Parents & enfants

Quelques trucs à savoir avant de décréter que vous êtes nul en maths

Beaucoup d’élèves français sont faibles en mathématiques. Savoir pourquoi et comprendre ce qui peut améliorer leurs compétences peut aider dès maintenant les éducateurs, professeurs et parents, à les aider à progresser.

Mathematics par Robert Scarth <a href="https://www.flickr.com/photos/robert_scarth/401067121/"> via Flickr License CC </a>
Mathematics par Robert Scarth via Flickr License CC

Temps de lecture: 5 minutes

Nous aimerions avoir de bonnes nouvelles de l’école mais voilà… les résultats des petits Français en mathématiques sont inquiétants, le Conseil national de l’évaluation des politiques scolaires (Cnesco) et l’Institut français d’éducation (Ifé) viennent de produire un document synthétique sur le sujet, issu d’une «conférence de consensus» réunissant chercheurs, enseignants, représentants de parents d’élève… Première information: les recherches convergent, la baisse de niveau depuis 1987 est nette. C’est déprimant.

Comment cela s’illustre-t-il? Par exemple en fin de CM2, un enfant sur quatre ne sait pas écrire un nombre supérieur à 10.000 en chiffres. Les décimales sont peu et mal maitrisées. Il se produit tout simplement avec les mathématiques la même chose qu’avec la lecture: une partie importante des élèves est à la traine:

«à l’issue de l’école primaire, environ 40 % des élèves sont en difficulté en mathématiques, voire en très grande difficulté.»

Le désavantage des maths en français

Pourtant comme le rappelait tout récemment l’OCDE, les petits Français bénéficient d’un temps conséquent pour étudier les «fondamentaux», c’est à dire le français et les maths. Mais l’étude pointe divers éléments qui peuvent expliquer les difficultés des élèves. Vous ne l’aviez peut-être pas remarqué mais nos chiffres sont compliqués. Les didacticiens des mathématiques l’expliquent bien, la manière dont on dit et écrit les chiffres français prête à confusion. 

Par exemple les langues asiatiques décomposent la quantité dans le nom du chiffre: dix+1, dix+2  et non onze et 12. Nos «soixante-dix», «quatre vingt» embrouilleraient également l’esprit des enfants. Certaines formulations sont encore ambigües: cent-huit, c’est cent et huit (c'est-à-dire une addition) alors que huit cents, c’est huit fois cent (une multiplication).

Manque de bol, ce handicap de départ n’est pas compensé par un enseignement performant, pour deux raisons. La première est qu’il n’est pas dispensé par des professeurs très calés en la matière… Le Cnesco rappelle que  professeurs des écoles sont très majoritairement diplômés dans des disciplines littéraires ou de sciences humaines:

«80 % des enseignants du primaire n’ont pas suivi un cursus scientifique dans l’enseignement supérieur»

… et ils sont parfois peu à l’aise avec les mathématiques et les sciences.

Comment accéder à l'abstraction mathématique?

D’autre part et c’est encore plus inquiétant: certaines méthodes ou façons de faire sont contre productives. Les spécialistes soulignent que les exercices proposés, sont parfois trop simplifiés, découpés en étapes successives qui empêchent les élèves d’accéder à l’abstraction mathématique. En gros, pour comprendre «dans sa tête» que les chiffres symbolisent des quantités et pouvoir se représenter mentalement les opérations en tant que telles et non pas seulement des histoires de pommes ou de billes…

Autre élément inquiétant, les exercices pratiques peuvent s’avérer inintéressants si les objectifs de la leçon ne sont pas énoncés clairement. Et apparemment c’est trop souvent le cas:

«Certaines recherches montrent aussi que l’enseignement des mathématiques repose souvent sur une volonté des enseignants de mettre l’élève en activité, soit pour découvrir une nouvelle notion, soit pour l’approfondir dans une situation de recherche. Cette dynamique d’apprentissage ne peut se révéler efficace que si l’acquisition d’une nouvelle notion ou d’une nouvelle propriété de calcul, par exemple, est clairement au coeur de cette activité et explicitée à la fin du cours.»

Pire, cela peut renforcer les inégalités d’apprentissage, les élèves les plus faibles tirant un bénéfice nul des ces manières d’apprendre si elles sont mal maîtrisées. C’est hautement probable étant donné le nombre d’élèves en difficulté en fin de CM2.

Par ailleurs, les outils utilisés en classe sont peu adéquats. Un exemple: le fichier. Si vous connaissez des enfants en primaire vous êtes peut-être déjà tombé sur un «fichier»: soit un genre de cahier d’exercice qui a le même format qu’un manuel et ne permet de répondre qu'en remplissant des cases, ce qui ne valorise pas le processus de réflexion. 

