Santé

Comment l'endométriose s'est imposée dans le débat public

Voici l’histoire d’une mobilisation qui a réussi en quelques mois à faire passer une maladie de l’ombre totale à la (relative) lumière. Le ministère a saisi la Haute autorité de santé.

<a href="https://www.flickr.com/photos/euthman/4771220585/">Endometriosis in Wall of Fallopian Tube</a> |PROEd Uthman via Flickr CC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/">License by</a>
Endometriosis in Wall of Fallopian Tube |PROEd Uthman via Flickr CC License by

Temps de lecture: 16 minutes

«Nous avons avancé, mais il reste encore un énorme chemin à faire. Des milliers de femmes doivent maintenant sortir de l’ombre», martèle avec conviction la docteure Chrysoula Zacharopoulou, gynécologue chirurgienne et spécialiste de l'endométriose à l'hôpital Trousseau, à Paris. 

Dans un café place Colette, à Paris, celle qui s’est battue auprès du ministère pour faire connaître la maladie, est émue: le sujet lui tient à cœur. Après plusieurs années de concertations avec les différents acteurs du milieu, de discussions avec les élus, de travail de persuasion auprès de diverses personnalités connues pour en faire des porte-paroles de la cause, voilà que son action et celle des associations commence à porter ses fruits auprès du public. Mais pourquoi et par quel chemin cette mobilisation a-t-elle réussi à se faire entendre?

L’endométriose, une maladie qui provoque d’intenses douleurs pendant les règles chez les femmes, voire en dehors de la période des règles, est aussi vielle que l’histoire de la médecine moderne, voire que l’histoire de l’humanité. Cette maladie qui handicape certaines femmes jusqu’à les clouer au lit pendant une semaine se caractérise par «la présence de muqueuse utérine en dehors de l’utérus», comme l’a décrite le premier un médecin, Karel Rokitansky, en 1860. C’était il y a plus de cent cinquante ans, les antibiotiques n’existaient pas encore et l'anesthésie commençait tout juste à se développer. 

En 1927, un autre praticien, le docteur John Albertson Sampson, apporte la première théorie sur le sujet, qui fait encore référence pour la plupart des médecins qui n'ont pas été formés à la maladie: ce sont les reflux de sang qui seraient à son origine, lorsque celui-ci ne parvient pas à s’écouler par le vagin et pénètre dans les trompes ou la cavité péritonéale. En réalité, il existe bien d'autres intéreprétations de cette maladie méconnue. 

La difficulté du diagnostic

90% des femmes ne sont atteintes que de formes minimes à modérées. Mais les 10% restantes connaissent de multiples problèmes. C'est tout d'abord un long parcours du combattant avant d'être diagnostiqué. Typhaine raconte, dans un papier publié sur le site du Monde en mars 2015, avoir fait plusieurs échographies à l'âge de 23 ans, qui n'ont rien montré. Elle a ensuite pris pendant six ans des antalgiques, mais les douleurs ont empiré, jusqu'à l'empêcher de dormir et de manger. Ce n'est qu'à l'âge de 29 ans, lorsque sa gynécologue lui prescrit une IRM, que la maladie est repérée. 

Claire, 34 ans, a d'abord vu un gynécologue qui l'a mise sous contraceptif; puis un généraliste qui lui a dit qu'il devait s'agir d'une gastro; puis, à la suite de fortes douleurs dans l'épaule, une radio a montré un «pneumothorax spontané». «Un mois plus tard, j’ai dû retourner aux urgences car j’avais du mal à respirer et des douleurs insoutenables. Ma mère avait vu une émission sur l’endométriose. J’ai soumis cette hypothèse aux médecins. Ils m’ont diagnostiqué une endométriose avec atteinte pulmonaire et, au niveau du diaphragme, une forme rare de la maladie». «Actuellement, le délai moyen entre l'apparition des premiers symptômes et le diagnostic chirurgical est de sept ans», explique Marina Kvaskoff, chercheuse à l'Inserm. 

