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Après les attentats, la France veut partager son fardeau avec l'Europe

«Nous ne pouvons plus y arriver tout seuls», a confié le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian.

François Hollande à Bruxelles I REUTERS/Francois Lenoir
François Hollande à Bruxelles I REUTERS/Francois Lenoir

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L’Europe est désormais face à ses responsabilités. Dans son discours devant le Congrès, le lundi 16 novembre, François Hollande a directement interpellé ses partenaires de l’Union européenne. Le lendemain, le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, en appelait devant ses collègues des vingt-sept autres États-membres réunis à Bruxelles à la clause de solidarité contenue dans le Traité de Lisbonne. 

«Au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir», indique l’article 42-7. Cette clause n’existait pas dans les textes précédents et c’est la première fois qu’elle est invoquée par un membre de l’UE. «Nous ne pouvons plus y arriver tout seuls», a reconnu Jean-Yves Le Drian dans un aparté avec Ursula von der Leyen, ministre allemande de la Défense.

L'article 5 et le 11-Septembre

La France aurait pu faire appel à d’autres engagements internationaux. Par exemple, l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord: «Une attaque armée contre l’une ou plusieurs [parties signataires] survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties. […] Si une telle attaque se produit, chacune d’elles [prendra] telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée.»

L’article 5 n’a été activé qu’une seule fois depuis 1949. C’était en 2001, au lendemain des attentats du 11-Septembre. Les États-Unis avaient vite fait savoir à leurs alliés qu’ils n’avaient pas besoin. Après le carnage de Paris, cet article était sans doute surdimensionné et surtout il impliquait l’Otan, ce qui aurait gêné la coopération avec la Russie que François Hollande appelle maintenant de ses vœux.

La difficulté d'impliquer l'union

Le Traité de Lisbonne contient une autre clause de solidarité. C’est l’article 222 qui concerne les catastrophes naturelles et le terrorisme. «L’Union et ses États membres agissent conjointement dans un esprit de solidarité si un État membre est l’objet d’une attaque terroriste ou la victime d’une catastrophe naturelle ou d’origine humaine. L’Union mobilise tous les instruments à sa disposition, y compris les moyens militaires mis à sa disposition par les États membres, pour prévenir la menace terroriste sur le territoire des États membres», dit cet article. Il était parfaitement adapté. Il a, aux yeux des dirigeants français, le défaut d’impliquer l’Union européenne en tant que telle. Au contraire, l’article 42-7 parle d’une «assistance» sur une base bilatérale et intergouvernementale. C’est un point sur lequel a insisté Jean-Yves Le Drian, pour convaincre ses collègues les plus réticents. Bien sûr, tous les ministres européens ont assuré la France de leur solidarité.

Quelle forme peut prendre cette assistance? Personne ne songe, sauf peut-être les Britanniques, à une participation aux frappes aériennes contre Daech en Irak et en Syrie. Ce sont les aviations américaine et française –depuis fin septembre, russe–, qui opèrent la quasi-totalité des bombardements, malgré la formation d’une coalition internationale qui comporte aussi des pays arabes. Mais les alliés européens pourraient «soulager» l’armée française qui approche des limites de ses capacités. D’autant plus qu’elle est appelée aussi à intervenir sur le territoire national.

Vers une politique européenne de défense

«S’il y a une résolution du Conseil de sécurité de l’Onu, l’Allemagne prendra sa part», a déclaré Ursula von der Leyen avant que l'Onu ne vote vendredi à l'unanimité une résolution proposée par la France, appelant les Etats membres à «prendre toutes les mesures nécessaires pour combattre l'organisation EI sur le territoire contrôlé par l'EI en Syrie et en Irak». Comment? En maintenant et peut-être en augmentant son effort de formation des peshmergas et les livraisons d’armes. Ces combattants kurdes constituent une composante essentielle des troupes au sol qui peuvent combattre Daech (et le régime Assad).

