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On ne fait pas la guerre aux terroristes comme on la fait aux États

Dans la guerre asymétrique, la supériorité militaire ne suffit plus à imposer la paix à un ennemi plus faible en armement et en capacités techniques, mais qui compense cette relative infériorité par un excès de résolution.

Une frappe aérienne dans la zone de al-Hawl, en Syrie, le 10 novembre 2015. REUTERS/Rodi Said.
Une frappe aérienne dans la zone de al-Hawl, en Syrie, le 10 novembre 2015. REUTERS/Rodi Said.

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Les mots ont été galvaudés à force d’avoir été trop utilisés à tort et à travers. La «guerre au terrorisme» est devenue le mot d’ordre de la politique américaine avec George W. Bush. Deux conflits ont été menés en son nom, en Afghanistan et en Irak. Deux conflits perdus. Des victoires tactiques ont débouché sur des défaites stratégiques, comme disent les experts militaires. La puissance armée des Etats-Unis et de leurs alliés a permis de gagner des batailles mais pas de vaincre les talibans ni de créer un Etat stable en Irak, capable d’affronter Daech.

C’est le propre de ce que les polémologues ont appelé la «guerre asymétrique». On ne fait pas la guerre au terrorisme ni aux terroristes comme on faisait la guerre au temps des conflits entre Etats. Ce qui n’empêche pas François Hollande d’avoir raison d’affirmer que «nous sommes en guerre» parce que l’Etat islamique nous fait une guerre non déclarée alors que nous cherchions à assurer notre sécurité par des mesures «antiterroristes».

Dans cette guerre asymétrique, les données ont changé. La supériorité militaire ne suffit plus à imposer la paix à un ennemi plus faible en armement et en capacités techniques, mais qui compense cette relative infériorité par un excès de résolution. Alors que les Américains cherchaient dans la Révolution des affaires militaires (RMA) le «zéro-mort», les ennemis du monde occidental propageaient le culte du martyr qui meurt pour sa foi. Ils n’avaient pas besoin d’avoir lu Sénèque pour savoir que «celui qui méprise sa vie est maître de la tienne». Ils frappent où et quand ils veulent sans respecter aucune règle et sans avoir peur de la mort. Avec eux, il n’y a pas de compromis possible parce qu’il n’y a rien à négocier.

Chaos généralisé

Les lignes sont brouillées, les clivages traditionnels s’estompent. Au début des années 1990, George Bush père promettait un «nouvel ordre international» sur les décombres de la guerre froide. A la place c’est un chaos généralisé qui s’est installé. La distinction entre alliés, adversaires, partenaires, rivaux devient confuse. Les Etats perdent de leur pouvoir tandis que des groupes infra-étatiques se dotent des prérogatives et des moyens des Etats.

La confusion est à son comble avec Daech, qui se veut un Etat sans en être vraiment un, tout en assumant certaines de ses fonctions (monnaie, passeport, administration). Un Etat qui n’a pas d’abord pour base un territoire mais une religion et qui se comporte en même temps comme une organisation terroriste aux ramifications à la fois proliférantes et autonomes. Avec pour autre conséquence la disparition de l’opposition entre interne et externe, national et étranger, comme on le voit encore dans les attentats de Paris.

Il est très difficile de combattre un ennemi dans de telles conditions. La stratégie qui a été suivie jusqu’à maintenant par la France semble accumuler les inconvénients. Elle a consisté dans un premier temps à apporter son soutien à la coalition internationale formée autour des Etats-Unis en participant à des vols de reconnaissance et en menant quelques frappes ciblées mais limitées sur les positions de Daech en Irak. François Hollande avait exclu de suivre la coalition dans ses opérations en Syrie. Deux raisons étaient alors avancées: l’absence de légitimation internationale (en Irak, la coalition agit à la demande du gouvernement irakien, ce qui n’est évidemment pas le cas en Syrie) et la crainte de renforcer par contrecoup le pouvoir de Bachar el-Assad.

En septembre, changement tactique: la France commence à frapper des positions de Daech en Syrie. Explication officielle: il s’agit d’une mesure de «légitime défense» justifiée par l’attaque terroriste dans le Thalys Amsterdam-Paris, dont les commanditaires se seraient trouvés en Syrie. Les chasseurs français partis des pays du Golfe, qui devaient recevoir l’appui du porte-avions Charles De Gaulle, visaient des postes de commandement de l’Etat islamique. Cependant François Hollande excluait l’envoi de troupes au sol et le principe «ni Daech, ni Assad» était réaffirmé.

Au moins trois questions

Après les attentats du vendredi 13 novembre, les dirigeants français ne peuvent faire l’économie d’une réflexion sur leur politique vis-à-vis de la Syrie. Et de se poser au moins trois questions.

1) Quelle réponse sur le plan militaire? Une intensification des frappes aériennes est-elle suffisante, alors que tous les experts savent qu’un tel conflit ne peut être gagné seulement dans les airs? Sinon, faut-il envisager l’envoi de soldats français participer à la lutte contre Daech?

2) Si la lutte contre l’Etat islamique devient la priorité absolue, à la fois pour ne pas laisser impunie la tuerie de Paris et pour tenter de prévenir d’autres attentats, une coopération tactique et provisoire avec Bachar el-Assad est-elle inévitable?

3) Un réexamen plus large des alliances dans la région n’est-il pas indispensable? Il conduirait à s’interroger sur la fiabilité des Etats sunnites du Golfe, qui sont plus préoccupés à contenir l’influence de l’Iran que de lutter contre Daech. Il poserait aussi la question du rapport à la Russie. Celle-ci bombarde en Syrie depuis la fin septembre tous les groupes hostiles à Assad, en appui aux forces du régime de Damas et aux soldats iraniens et affiliés, afin d’imposer une solution politique à ses conditions.

Même si elle n’est pas la première touchée par l’afflux de réfugiés syriens, la France explique, avec ses partenaires européens, qu’il est nécessaire non seulement d’organiser l’accueil de ces migrants mais aussi de traiter les causes de l’exode à la source. Elle pense y contribuer en intervenant directement contre Daech –et elle est bien seule en Europe. Cette intervention a un prix qui peut paraître d’autant plus élevé que le coût de l’inaction reste inconnu.

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