Actuellement, le délai moyen entre l'apparition des premiers symptômes et le diagnostic chirurgical est de sept ans

Marina Kvaskoff, chercheuse à l'Inserm

Une fois le diagnostic posé, les problèmes sont loin d'être résolus. Il faut souvent de nombreuses opérations avant que la maladie soit éradiquée, au risque de devenir stérile. C'est le cas de Typhaine, opérée deux fois par cœlioscopie, puis hospitalisée dix jours à la suite d'une infection à l'ovaire: «Le chirurgien a clipsé les trompes, empêchant toute grossesse naturelle future. Au réveil, cette annonce a été un choc.» Les femmes qui ont la maladie peuvent connaître de nombreux arrêts de travail, courant parfois sur plusieurs années. Comme Claire, opérée elle aussi plusieurs fois, et qui a eu recours à trois fécondations in vitro pour avoir des enfants. 

Mais, bien qu’elle touche selon les estimations entre 6 et 10% des femmes(1), la maladie a été totalement ignorée du grand public pendant des années. Elle l'est aujourd'hui encore amplement, alors même qu'un diagnostic précoce apparaît comme central dans sa prise en charge. Ce n’est semble-t-il qu’en 2014 que l’endométriose parvient à la connaissance d’un public moins confidentiel, année où de nombreux médias vont soulever le couvercle de ce fléau. 

Pics de publications presse en 2014 et 2015

Dans les archives du quotidien Le Monde, il faut remonter à 1985 pour trouver un quelconque papier sur le sujet avant cette date. Son titre –«Stérilité: les mystères de l'endométriose» souligne le flou qui règne sur cette maladie, encore mal connue, et autour de laquelle on organise alors la première enquête épidémiologique. En soixante ans d’archives du principal quotidien français, on trouve bien peu de choses sur le sujet, si ce n’est des mentions très brèves ça et là. Telles que dans cet article datant de 1972, intitulé «Tu soufriras chaque mois».

Récemment, en 2014 et 2015, trois articles ont cependant été publiés par le quotidien sur ce sujet. Et des centaines d’autres dans la presse, comme le montre ce graphique de l’outil Google Trends, qui mesure les articles d’actualité publiés sur le sujet depuis 2008. On y voit deux pics très clairs en 2014 et 2015:

 

De nouvelles associations, une marche mondiale

La raison principale de cette soudaine profusion d’articles depuis deux ans, avancée par la plupart des acteurs du domaine, est la création récente de plusieurs associations. Cinq organisations principales, dont quatre sont réunies en un collectif, contribuent aujourd’hui à faire connaître la maladie. Or, trois d’entre elles ont été créées en 2011: Ensemble contre l’endométriose, Lilli H. contre l’endométriose, et Mon Endométriose Ma Souffrance (MEMS). Endomind s’est créée en 2014. Endofrance est quant à elle plus ancienne, et a été créée en 2001. «Cela a donné un nouvel élan à l’information et au soutien des femmes», explique Katy Chamousset, présidente d’Ensemble Contre l'Endométriose. Selon Vanessa Faure, de MEMS, ces associations auraient «accéléré leurs actions ces deux dernières années», notamment en organisant une marche à Paris à partir de 2014:

Marche mondiale contre l'endométriose, le 13 mars 2014, par France : Million Woman March For Endometriosis.

«Cet événement créé autour de l’endométriose a permis une prise de parole des femmes atteintes alors que cette maladie touchant aux règles était encore tabou. Cela a aidé au travail des associations, à la médiatisation de la maladie, à la prise de conscience des pouvoirs publics», estime Nathalie Clary d’Endomind. EndoFrance explique, de son côté, organiser chaque année en mars depuis 2004 des conférences grand public «notamment pendant la semaine de prévention et d'information sur l'endométriose». Mais c’est la marche qui, véritablement, semble avoir permis une percée médiatique.

Cette action des associations, particulièrement depuis 2011, est corroborée par une autre recherche sur l’outil Trend de Google, qui mesure non pas cette fois le nombre d’articles de presse, mais les recherches effectuées par les internautes en France de 2004 à aujourd’hui. Or un pic très clair apparaît à partir de 2011, comme si l’action des associations se mesurait immédiatement auprès du public, qui se met à rechercher dès 2011 beaucoup plus des informations sur ce sujet, alors même que très peu ou pas d’articles de presse paraissent alors. On peut voir ensuite deux séries de pics très nets en 2014 et 2015, au moment où des articles paraissent:

 

