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De Beyrouth à Paris, un même deuil et deux drapeaux sur la toile

Alors que le Liban et la France ont été frappés à 28 heures d’intervalles par des attaques kamikazes, les Libanais ont partagé leur douleur avec le peuple français.

Des Libanais allument des bougies sur les lieux de l'attentat du 12 novembre. REUTERS/Hasan Shaaban.
Des Libanais allument des bougies sur les lieux de l'attentat du 12 novembre. REUTERS/Hasan Shaaban.

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Beyrouth (Liban)

«Même terreur, mêmes larmes», titrait, samedi 14 novembre au matin, le quotidien libanais L'Orient Le Jour, alors que Paris et Beyrouth ont été frappés, à 28 heures d'intervalles, par deux vagues d'attentats d'une violence inouïe. «Un 11-septembre français... Daech exécute ses menaces», accusait de son côté le quotidien Assafir, tandis qu’Annahar évoquait dans sa Une «la guerre du terrorisme contre la France».

Les unes de L'Orient Le Jour et Al-Akhbar

«Après la Dahieh [banlieue sud de Beyrouth, ndlr], les tatars envahissent Paris», annonçait pour sa part, non sans sarcasme, le quotidien Al-Akhbar, proche du régime syrien et défenseur de la thèse selon laquelle Paris, à l'instar de plusieurs capitales occidentales opposées au maintien de Bachar el-Assad au pouvoir, aurait nourri l’extrémisme en soutenant et armant l’opposition syrienne.

Dans son éditorial intitulé «Le même deuil de Paris à Beyrouth», le rédacteur en chef adjoint du quotidien, Pierre Abi Saab, constatait:

«Non il ne s'agit pas du scénario d'un film de guerre ou d'action de mauvais goût. Non, ce cauchemar ne se produit pas dans une ville arabe, dans cette partie maudite du monde, habituée à toutes les formes de catastrophes et qui paie généralement le prix des ambitions stratégiques et des politiques coloniales. Cela se déroule au cœur de la capitale d'une grande nation, qui a son mot et son rôle dans les guerres, les conflits et les tremblements que connaît la planète [...].»

Dans les messages de condoléances envoyés par les responsables libanais, c’est surtout l’inquiétude qui a prévalu depuis vendredi. «Après le 11 septembre 2001 à New York, le monde est entré dans un état chaotique en Afghanistan et en Irak. Après le 13 novembre à Paris, le chaos à venir sera énorme», mettait ainsi en garde le leader druze Walid Joumblatt sur son compte Twitter.

Quand au chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, il a condamné «les crimes terroristes de Daech en France et le massacre des innocents», ajoutant que les «récents attentats […] prouvent que les terroristes ne connaissent aucune limite dans leurs crimes et qu’il faudra des efforts collectifs pour les combattre», lors d’un discours télévisé transmis samedi soir.

Logique morbide

À Paris comme à Beyrouth, la logique morbide des assaillants, visant à faire le plus grand nombre de morts, a suscité l'effroi le plus absolu. Dans la banlieue sud de la capitale libanaise, la double explosion, qui s'est produite jeudi dans une rue commerciale à une heure de grande affluence, a fait 44 tués et 239 blessés –tous des civils. Le bilan aurait pu être encore plus lourd si un autre kamikaze n'avait pas été intercepté in extremis par un passant, lequel est parvenu, au prix de sa vie, à empêcher le terroriste de pénétrer dans une «Husseiniyé» (mosquée chiite). Le lendemain, en France, huit djihadistes ouvraient le feu et provoquaient des explosions au Stade de France et dans des lieux ultra-animés et fréquentés par la jeunesse parisienne dans les Xe et XIe arrondissements.

Encore vive, l'indignation était de retour samedi matin sur les réseaux sociaux au Liban pour condamner ces deux carnages contre des civils français et libanais. «Indicible horreur. Pas de mots», lançait ainsi Belinda sur son compte Facebook. «Paris is bleeding! Paris will prevail! Liberté, égalité, fraternité», ajoutait de son côté Nader.

