Culture

«Star Wars»: attention, une bonne bande-annonce ne fait pas un bon film

Souvenez-vous de votre excitation à la sortie de «La Menace fantôme». Cela pourrait vous éviter une sacrée peine de cœur.

Un homme déguisé en Stormtrooper , à New York, le 3 septembre 2015 | REUTERS/Carlo Allegri
Un homme déguisé en Stormtrooper , à New York, le 3 septembre 2015 | REUTERS/Carlo Allegri

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Le 12 mai 1999, j’étais le premier dans la queue pour acheter des tickets pour le nouveau Star Wars. J’avais séché l’école (c’était un mercredi), m’étais rendu en voiture avec ma mère aux Showcase Cinemas d’East Hartford, Connecticut (j’avais 12 ans), et j’étais arrivé avant l’aube, prêt à camper jusqu’à l’ouverture de la billetterie. Le premier Star Wars depuis seize ans était sans doute le film plus attendu de tous les temps. La chaîne d’informations locale et le Hartford Courant ne tardèrent pas à arriver pour m’interviewer sur les raisons de mon excitation (ai-je mentionné que je portais un masque de Yoda?).

Nous autres fans de Star Wars n’aimons pas tellement nous rappeler de notre état d’excitation lors de la sortie de La menace fantôme, or, y réfléchir sérieusement pourrait nous éviter une sacrée peine de cœur. Après tout, le parallèle entre les espoirs suscités par le nouvel épisode, Le Réveil de la Force, et ceux qu’éveilla La menace fantôme relève quasiment du surnaturel. Cela m’a frappé comme un mauvais pressentiment lorsqu’un enregistrement pirate d’une des premières projections de la bande-annonce de La menace fantôme a circulé sur internet le mois dernier. On y entend le public acclamer le logo de Lucasfilm avant même le début de la bande-annonce. Pendant toute la projection, les spectateurs ont le plus grand mal à se contenir; ils hululent à l’apparition de personnages comme Yoda avant de finir par applaudir à tout rompre.

 

Certes nous aimerions penser qu’il s’agissait là d’un cas isolé de cinéma rempli de naïfs. Mais comme le montre une synthèse du site de fans Dorkly, leur réaction à cette bande-annonce était remarquablement modérée. Voici comment Moriarty, du site de fan montant à l’époque Ain’t It Cool Newsdécrit la scène du cinéma où il a vu la bande-annonce pour la première fois:

«Tout autour de moi, il y avait de vraies larmes de joie. Des braillements d’excitation. Les gens s’étreignaient, riaient de façon incontrôlable. À mesure que le brouillard se dissipait et que je réalisais qu’il y avait un film en train d’être projeté, une seule chose me passait par la tête, en boucle.
Merci, George. Merci, George. Merci, George.»

«À la fin de la bande-annonce, j’ai applaudi»

Là où la bande-annonce du Réveil de la Force offre «Chewie, on est rentrés», dans celle de la Menace fantôme on entend «Anakin Skywalker, voici Obi-Wan Kenobi»

Aucun de ces gens n’estimait être victime de sa naïveté; en réalité, nombre de ceux qui se sont extasiés et ont versé «de vraies larmes de joie» étaient des fans de cinéma et autres sceptiques plutôt calés. Un article du Washington Post souligne que beaucoup de ceux qui attendaient pour voir la bande-annonce, projetée avant des films comme Rencontre avec Joe Black (les fans achetaient un ticket, s’entassaient dans la salle puis partaient dès la fin de la bande-annonce), faisaient la queue en lisant des «textes érudits sur le cinéma». Cet article cite un étudiant qui dit: «Je me considère comme un critique plutôt sévère, mais à la fin de la bande-annonce j’ai applaudi Le blogueur cinéma Jeffrey Wells, se rappelant son expédition pour voir l’une des premières projections de la bande-annonce avant Couvre-feu, écrit: «Toute personne branchée de l’univers connu de Los Angeles avec le moindre intérêt ou investissement dans la culture des fous du ciné y était.» Parmi ceux sur qui Wells est tombé lors de cette projection figurait Paul Thomas Anderson.

Une révélation peut-être encore plus surprenante fut celle de Harry Knowles, chef du fan-club d’Ain’t It Cool News. Le New York Times note qu’avant la sortie de la bande-annonce, Knowles était un critique très en vue du film, sur lequel il ne cachait pas ses nombreuses réserves. Voici comment le Times parle de sa réaction devant la bande-annonce:

«Je me déteste d’avoir douté, a-t-il confié. Mais où avais-je la tête? […] George semble donner le meilleur de lui-même.»

