Culture

Le mot: Coupable

Le mot de la semaine.

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Lorsque Nicolas Sarkozy ne trouve pas l'occasion de monopoliser le premier rang de l'actualité et de saturer l'espace public, son inconscient, doit-on croire, prend le relais. Dans un lapsus, affirme-t-on, dont l'oncle Sigmund se serait régalé, le président de la République n'a-t-il pas, sur la foi des réquisitions de deux juges d'instruction et de l'acte d'accusation émis par le Parquet, traité par avance de coupables les quatre prévenus de l'affaire Clearstream? La tempête médiatique qui s'en est suivie, outre la mine réjouie des défenseurs de Dominique de Villepin, prompts à se saisir des aubaines de procédure pour mieux faire glisser le fond du dossier de leur client, ont occupé davantage de volume dans les médias français que la session de l'ONU, les préparatifs du G20 et la poursuite sans trêve de la montée du chômage.

À supposer que son Ça soit seul en cause, le chef de l'État n'aurait fait que suivre la tendance nationale à confondre le soupçon avec la certitude, et à condamner les mis en cause avant le jugement. Jugés, donc coupables, aurait pu écrire Théodore Zeldin dans l'inventaire des «passions françaises». Il suffit de suivre, même de loin, la vie de la Justice pour saisir que, tel l'honneur selon Mathurin Régnier, la présomption d'innocence, célébrée sur tous les tons, est, en fait, «un vieux saint que l'on ne chôme plus».

La France, pays de droit romain et de tradition catholique —de confession obligatoire, veut-on dire, des péchés—, n'apprécie pas les innocents, taxés a priori d'une culpabilité que police, juges et jurés n'auront pas décelée. Nous autres Hexagonaux crions davantage «tous coupables» que «tous pourris». La condamnation précède le verdict. Pire: elle l'ignore. Marie Besnard, «la bonne dame de Loudun», a porté de longues années le fardeau de l'acquittement décidé par les Assises mais refusé par l'opinion. Les Torquemada et autres Fouquier-Tinville, prêts à «décréter d'accusation», comme aux temps de la Terreur, une foule de coupables réels ou fantasmés, ne manquent pas plus à droite qu'à gauche, ni non plus chez les «sans opinion».

Nous accordons crédit au coupable qui avoue, nous haïssons l'innocence qui se débat. Nous pardonnons, jusque par l'amnistie, aux coupables reconnus, nous rejetons les innocents disculpés.

Lors de l'affaire du Sang contaminé, Georgina Dufoix, ministre de la Santé au moment des faits, avait provoqué un tollé en s'affirmant «responsable mais pas coupable». L'infortunée avait cédé à son éducation calviniste, à des penchants doloristes ou aux mauvais conseils de son entourage. Sa formule s'est enracinée dans le langage courant, et on n'a pas fini de la lui reprocher. Il lui aurait pourtant suffi de reconnaître. «Je suis coupable mais pas responsable», pour que tous lui trouvent aussitôt des excuses, des circonstances atténuantes, qu'elle suscite la sympathie et qu'on oublie son rôle au fil des ans.

Il ne paraît pas improbable que Nicolas Sarkozy, lui-même avocat, n'a nullement été victime de sa haine. Il a, au contraire, usé dans l'implicite, non sans habileté ni démagogie, de cette propension populaire. «Je suis persuadé, comme vous, que ces homme sont coupables, a-t-il sous-entendu. Nous en avons la preuve, puisque les voici devant un tribunal».

On ne sait pas comment plaideront Maître Metzner et ses confrères pour défendre l'ancien Premier ministre. On n'est pas en capacité —comme l'on dit rue de Solferino— de décortiquer les tenants et aboutissants de l'embrouillamini et de tirer quelque conclusion des audiences. On n'a pas non plus qualité pour s'y livrer. Mais on peut les assurer qu'ils renforceront leur position et auront la certitude de toucher le public et la Cour s'ils prennent la peine de citer les propos que Christophe prêtait à Maître Bafouillet, l'avocat du sapeur Camember, devant le Conseil de Guerre: «Je le dis hautement, pour moi, le coupable est innocent».

Chacun n'en sera que mieux convaincu.

Marc Menonville

Image de une: Steve Punter, Flickr, «judge circus»

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