L'implication d'une femme gynécologue

À côté de ces associations, des praticiens ont joué un rôle moteur. C’est le cas de Chrysoula Zacharopoulou. La docteure grecque a fait une partie de ses études en Italie, l’un des premiers pays à avoir pris au sérieux l'endométriose. L’Italie a notamment donné suite à une déclaration écrite du Parlement européen de 2004 sur la maladie, invitant les États-membres «à sensibiliser l'opinion à l'affection débilitante que constitue l'endométriose», estimant qu’«au sein des États membres, le corps médical tout comme le grand public ne sont guère sensibilisés à cette maladie» qui touche «une femme sur dix au sein de l'Union européenne». Un plan d’action est alors lancé au Sénat italien, auquel participe la praticienne. 

Chrysoula Zacharopoulou, capture d'écran

Arrivée en France en 2007, Chrysoula Zacharopoulou présente le résultat de ses recherches au CHU de Strasbourg, invitant à reconnaître la maladie comme une pathologie qui a d’importantes conséquences sociales pour les femmes qui sont touchées. Elle met en avant les difficultés du quotidien et l’impact sur la productivité au travail.

D'une grande sensibilité, celle qui a grandi dans une famille résolument socialiste fond en larmes en évoquant son parcours d’éternelle «étrangère», qui selon elle l’a rendue plus à l’écoute des discriminations latentes de la maladie: 

«On met sans arrêt des étiquettes aux gens. On est habitué à ce qu’une maladie soit visible, mais là, cela ne se voit pas. Il y a beaucoup de jugements, et une tendance à se dire que ces femmes sont hypocondriaques».

Mais les années passent, et Chrysoula Zacharopoulou constate à son cabinet les ravages causées par l’absence d’information sur la maladie. Les femmes se présentent à son cabinet toujours trop tard, souvent après avoir été mal orientées par divers généralistes ou spécialistes. Ceux-ci, mal formés, vont diagnostiquer tantôt un colon irritable, tantôt un mal de dos, quand ils ne culpabilisent pas tout simplement les femmes, en leur disant qu’il est «normal» d’avoir des règles douloureuses. 

Marina Kvaskoff, chercheuse à l'Inserm:

«Il faut que cette maladie devienne mieux connue pour qu'elle puisse être détectée plus tôt. Plus on en parlera et plus la maladie sera connue de la population, à la fois des femmes et des adolescentes, mais aussi des parents et des médecins.»

D'une question de santé à une question d'égalité

Chrysoula Zacharopoulou veut donc aller plus loin. À Stanford en 2012, elle rencontre le professeur Nezhat Cameron, l’un des pionniers de la cœlioscopie (à ne pas confondre avec colioscopie), appelée également laparoscopie: une technique chirurgicale mini-invasive de diagnostic (cœlioscopie proprement dite) et d'intervention utilisée pour traiter l’endométriose en enlevant les tissus qui se sont infiltrés hors de l’endomètre. Le professeur est lui-même très impliqué dans le dialogue avec les autorités de santé pour faire évoluer la connaissance de la maladie, et annonce au docteur Zacharoupoulou qu’il veut mettre en place une marche mondiale pour sensibiliser à ce thème. Nezhat Cameron confie l’organisation de cette marche à une association en France, Lilli H. contre l'endométriose, et demande au docteure Zacharoupoulou de les accompagner, raconte-t-elle. 

Bannière de la page Facebook Lilli H. contre l'endométriose

 


 

C’est Chrysoula Zacharopoulou qui va pousser le collectif à transformer ce qui apparaissait aux yeux de nombre d’acteurs de ce domaine comme une question de santé en une véritable question de droits des femmes, en insistant sur le déséquilibre de traitement qui existe entre cette maladie et d’autres comme le diabète. Elle fait valoir que la maladie est sous-diagnostiquée parce qu’il s’agit d’une maladie féminine, et que le tabou des règles empêche de considérer la maladie dans toute son ampleur.

«Je suis née à Sparte, ce n’est pas par hasard», plaisante Chrysoula Zacharopoulou. La cité antique qui domina le monde grec au VIIe siècle avant Jésus-Christ est connue pour son armée réputée imbattable. Et justement, la docteure est fille de militaire. Le découragement ou les lamentations sur son sort, très peu pour elle. «Mon père me disait toujours qu’on ne vit pas seul, et qu’on ne peut se permettre de critiquer le monde dans lequel on vit que si l’on met tout en oeuvre pour le changer.»