Loin de moi l’idée de juger aucune de ces personnes –pas même le fan qui a raconté au Times avoir réussi à voir la bande-annonce dans les cinémas plus de vingt fois le premier jour–, notamment parce que c’est une super bande-annonce. D’accord, si on la regarde de très très près on peut toujours repérer quelques traces de crottes de bantha –quelques bribes de dialogues débitées plutôt platement, un plan de Jar Jar Binks qui se prend un coup de jus sur le museau coincé dans le courant électrique d’un module de course– mais il n’est pas difficile de voir pourquoi on s’en souvient parfois comme étant «une des meilleures bandes-annonces de film de tous les temps». Après tout, elle comportait à peu près tout ce que possèdent les bandes-annonces tant aimées du Réveil de la Force: comme le dit la description du New York Post en 1999, c’était une avalanche «d’aliens bizarres, de sabres lasers à double lames, de batailles à la vitesse de la lumière dans des canyons arides et des galaxies lointaines, et d’armées de droïdes lisses et brillants et à l’air très méchant». Là où celle du Réveil de la Force offre «Chewie, on est rentrés», dans celle de la Menace fantôme on entend «Anakin Skywalker, voici Obi-Wan Kenobi». Là où la bande-annonce du Réveil de la Force dévoile le nouveau sabre laser, celle de la Menace fantôme montrait le premier double sabre laser de la série. Sans oublier que les effets de la bande-annonce de la Menace fantôme étaient plus révolutionnaires que ce que l’on a pu voir du Réveil de la Force.

Tout le monde a ouvert les yeux

Cette impatience ne s’était pas du tout apaisée avec la diffusion de la deuxième bande-annonce, lancée en ligne et qui devint rapidement ce que Steve Jobs qualifia de «plus grand téléchargement de l’histoire d’internet» (avec le recul, c’était l’aube de notre culture actuelle de l’anticipation alimentée par internet). Certains campèrent pendant six semaines pour être les premiers à voir Épisode Iet mettraient des années à s’en remettre. En ce qui me concerne, je suis allé voir le film cinq fois au cinéma (puis-je vous rappeler que j’avais 12 ans?), de plus en plus déçu au fil des semaines, puis des années. Non qu’il ait fallu longtemps pour que tout le monde ouvre les yeux. Mon collègue Seth Stevenson a déjà écrit sur cette exception qui confirmait la règle (paix, Opie). Et il faut reconnaître à David Edelstein que la première critique de Slate.com (une des plus blessantes) l’a enfoncé dès la première fois.

Savez-vous quelle bande-annonce n’a pas obtenu de bonne réaction, et a même parfois provoqué des rires et des huées dans le public? Celle du premier Star Wars

Je ne rappelle pas tout cela parce que je pense que Le Réveil de la Force va être un mauvais film. En fait, je pense qu’il est même probablement plutôt bon. Après tout, cela a été le cas de chacun des cinq autres films réalisés par J.J. Abrams: qu’il s’agisse de redonner vie à Star Trek et à Khan, de réaliser un nouveau Mission impossible ou d’écrire et de diriger ce que l’on peut qualifier d’héritage non officiel de la science-fiction de Steven Spielberg de la fin années 1970 et du début des années 1980, la spécialité d’Abrams a toujours été de détourner juste assez les conventions d’une franchise pour conserver leur attrait mais sans aller trop loin, afin de ne pas risquer d’effrayer les fans –ou de faire quelque chose de vraiment original. Ce qui rend probable l’hypothèse que Le Réveil de la Force soit une suite très valable, mais pas du tout en revanche qu’Abrams produise jamais le moindre film qui ait le même impact que le premier Star Wars. (Savez-vous quelle bande-annonce n’a pas obtenu de bonne réaction, et a même parfois provoqué des rires et des huées dans le public? Celle du premier Star Wars.)

Mais –parce que ça ne fait pas de mal de réviser ses espoirs à la baisse, et parce que celui qui ne peut se rappeler du passé est condamné à cinq visionnages du même film– il vaut la peine de se rappeler à quel point il est facile de produire une bande-annonce géniale même pour le plus honteux des épisodes de Star Wars, qu’il date d’avant ou d’après le tout premier. De toute façon, il y aura des sabres laser. Il y aura la musique de John Williams. Et il y aura les mêmes vaisseaux spatiaux, vrombissements de sabres et noms de personnages qui, pour beaucoup, sont la formule magique permettant de libérer l’enfant de 7 ans qui sommeille en nous. Comme l’avait écrit Moriarty à propos de sa réaction à la bande-annonce originale de la Menace fantôme, «la partie analytique de mon cerveau vient juste de s’éteindre». J’aimerais croire que la partie analytique de mon cerveau continue de bourdonner gentiment, mais qui sait?

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