En l'espace de quelques heures, l'emblème national, le cèdre du Liban, s'est invité sur le drapeau français dans les photos de profils de plusieurs internautes, comme un hommage commun aux victimes de Bourj el Barajné et de la région parisienne, tandis que d’autres ont exprimé leur solidarité à travers une même bougie représentant le «i» commun aux noms des deux capitales, Paris et Beirut.


Au Liban, qui entretient depuis longtemps d’étroits liens avec la France –une grande partie de la population est francophone, plus de 20.000 binationaux y résident, sans compter les 120.000 Libanais vivant dans l’Hexagone–, l’annonce des attentats de Beyrouth et Paris a, en effet, créé une double onde de choc. «Hier à Beyrouth où vivent ma famille et mes amis, aujourd’hui à Paris où moi et certains amis vivons…Tristes jours», lançait ainsi Ali, 24 ans. 

Dans un témoignage à L’Orient-Le Jour, Nadim, franco-libanais de 40 ans présent au Bataclan vendredi soir, atteste de l’horreur:  

«Nous nous sommes immédiatement couchés à terre, alors que d'autres autour de nous tombaient, atteints par les balles. Nous étions comme des pigeons d'argile. Ma compagne et moi, nous étions en chien de fusil par terre. […] On entendait des coups de feu séparés, suivis parfois de gémissements. Je me rappelle avoir pensé à cet instant: "Quand est-ce que ça va être notre tour?" Chaque instant qui passait, je me disais que nous étions encore en vie, que nous tenions le coup. J'ai une seconde de plus à vivre, j'ai de la chance. Mais jusqu'à quand?", témoigne-t-il.  

Beyrouth, Paris… et Bagdad?

Ce week-end, plusieurs internautes libanais s’étonnaient toutefois de l’absence de mention des 19 victimes irakiennes, ce même vendredi 13, dans l’attentat-suicide contre une mosquée de Bagdad. La bougie confondant le «i» de Paris et Beirut n’a ainsi pas tardé à embrasser les voyelles de pays voisins quotidiennement meurtris par le terrorisme.


«Le fait que la même "valeur médiatique" donnée aux victimes des horribles attaques de Paris n’ait pas été accordée aux victimes de Beyrouth et de Bagdad est un autre visage de cet apartheid mondial qui fait la différence entre ceux du Nord et ceux du Sud. Cet univers binaire est précisément ce sur ce quoi s’appuie une entité millénariste comme celle de l’Etat islamique», s’indigne Panos sur Facebook. «Quand mes compatriotes ont trouvé la mort dans les rues de Beyrouth le 12 novembre, aucun pays n’a pris la peine d’allumer ses monuments aux couleurs de mon pays. Même Facebook n’a pas pris la peine de vérifier que mon peuple était en sécurité […]», remarque Elie Fares, auteur du blog «A Separate State of Mind».

Par ailleurs, si les condamnations et l’inquiétude face à un acte terroriste sans précédent commis sur le sol français étaient unanimes, les grilles d’analyse et la nature de la réponse à apporter ont varié dans ce pays qui reste profondément divisé entre «pro» et «anti» régime syrien. Pour certains, Paris est en train de récolter la monnaie de sa pièce, que ce soit par realpolitik, laxisme ou encore naïveté. «Les Parisiens ont fort malheureusement récolté le fruit de la politique médiocre (de leur gouvernement) en étant passif envers l’immigration et le radicalisme musulman et en faisant la guerre à un régime qui confronte l'Etat islamique et les terroristes», lançait ainsi Chadi sur sa page Facebook, avant d’ajouter à l’adresse de ses compatriotes: «Nous devons nous unir autour de notre armée et de notre résistance [le Hezbollah, ndlr], qui ont sacrifié leurs vies durant les quatre dernières années pour garantir notre sécurité.»

Depuis les attaques à Paris, désormais, celle-ci n’est même plus garantie dans des pays autrefois considérés comme intouchables, estiment en effet beaucoup de Libanais, dont certains avaient trouvé refuge dans la ville lumière pour fuir les combats et les attentats qui ont ponctué leur vie pendant trois décennies.

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