Premier rendez-vous au ministère

L’opiniatreté de la praticienne va finir par payer. En mars 2013, Chrysoula Zacharopoulou décroche avec Lili H un rendez-vous au ministère des Droits des femmes. C'est là qu'intervient le troisième maillon de la chaîne. Car si l’information est passée du cadre associatif au grand public, c’est aussi grâce à l’action du politique. A ce titre, ce premier rendez-vous avec le ministère des droits des femmes, en 2013, va s’avérer déterminant. 

Certes, l’association EndoFrance avait commencé à rencontrer des parlementaires à partir de l’année 2003, comme elle l’indique sur son site. Une première question écrite sera aussi posée par un parlementaire au gouvernement en 2005, et trois ans plus tard, ce sont sept parlementaires qui se joignent à une initiative de l’association et interpellent à nouveau l’exécutif. 

Mais c’est en 2013 que les choses vont s’accélerer. Cette année-là, 47 parlementaires soutiennent une initiative qui demande la création et la labellisation de centres de référence dédiés à l’endométriose, le lancement d’une campagne d’information, et une meilleure formation des médecins. Le ministère des droits des femmes de Najat Vallaud Belkacem reçoit les associations et s’engage sur une campagne d’information. L’année suivante, une vidéo avec un message de Najat Vallaud-Belkacem, dans laquelle la ministre se dit «déterminée à mettre en œuvre dans un futur proche les actions de sensibilisation et d’information pour faire progresser la connaissance et la reconnaissance de l’endométriose», contribue à faire connaître le sujet auprès de la presse. Environ 34 sources d’actualité évoquent cette vidéo.


 

C’est à ce moment-là, lorsque le travail des associations rencontre le travail politique, que le sujet est vraiment pris en mains par les médias grand public. Les associations reconnaissent aujourd’hui que si le changement de fonction de l’ancienne ministre des droits des femmes «n’a pas permis de finaliser les projets qui avaient été évoqués» (elle quitte ses fonctions en août 2014 pour prendre la tête du ministère de l'Éducation, ndlr), «l'implication ponctuelle de Madame Vallaud Belkacem a aidé à faire connaître la maladie», comme l’explique Yasmine Candau, Présidente d'EndoFrance.

Des twittos et blogueurs très actifs

Comme dans beaucoup d’autres sujets, le web a aussi contribué à faire connaître la maladie. «Nous travaillons également beaucoup via internet et les réseaux sociaux qui se sont développés et qui ont permis ainsi de mieux faire circuler les informations», explique la présidente d’Ensemble Contre l'Endométriose.

Sur Twitter, des personnalités atteintes de la maladie ont participé à la diffusion des informations. Comme Lunise Marquis, devenue en 2014 adjointe à la Maire du XIIe arrondissement de Paris, ou @modimaginaire, qui racontent leur quotidien ou publient articles, chiffres et relaient les initiatives:

Des people et des femmes victimes

Des pages Facebook ou des blogs ont aussi popularisé le sujet. On peut citer l’émouvant récit de @Chouyo, dans une note de blog au titre explicite, et qui résume bien le désespoir de celles qui sont atteintes: «L’ombre de soi». Elle y décrit cette «petite pieuvre qui enserre lentement de ses tentacules les organes qu’elle peut toucher, enlacer, enserrer, enflammer, infiltrer»:

«Ces “petits désagréments dont on ferait avec s’ils n’étaient si récurrents, si nombreux et si douloureux sont à chaque fois bien réels, et sont en même temps des leurres: c’est un carnaval de fausses sciatiques, de fausses infections urinaires, de faux problèmes intestinaux. C’est tout cela sans l’être vraiment, et ce n’est ni de l’hypocondrie ni de la paresse ni de l’apitoiement sur soi: ce sont les foyers inflammatoires laissés par la maladie».

