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La tuerie de deux heures et demie qui a frappé le Bataclan, vendredi 13 novembre au soir, a fait 82 morts, selon le dernier bilan stable. Parmi les victimes, de «simples» spectateurs, des journalistes musique, des employés de maisons de disque... Des victimes coupables, aux yeux de Daech, d'être mélomanes.
La question «Pourquoi le Bataclan?» est de mise. Et la réponse stratégique, géographique, aux yeux des terroristes, ne peut évidemment être occultée. Elle est même centrale dans les tentatives de compréhension du mode opératoire des attentats. Située à mi-chemin entre les différents points d'attaque (rue Bichat et rue de la Fontaine-au-Roi d'un côté, rue de Charonne et boulevard Voltaire de l'autre), le Bataclan aurait vraisemblablement servi de lieu de repli pour les terroristes. Avec la suite et l'issue que l'on connaît.
Mise au feu d'instruments
Frapper la musique n'a pourtant rien d'anodin aux yeux de Daech. L'organisation dénonce depuis ses premières apparitions dans les médias occidentaux l'aspect blasphématoire de la musique. En février dernier, elle avait ainsi procédé à la mise au feu de plusieurs instruments, et pas n'importe lesquels: des saxophones, des pièces de batterie, des instruments dits occidentaux. Car l'islam radical ne condamne pas la musique, il combat une certaine musique, celle qui ne respecte pas les impératifs de la piété. Une nuance que l'islamologue Oliver Hanne expliquait précisément sur Le Plus:
«À compter du IXe siècle, plusieurs traités dénoncèrent les malâhî et la danse comme une occasion de faute suscitée par le diable, car l’instrument éloigne de la vie dévote. Cette nouvelle perception se répandit rapidement et s’imposa dans tous les courants réformateurs et rigoristes.»
Pour justifier son attaque et le choix de ce lieu, Daech invoque dans un communiqué «une fête de perversité pour des centaines d'idolâtres». Bien loin selon eux des nasheeds, ces chants traditionnels arabes réinterprétés a capella, dont l'utilisation d'instruments est donc évincée, et servant de bande-son à plusieurs vidéos de propagande.
Il y a trois mois, déjà, un Parisien de 30 ans, revenu des rangs de Daech en Syrie, projetait de s'attaquer à une ou plusieurs salles de concert sur le territoire français, des consignes émanant de ses contacts en Syrie:
«Après un mois et demi de surveillance, la DGSI a décidé de l'arrêter, même s'il n'avait pas encore choisi le lieu ni la date de son attentat et n'avait pas acheté d'arme. Malgré cela, les enquêteurs ont considéré que son projet était suffisamment sérieux pour l'appréhender.»
Si la vie quotidienne, si l'insouciance et le sentiment de sécurité sont durement touchés par ses attentats visant des lieux de vie, c'est aussi un style de vie, des loisirs qui sont visés. Une certaine idée de la musique et de la culture, en contradiction totale avec celle de Daech. Si les attentats du 11 janvier avaient ciblé des symboles, il en va de même pour ceux du 13 novembre.
Le Bataclan déjà visé
Le Bataclan et les attaques terroristes, ça n'est malheureusement pas tout à fait nouveau. Et si les faits n'ont bien sûr jamais atteint ce niveau de gravité, il faut tout de même se rappeler de Farouk Ben Abbes qui, en 2011, avait projeté de s'attaquer à la salle de spectacle. Une intention dévoilée par une de ses proches lors d'une audition, et motivée par le fait que «les propriétaires sont juifs». Les deux protagonistes appartenaient au groupe islamiste Jaish al-Islam, a qui l'on attribue l'attentat du Caire le 22 février 2009, qui avait tué une jeune Française et en en avait blessé vingt-quatre autres.
Auparavant, la salle avait déjà reçu des menaces. En 2008, alors que le lieu avait accueilli le gala annuel du Magav (la police aux frontières israélienne), une vidéo tournée à Gaza montrait de jeunes Palestiniens menacer le Bataclan: «La prochaine fois, on ne viendra pas pour parler.» Un an plus tôt, plusieurs autres menaces avaient été proférées à l'encontre du lieu pour avoir accueilli des conférences ou autres galas mis en place par des organisations juives (le Migdal, entre autres).
A noter aussi le fait que le groupe présent sur scène lors de l'assaut, Eagles of Death Metal, était allé jouer en Israël, à Tel Aviv, place forte de la culture du pays, le 12 juillet dernier. «Je ne boycotterai jamais un tel endroit», assenait alors sur scène le chanteur Jesse Hughes, cofondateur du groupe en 1998 avec Josh Homme. Ses propos suivaient une controverse après que Roger Waters, ex-bassiste des Pink Floyd connu pour ses prises de position politiques, lui ai demandé par lettre de reconsidérer cette date israélienne au nom du fameux mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions). «Vous savez ce que je lui ai répondu? Deux mots: Fuck You!» Ca avait le mérite d'être clair. Peut-être que le message a aussi été entendu par les assaillants du 13 novembre et leurs commanditaires.