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La France est-elle prête pour affronter une attaque de terrorisme chimique?

La Cop 21 fait ressurgir la menace du terrorisme chimique à Paris.

Un expert des armes chimiques des Nations Unies à Damas le 29 août 2013. REUTERS/Mohamed Abdullah
Un expert des armes chimiques des Nations Unies à Damas le 29 août 2013. REUTERS/Mohamed Abdullah

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S'exprimant devant l'Assemblée nationale avant l'examen du projet de loi prolongeant l'état d'urgence Manuel Valls a pour la première fois évoqué le risque d’attaques chimiques et bactériologiques

«Nous sommes en guerre, pas une guerre à laquelle l'histoire nous a tragiquement habitué. Cette guerre nouvelle reste une guerre planifiée menée par une armée criminelle. Ce qui est nouveau ce sont les modes opératoires, les façons de frapper, de tuer, évoluent sans cesse. C'est une guerre dont le front se déplace constamment et se retrouve au cœur même de notre vie quotidienne. L'imagination macabre des donneurs d'ordre est sans limite: fusil d'assaut, décapitation, bombe humaine, armes blanches (…). Il ne faut aujourd'hui rien exclure et je le dis avec toutes les précautions qui s'imposent mais nous savons et nous l'avons à l'esprit, il peut y avoir aussi le risque d'armes chimiques et bactériologiques»

Cette hypothèse a conduit la Direction générale de la Santé à prendre, dans l’urgence, des mesures sanitaires de nature à faciliter par les médecins urgentistes la prise en charge de personnes exposées au risque mortel d’une intoxication par des gaz neurotoxiques.

Ces substances gazeuses agissent à très faible dose en bloquant la transmission des influx nerveux. Ces agents mortels sont très rapidement absorbés par la peau, le tissu conjonctif oculaire et les muqueuses des voies respiratoires. L’intoxication se fait donc par voie percutanée, oculaire, pulmonaire et orale. 

Les premiers gaz de ce type ont été fabriqués et étudiés dans les années 1930 en France et en Allemagne. L’un des plus tristement célèbre est le gaz sarin. Ces gaz font l’objet, en France, d’un chapitre particulier du plan Piratox. 

Une menace ancienne

Cette menace n’est pas nouvelle. «Le risque d’attaques par gaz neurotoxiques sur Paris avait déjà été évoqué en 1991, au début de la première guerre du Golfe», explique à Slate.fr le Dr Hervé Raffin, du Samu de Paris:

«Nous avions alors été sérieusement mis en alerte devant ce type d’attentat. Puis la chose s’était reproduite en 1995. J’étais régulateur au SAMU le 25 juillet lors de l’attentat du GIA au RER B à la station Saint-Michel. Nous avions été marqués par l’attaque au gaz sarin perpétrée en mars 1995 dans le métro de Tokyo». Cette attaque au Japon avait fait 13 morts et plus de 6000 blessés.

Hervé Raffin poursuit, se souvenant de ces attentats de 95 à Saint-Michel: 

«Les premiers appels provenaient de personnes attablées en terrasse et qui voyaient sortir des personnes ensanglantées. Je redoutais tout particulièrement l’usage des gaz neurotoxiques à l’arrivée de nos premières équipes sur place. Et j’avais insisté auprès de mes collègues pour qu’ils ne descendent pas avant que tout soit sécurisé. Ils n’avaient d’ailleurs tenu aucun compte de mes conseils…»

Le sulfate d’atropine: le seul médicament adapté

Aujourd’hui c’est un arrêté du Professeur Benoît Vallet, directeur général de la santé qui témoigne de la prise en compte du risque. Signé du 14 novembre il a été publié au Journal Officiel du 15: «Arrêté du 14 novembre 2015 autorisant l’utilisation de sulfate d’atropine, solution injectable 40 mg/20 mL PCA antidote des neurotoxiques organophosphorés».

«Sulfate d’atropine»? L'atropine est l’un des rares antidotes efficaces connu contre ces armes chimiques. Cette molécule est aussi utilisée en médecine mais dans des conditionnements très différents, beaucoup plus petits ( l millilitre ou moins), que ceux qui viennent d’être autorisés par le Directeur général de la Santé. Or dans l’hypothèse d’une attaque chimique les médecins urgentistes devraient pouvoir disposer d’emblée de grandes quantités et non de simples doses unitaires. C’est ainsi que l'arrêté crée une dérogation pour le déblocage de l'atropine injectable en grand conditionnement (40 mg/20ml) – une spécialité qui n’est produite en France que par la seule Pharmacie Centrale des Armées.

Il n’existe pas d'autre médicament adapté à la prise en charge en urgence de personnes venant d’être exposées à des neurotoxiques organophosphorés. Ces substances (insecticides organo-phosphorés, neurotoxiques de guerre et carbamates, médicaments parasympathomimétiques ou cholinomimétiques)  sont des armes chimiques redoutables pouvant être utilisées en masse à des fins terroristes. Et pour le Directeur général de la Santé il convient aujourd’hui «de prendre toute mesure utile pour prévenir les atteintes graves pour la santé, en cas d’exposition d’un nombre potentiellement important de victimes à des neurotoxiques organophosphorés».

Coïncidence de calendrier: la Cop21

Pourquoi maintenant? On fait savoir, auprès de la Direction générale de la Santé, que la date de signature de l’arrêté ne doit pas induire en erreur: les évènements tragiques du 13 novembre sont une coïncidence. Comme le précise le professeur Benoit Vallet, cette mesure vise avant tout à améliorer les garanties de sécurité de la COP 21 (30 novembre -11 décembre).

Les autorités sanitaires redoutent notamment que l’accueil sur le territoire français d’un sommet de chefs d’Etat, préparatoire expose «au risque d’attentats terroristes d’exposition aux neurotoxiques organophosphorés»

Il y avait bien eu, récemment, une autorisation de mise sur le marché français délivrée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé pour le sulfate d’atropine dans le conditionnement 40 mg/20 mL. «Mais les contraintes de fabrication et d’étiquetage ne permettent pas sa mise à disposition dans des délais compatibles avec l’organisation de la COP 21» explique le Pr Vallet. Les urgentistes espèrent quant à eux pouvoir être livrés en temps et en heure.

Dans le même souci de réduction des risques le gouvernement a décidé, mercredi 18 novembre, d’annuler la grande manifestation qui devait se tenir dans la capitale (entre les places de la République et de la Nation) le dimanche 29 novembre, à la veille de l’ouverture de la COP21. Il en ira de même de même pour les événements prévus le dimanche 12 décembre, au lendemain de la clôture de la conférence. Les mêmes interdictions valent pour toutes les manifestations prévues sur la voie publique dans les autres villes de France. Le ministère des Affaires étrangères explique que ces mesures sont prises dans le cadre «du renforcement des mesures de sécurité».

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