Ce qui compte en mathématiques ce n’est pas seulement le résultat mais la démarche pour y parvenir

Or ce qui compte en mathématiques ce n’est pas seulement le résultat mais la démarche pour y parvenir. Pour le dire autrement: toutes les erreurs ne se valent pas. Et le fichier passe à coté du processus de réflexion de l’élève (qui peut être relativement juste même si le résultat est erroné).

«En l’utilisant, les élèves sont contraints d'entrer les réponses dans un format unique, dans un espace souvent très limité qui réserve peu de place pour la recherche et des essais de différentes procédures.»

Il s’agirait donc d’un contresens disciplinaire! Il faut valoriser le processus réflexif, l’explication par l’élève de sa manière d’arriver au résultat.

Justifier l'enseignement des maths

Enfin, les scientifiques –dont heureusement un grand nombre de spécialistes des mathématiques– qui ont participé à la conférence de consensus du Cnesco ouvrent une brèche gigantesque: les méthodes et options pédagogiques adoptées ne le sont pas en fonction de critères clairement établis et étayés scientifiquement. La manière dont on enseigne les mathématiques ne serait pas justifiée!

«Les programmes ne contiennent pas systématiquement une justification scientifique des orientations pédagogiques qu’ils préconisent (…) on change régulièrement de programme sans avoir analysé les défaillances du programme précédent.»

Et le rapport de synthèse de conclure:

«Les programmes relatifs aux nombres et au calcul doivent contenir des éléments explicitant les intentions et justifiant les choix qui les fondent.»

Le calcul mental

Les conclusions de ce travail donnent des pistes. Un certain nombre d’entre elles sont déjà connues mais pas suffisamment reconnues. Par exemple, un outil vieux comme le monde, dont pour le coup, toutes les recherches en didactiques disent qu’il est un outil essentiel et qu’il conviendrait de valoriser encore plus dans les classes: le calcul mental.

Il faut en faire donc (sous forme d’exercices, de jeux) et bien maitriser des outils simples comme les tables de multiplication mais aussi d’addition (avoir mémorisé les additions simples type 2+3, 4+5 etc) qui sont essentiels. Il faut aussi maîtriser la composition/ décomposition des chiffres. Pour être bon en calcul mental il faut savoir que 25 plus 32 c’est vingt plus trente et 5 plus 2. Bref, acquérir tout ce qui permet de compter rapidement.

Pour les plus jeunes, et on l’apprend en lisant des ouvrages de didactique très simples[1], on peut, très tôt, aider l’enfant à comprendre que les chiffres et mêmes les nombres symbolisent des quantités. C’est tout bête mais dans la vie on a tendance à utiliser les numéros de rue, d’étage ou de ligne de bus (qui sont un code en général) comme des noms communs ou propres. Or un chiffre, c’est avant tout et toujours le chiffre qui précède p+1 ou 1+1+1+ 1 etc. C’est quelque chose qu’il faut pouvoir se représenter tôt avec des petits nombres. C’est pourquoi les professeurs de maternelles disent qu’ils apprennent à compter jusqu’à 3 en petite section. Savoir que 3 c’est 1+2 et 2+1 et 1+1+1, ça fait souvent rigoler les parents mais c’est une bonne base.

Compter ses cartes Pokémon, la monnaie, ou mesurer les quantités quand on fait un gâteau c’est aussi faire des mathématiques

Et quand je dis «on» c’est parce que ce on c’est aussi nous les parents, éducateurs, adultes. Le Cnesco soulève également un point qui me semble très pertinent: il faut encourager les parents à soutenir ces apprentissages. Comme ils peuvent le faire avec la lecture. Comme on encourage les enfants à lire chez eux, il faut leur donner des occasions de compter. Ce que l’étude appelle «encourager les parents à proposer à leurs enfants des situations ludiques d’apprentissage». C’est tout bête mais compter ses cartes Pokémon, la monnaie, se repérer dans le temps d’un match de foot, compter les points, ou mesurer les quantités quand on fait un gâteau c’est aussi faire des mathématiques.

Et c’est aussi ce qu’il faut saisir grâce à cette étude: les mathématiques doivent occuper une place différente dans l’esprit de tous. Avant d’être une discipline complexe, une discipline de sélection, les mathématiques et la maîtrise des chiffres sont importantes dans la vie de tous les jours. Etre «nul(le) en mathématiques» ne devrait pas être un motif de fierté (comme chez certains littéraires que je fréquente). C’est trop dommage et c’est surtout oublier qu’acquérir de l’habileté avec les nombres, c’est acquérir de l’habilité intellectuelle tout court.

1 — À lire sur la question: L’acquisition du nombre, de Michel Fayol, collection Que sais-je. Retourner à l'article

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