Monde / France

Les États-Unis doivent soutenir la France dans la lutte contre Daech

Pour soumettre Daech, Obama devrait se mettre en retrait et laisser la France prendre le commandement. Ce ne serait que justice après ce que les Alliés ont fait pour eux après le 11-Septembre.

Le président Francois Hollande accueille le secrétaire d’État américain John Kerry au palais de l’Élysée, le 17 novembre 2015 | REUTERS/Philippe Wojazer
Le président Francois Hollande accueille le secrétaire d’État américain John Kerry au palais de l’Élysée, le 17 novembre 2015 | REUTERS/Philippe Wojazer

Temps de lecture: 4 minutes

La stratégie de l’administration Obama au Proche-Orient repose sur l’idée que Daech est un problème régional. À l’inverse d’al-Qaida, qui tentait de frapper les États-Unis, l’idée en vogue à Washington était que l’État islamique autoproclamé avait l’ambition limitée d’établir un califat privé des moyens de planifier et et effectuer des attaques sophistiquées au delà du territoire qu’il contrôlait. Mais l’attentat qui a très probablement frappé le vol 9268 de la Metrojet russe et les attentats de Paris de vendredi 13 novembre ont montré que ces deux analyses étaient erronées: Daech utilise désormais le territoire sous son contrôle comme un camp d’entraînement pour ses agents, qu’il envoie terroriser l’Occident. La stratégie de l’endiguement que le président Obama à récemment présentée comme une réussite s’avère insuffisante pour soumettre Daech.

Il faut donc en changer. Mais pour la remplacer par quoi? Aussi étrange que cela puisse paraître, Obama ferait bien d’adopter l’attitude qui lui avait pourtant valu bien des critiques en Libye (à commencer par la mienne): se mettre en retrait. Encore faut-il le faire au bon moment. Au lieu de se montrer avare de son aide, il devrait l’offrir à profusion et en silence. Au lieu de passer son temps à affirmer que nos alliés ne peuvent rien sans nous, il ferait mieux de se tenir derrière le président français François Hollande et le regarder avec admiration. Au lieu d’acquiescer à l’invocation par l’Otan de son article 5, qui requiert que les États viennent en aide à un autre État en cas d’attaque, il devrait offrir à la France –comme l’a fait l’Otan à l’égard des États-Unis après les attaques du 11 septembre. Au lieu d’attendre que des dirigeants alliés consolident leur soutien politique à domicile, nous devrions les aider à l’obtenir.

Coulisse

Les Britanniques sont passés maître dans l’art de diriger en coulisse. S’ils se plaignent que leur soutien n’a que trop peu d’influence (à juste titre), tous les autres pays souhaiteraient sans doute disposer de l’influence dont jouit le Royaume-Uni aux États-Unis (à juste titre). La Grande-Bretagne a obtenu cette position enviée grâce à des choix judicieux. Après le 11-Septembre, le Premier ministre Tony Blair fait partie de ceux qui, parmi les amis des États-Unis, avaient compris qu’il y avait tant à faire que le gouvernement américain ne pouvait pas tout faire tout seul. Au lieu d’attendre qu’on le lui demandât, le gouvernement britannique décida de prendre les devants, que les Américains le voulussent ou non: il obtint que l’Otan invoquât son article 5, entamèrent les démarches au sein du Conseil de sécurité de l’ONU pour faire condamner les attaques, rassemblèrent et partagèrent un maximum de renseignements avec les États-Unis. Les Britanniques surent se montrer infatigables quand les Américains étaient épuisés, agissant pour ainsi dire en leur nom. C’est exactement ce que les États-Unis devraient faire à l’égard de la France.