La photographe Laetitia Insouciance, dont les clichés ont beaucoup circulé sur les réseaux sociaux, a aussi aidé à mettre des visages sur la maladie, tout comme des personnalités plus connues: la chanteuse Imany, ambassadrice de l’association EndoMind, ou l'actrice Julie Gayet, qui travaillerait en ce moment très activement à la préparation de la campagne 2016: «À l'automne, je suis allée la voir, je lui ai expliqué le drame que vivent ces femmes qui n'osent pas parler de leur problème. Elle a accepté d'aider, c'est une femme magnifique», racontait le docteur Zacharopoulou en mai dernier à L’Express.

Au final, si l’endométriose est mieux connue en France, «c'est le reflet des travaux des associations de patientes, des journalistes, et des travaux de recherche ces dernières années», estime la chercheuse Marina Kvaskoff.

Et en dehors de l'Hexagone?

À l’étranger aussi, la maladie est de mieux en mieux connue. L’un des pays les plus avancés en la matière est selon Yasmine Candau, et logiquement, l’Italie, où des centres de références existent, une des demandes de longue date de l’association EndoFrance. En Grande-Bretagne, le sujet a fait irruption dans le débat public fin septembre, lorsque le Guardian a publié une grande enquête sur le sujet. Avant 2015, il était très peu ou pas traité dans les colonnes de l’un des principaux, et des plus sérieux, quotidiens anglais.

Parler des douleurs menstruelles ou de relations sexuelles douloureuses (un des symptomes de l’endométriose, ndlr) est devenu moins difficile

Jane Hudson Jones

«Nous savons aujourd’hui bien mieux parler des tabous et des sujets intimes. Et donc parler des douleurs menstruelles ou de relations sexuelles douloureuses (un des symptomes de l’endométriose, ndlr) est devenu moins difficile», explique Jane Hudson Jones, responsable d’une association britannique dédiée à la maladie. La présidente d’EndometriosisUK, une association qui repose sur les dons de particuliers, estime que c’est grâce à cette évolution que la parole s’est libérée, et que des femmes ont commencé à parler aux journalistes.

Des histoires personnelles

Mais la réponse la plus originale et la plus inattendue est venue du côté de l’équipe de journalistes du Guardian qui a mené l’enquête. Si le journal s’est emparé du sujet, ce n’est ni parce qu’ils auraient été contactés par des associations, ni à la suite d'actions du ministère, ni pour aucune des raisons que nous avons citées plus haut pour la France:

«Il y a une réponse très simple, nous a répondu Sarah Boseley, spécialiste santé du Guardian. Une collègue de notre bureau en Australie a découvert qu’elle était atteinte de la maladie, et elle nous en a parlé. Nous avons été très choquées et avons décidé de commencer ce gros projet». «Nous avons pris conscience qu’il y avait vraiment très peu d’information à ce sujet. Nous avons alors décidé de publier une grande enquête. La réaction du public a été énorme», complète Helen Davidson, une des journalistes qui a mené l'enquête.

Une journaliste atteinte de la maladie

Cette collègue du Guardian atteinte d’endométriose, c’est Gabrielle Jackson. Voici ce qu’elle écrivait en septembre 2015 dans le quotidien britannique, dans un article à la première personne: 

«En 2001, à l’âge de 24 ans, après huit années passées à me plaindre auprès de différents médecins de règles douloureuses qui n’avaient pas l’air “normales, j’ai insisté auprès de mon médecin référent pour aller voir un gynécologue à ce sujet. Il a fini, non sans réticences, par me donner le contact de l’un d’entre eux, après m’avoir dit une chose dont je me souviendrai toujours, que “certaines femmes ont plus mal que d’autres pendant leurs règles, c’est la vie. Heureusement pour moi, ce spécialiste connaissait bien la maladie. Il a immédiatement suspecté une endométriose et effectué une cœlioscopie (pendant laquelle une caméra est introduite pour effectuer un diagnostic précis, ndlr) puis une laparotomie (une chirurgie pendant laquelle les tissus malades sont enlevés, ndlr). (...) J’avais juste besoin d’entendre ces quelques mots –“regardez comme c’était à un stade avancé–pour me sentir réconfortée. J’avais auparavant presque commencé à croire que j’avais un faible seuil de tolérance à la douleur et que je ne pouvais pas supporter ce que les autres femmes normales pouvaient supporter. Mais maintenant j’avais une maladie, avec un nom, et je n’avais enfin plus l’impression que cela provenait de mon imagination.»