Alors que 45 soldats allemands étaient déjà morts en Afghanistan, Angela Merkel a attendu dix ans pour qualifier de «guerre» l'intervention internationale

L’Allemagne peut encore soulager l’armée française sur d’autres terrains d’opération. Au Mali, elle a seulement quelques dizaines de soldats dans la Minusma, la force des Nations unies, et 200 à 300 instructeurs dans la cadre de la mission européenne de formation de l’armée malienne. Toutefois sa contribution à l’opération Barkhane de stabilisation de la zone sahélo-saharienne –qui mobilise plus de deux mille soldats français– se limite à des missions de transport et de ravitaillement.

Si une coopération se met en place en référence à l’article 42-7 du Traité de Lisbonne, ce serait un pas de plus, concret, vers le développement d’une politique européenne de défense. Cependant, comme à chaque fois qu’une initiative est prise dans ce domaine, ressurgissent les mêmes questions.

Guerre, le tabou allemand

Pour que des pays européens acceptent de partager le risque, il faut qu’ils aient la même perception de la menace. Ce n’est pas encore le cas face aux activités de Daech, à la fois au Proche-Orient et en Europe. Même l’arrivée massive des réfugiés qui touche toute le continent ne crée pas ce sentiment de solidarité, certains membres de l’UE cherchant à se défausser sur les autres. Alors que la thématique de la «guerre contre les terroristes» est omniprésente dans les discours officiels français, les dirigeants allemands se gardent de l’employer. Le mot «guerre» a, outre-Rhin, une charge historique telle qu’une simple allusion réveille des traumatismes et provoque des polémiques sans fin. Alors que 45 soldats allemands étaient déjà morts en Afghanistan, Angela Merkel a attendu dix ans pour qualifier de «guerre» l’intervention internationale dans ce pays.

Au-delà de la définition de la menace, la question est de savoir qui décide? La France est intervenue en 2013 au Mali et a commencé à bombarder Daech en Irak puis en Syrie par une décision souveraine. Elle ne s’est pas concertée auparavant avec ses partenaires européens. Il existe de bonnes raisons à cette discrétion. Il faut faire jouer l’effet de surprise et dans l’urgence, il est impossible de s’engager dans d’interminables négociations dont l’UE a le secret, avant d’agir militairement.

Soustraire une partie des dépenses militaires du budget national pour le calcul du déficit et le respect des critères de Maastricht (3%) a été souvent évoqué

Une contribution financière?

Une fois une mission engagée, qui commande? Qui définit la stratégie? Qui fixe l’objectif? Face à un ennemi aussi complexe que Daech, mélange de prémices étatiques et d’organisation terroriste internationale, que signifie une victoire? À partir de quel moment, on peut considérer que les buts de guerre sont atteints et qui en juge?

Toutes ces interrogations, qui sont récurrentes chaque fois qu’on parle de défense européenne augurent mal d’un partage du fardeau militaire entre la France et ses partenaires après les attentats de Paris. Toutefois le partage du fardeau pourrait prendre d’autres formes. Par exemple, une contribution financière, bien que plusieurs États membres seraient certainement réticents à payer pour une opération décidée à Paris en fonction des seuls intérêts français.

Pacte de sécurité, pacte de stabilité

Sans aller jusque-là, l’idée de soustraire une partie des dépenses militaires du budget national pour le calcul du déficit et le respect des critères de Maastricht (3%) a été souvent évoquée. Si elle n’a donné lieu à aucun accord entre les vingt-huit, la formule de François Hollande «le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité» en est une traduction unilatérale. L’annonce que la France ne respecterait pas ses engagements en matière de déficit budgétaire a reçu l’approbation tacite de ses partenaires et de la Commission.

Rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, renforcement des frontières extérieures de l’UE qui ne peuvent être laissées aux seuls bons soins des États périphériques, coopération entre les polices et les services de renseignements, les Vingt-huit sont prêts sous l’effet de l’émotion à renforcer leurs liens. Cela ne suffit pas. Ce sont les institutions européennes et leurs moyens d’action qui sont sollicitées. La solidarité interdit le repliement national. Elle passe par la mise en commun de plus de souveraineté.

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