Où il est fait allusion au débat qui a agite la presse aujourd'hui.

Les journalistes sont-ils autorisés à transmettre depuis la salle d'audience, leurs messages de 140 caractères maximum depuis leur téléphone portable vers Twitter et leur rédaction ou doivent-ils attendre d'être à l'extérieur?

Ici le juriste pose un instant son Blackberry et respire profondément. Internet, quand même, se dit-il, c'est quelque chose! Tant de questions qu'il pensait bien tranchées et pour longtemps, qui se trouvent ainsi remises en cause!

La question ici est de savoir si transmettre quasiment en direct les propos des prévenus, de leurs avocats, des témoins, des juges ou du procureur, est susceptible ou non d'être interdit par la loi. Le cadre légal paraît relativement simple. La distinction fondamentale est celle qui oppose la confidentialité absolue des délibérations des juges en correctionnelle et du jury en cour d'assises, à la publicité des audiences elles-mêmes. Sauf dans certains cas très particuliers, tout citoyen peut se rendre au palais de justice et assister - dans la limite des places disponibles - à tout procès qui pourrait l'intéresser.

De son côté, l'intervention de la presse est strictement encadrée. Il n'est pas question aujourd'hui d'enregistrer l'image et le son d'un procès. C'est seulement avant l'ouverture des débats, que le tribunal peut autoriser les journalistes, si aucune des parties ne s'y oppose, à prendre des photos. Une loi de 1984 permet également de filmer les procès de bout en bout afin de créer des archives qui ne pourront être consultées qu'après 20 ans.

Le journaliste, et tout citoyen d'ailleurs, peut naturellement prendre des notes en salle d'audience. Le compte-rendu des débats est libre en principe, sauf dans certaines affaires. La loi prévoit même l'immunité pour les comptes-rendus «fidèles faits de bonne foi». Signalons aussi que la police de l'audience revient au Président du tribunal. Il ne peut naturellement pas interdire aux journalistes de relater le déroulement du procès dans leurs articles. Il peut bien sûr faire évacuer toute personne qui laisserait sonner son portable.

Twitter - ou publier un compte-rendu en direct -, ce n'est certainement pas enregistrer un son ou une image. Entre l'audience et le lecteur, il y a un être humain, le journaliste, qui traduit nécessairement ce qu'il vient d'entendre. Il n'a pas tout vu, ni tout perçu. Il établit donc un compte-rendu au sens du cadre légal qui vient d'être rappelé.

Pourtant, on sent bien qu'il crée un lien quasi direct avec le monde extérieur qui n'existait pas auparavant. Il fait en quelque sorte sortir le procès de la salle d'audience. Alors qu'il fallait se déplacer pour y assister, il est désormais inutile de quitter son ordinateur des yeux. Oui, les audiences sont publiques mais cette publicité possédait ce rien purement théorique qui la maintenait au rang des principes.

Concrètement, Twitter permet à chacun de réagir presque aussitôt aux déclarations de quiconque est entendu par le tribunal. La justice peut-elle en souffrir? Telle est la question. Ce qui est certain, c'est que l'immédiat a peu de choses à voir avec elle. Toute procédure est scandée de délais plus ou moins longs qui imposent ou permettent la réflexion. Or, nous disposons aujourd'hui de moyens de communication qui sont aux antipodes de ce système.

Oui, il y a quelque chose de dérangeant à connaître aussitôt prononcées les phrases de tel ou tel accusé. Mais dire que la sérénité des débats judiciaires y perdra c'est faire peu de cas du sérieux et de la conscience professionnelle de ceux qu'elle fait intervenir. Il n'a d'ailleurs jamais été question d'empêcher les jurés, en France en tous cas, de rentrer chez eux une fois l'audience de la journée achevée ou d'allumer la télévision ou de lire leur journal préféré. Il est certain que ce qu'ils vont lire ou entendre, ou même vivre tout court, est de nature à influer sur leur perception des événements du lendemain et du surlendemain. Ils entrent en salle d'audience chargés de tous leurs doutes, leurs convictions, leurs opinions, leurs présupposés et que sais-je encore. Dans les cas les plus extrêmes, ils ont même assisté à des manifestations hostiles aux alentours du palais de justice.

La bulle dans laquelle ils vont pénétrer pour juger n'est depuis toujours que très imparfaitement imperméable. D'ailleurs, les avocats eux-mêmes reçoivent depuis longtemps des messages - il fut un temps des petits papiers - par mail dans la salle d'audience. L'Internet mobile ne change finalement que par la rapidité et le volume des documents disponibles le travail. Qu'un relatif retrait du monde extérieur soit nécessaire, certes. Que des abus puissent être commis via un téléphone, oui aussi. Qu'on songe par exemple aux messages qui seraient envoyés aux témoins attendant d'être appelés à la barre. Qu'il faille pour autant l'interdire, probablement pas. Mais plutôt que d'interroger le fonctionnement de la justice, demandons-nous ce qu'apporte Twitter au journalisme. Finalement c'est le métier d'informer qui est interrogé ici, et non celui de juger.

Anne Cousin

Image de une: La salle d'audience où se tient le procès Clearstream. REUTERS/Philippe Wojazer

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