L’escalade graduelle du conflit envoie un mauvais message à l’ennemi: elle est le signe des limites que les pays s’imposent, encourageant ainsi ses ennemis à poursuivre la lutte

Il serait temps qu’Obama définisse une stratégie en Syrie. Les membres de son conseil de défense doivent trouver une solution politique susceptible de rallier des alliés. Cela signifie faire cause commune avec le président turc Recep Tayyip Erdogan; mettre les États du Golfe qui continuent d’alimenter le conflit devant leurs responsabilités; faire en sorte que l’Iran et la Russie aient intérêt à abandonner Bachar el-Assad; travailler de manière plus constructive avec l’Égypte; travailler, en Syrie, avec les élites politiques et militaires que les États-Unis aimeraient voir au pouvoir; et trouver un point d’équilibre entre les aspirations indépendantistes des Kurdes sans provoquer les différents États où ils vivent. Et tout cela doit être fait en laissant la France prendre le commandement des opérations et en tirer les bénéfices.

Ressources

Les politiciens ont bien souvent tendance à sous-estimer le coût des moyens visant à atteindre leurs objectifs. Bill Clinton avait limité sa campagne au Kosovo à des frappes aériennes; George W. Bush impliqua de trop maigres ressources et adopta des plans inadaptés à ses objectifs ambitieux en Irak et en Afghanistan; Obama a fixé un calendrier de départ des troupes d’Irak et d’Afghanistan, mais n’a pas souhaiter s’engager à fond en Syrie et insisté sur le fait que les États-Unis «n’emploieraient pas de troupes au sol» en Syrie.

La logique politique d’une telle décision est claire: les présidents veulent faire croire à l’opinion publique que les objectifs sont atteignables et ne les empêcherons pas de s’attaquer aux problèmes intérieurs. Les président préfèrent bricoler un peu et, si cela s’avère insuffisant, bricoler un peu plus. C’est exactement ce qu’Obama a tenté en Irak et en Syrie, en ordonnant l’envoi de quelques centaines de formateurs et une poignée de frappes aériennes et de soldats des forces spéciales. Mais l’escalade graduelle du conflit a envoyé un mauvais message à l’ennemi –elle est le signe des limites que les pays s’imposent, encourageant ainsi ses ennemis à poursuivre la lutte. Et ça n’est clairement pas la manière dont Hollande entend approcher ce conflit.

Compassion

La force militaire sera un élément essentiel de cette stratégie, mais ne peut à elle seule vaincre l’État islamique. En plus de détruire tout ce qu’elle peut détruire au sein de ce groupe djihadiste, l’Amérique doit également délégitimer ce qui en reste et empêcher les autres terroristes d’attaquer son territoire. Il ne peut suffire, comme l’a récemment fait Obama, de dire que nous ne pouvons pas vouloir réussir davantage que les habitants de la région. C’est confondre volonté et capacité et insulter ceux qui travaillent à la naissance d’un Proche-Orient en paix. Comme François Heisbourg, président de l’Institut international des études stratégique l’a déclaré au Financial Times samedi 14, la manière dont les autres pays vont réagir aux attaques de Paris vont permettre de déterminer si Daech a réussi ou non son coup.

Ils auront gagné si le monde traite les réfugiés quittant la Syrie et l’Irak comme des terroristes. La menace de terroristes utilisant la couverture des réfugiés pour infiltrer les sociétés occidentales est réelle et la radicalisation des musulmans y vivant déjà l’est tout autant. Mais la surveillance et le contrôle sont des outils plus sûrs et plus précis que la fermeture des frontières face à des gens qui fuient, effrayés par les mêmes menaces qui effraient l’Occident. Iyad el-Baghdadi, activiste du Printemps arabe basé en Norvège, a quant à lui affirmé sur Twitter que faire preuve de compassion à l’égard des réfugiés est un élément majeur pour discréditer Daech et contribue à changer les perceptions de l’Occident pour les habitants de la région. Obama ne devrait donc pas seulement jouer le rôle du porte-parole de l’Occident, mais également adopter des politiques que d’autres pourraient suivre au lieu de traiter les réfugiés syriens comme un problème européen.

Obama peut donc se décharger d’une partie du fardeau que constitue cette guerre ardue et longue sur d’autres épaules capables de les supporter, à la condition de savoir se mettre en retrait. Mais il faudra encore prendre des décisions.

cover
-
/
cover

Liste de lecture