Le Guardian a pris le sujet à bras-le-corps

Mais si les douleurs pendant les règles se calment, d’autres problèmes sont toujours là, de nouveaux apparaissent, et pendant des années Gabrielle Jackson va consulter de nombreux médecins pour des maux de ventre, de dos et des rhumes récurrents que les spécialistes attribuent faussement tantôt à des problèmes de reins, une hépatite, ou même des parasites intestinaux. Aucun de ces praticiens n’a jamais pensé à lui dire que l’endométriose pouvait affecter le système immunitaire en entier. Ce n’est qu’en 2015, après être allée à une conférence sur le sujet, que la journaliste va prendre conscience que tous ces problèmes se rattachent tous à une seule et même cause: l’endométriose. Quatorze ans après sa première chirurgie, et alors que ses problèmes devenaient de plus en plus aigus –la fatigue chronique, le mal de dos, les ballonnements et les diarrhées– Gabrielle Jackson choisit alors un bon spécialiste, qui lui annonce qu’elle va devoir subir une opération importante, et qu'elle sera peut-être infertile à l'issue de cette opération.

Et maintenant?

Voilà où nous en sommes: en 2015, alors que la maladie est connue depuis 1860, il faut le parcours de combattant d’une journaliste du Guardian ou l’acharnement de cinq associations, de praticiens et de nombreux patients pour que l’on commence enfin à prendre au sérieux l’endométriose, qui touche 176 millions de personnes dans le monde. Pour Jane Hudson Jones, il est désormais urgent de former les médecins généralistes, en les incitant fortement à investiguer cette piste, «afin qu’aucune femme n’ait à attendre pendant huit ans ou plus pour qu’un diagnostique soit posé».

Une campagne d'information doit être lancée en mars prochain, soutenue par le ministère, qui comprendra un site internet dédié et des affiches pour les collèges et lycées

En France, le ministère de la Santé, contacté par Slate, indique que Marisol Touraine «a rencontré récemment des associations et professionnels de santé engagés dans le combat contre cette maladie». Une réunion a effectivement eu lieu le 16 octobre, nous confirme Chrysoula Zacharopoulou, où la praticienne était présente, accompagnée de l'élue Lunise Marquis, de la comédienne Julie Gayet et de la vice-présidente de l'Assemblée nationale Sandrine Mazetier. «La ministre était très sensible au sujet», estime la docteure Zacharopoulou. Une grande campagne d'information doit être lancée en mars prochain, soutenue par le ministère, qui comprendra un site internet dédié et des affiches pour les collèges et lycées, le tout financé par des fonds privés, dont ceux de l'homme d'affaires François Pinault et de son groupe Kering, ainsi que des fonds du groupe Havas.

Le ministère a saisi la Haute autorité de santé (HAS) «pour disposer en France de recommandations actualisées permettant de pouvoir informer et sensibiliser les professionnels de santé et les femmes et améliorer la qualité du diagnostic et de la prise en charge», «compte tenu des difficultés dans le parcours de santé de ces femmes». La HAS l'a inscrit tout début décembre à son programme de travail pour 2016, et doit rendre ses travaux au second trimestre de 2017.

Une réponse qui satisfait partiellement les associations, EndoFrance attendant depuis des années que des centres de références dédiés à la prise en charge de l'endométriose soient labellisés. Une demande partagée par MEMS, qui estime aussi qu’il faudrait plus d'heures de formation pour les médecins dans les programmes universitaires: «Etant donné que l'endométriose peut apparaître dès l'âge de la puberté, le médecin généraliste, qui est le médecin de famille, doit pouvoir orienter la patiente vers les examens adéquats au diagnostic, sensibiliser les mères de famille à venir consulter en cas de règles douloureuses de leurs jeunes filles». Mais les autorités semblent en cela d'accord avec la docteure Chrysoula Zacharopoulou: la priorité, pour elle, c'est d'abord d'informer les femmes de l'existence de cette maladie.

1 — Le ministère de la santé affirme que “l'endométriose touche entre 6 et 10% des femmes en âge de procréer et se traduit essentiellement par des manifestations douloureuses et une infertilité. Il y a environ 1,1% de formes graves en Métropole”. L’association Endofrance estime que la fréquence de la maladie dans la population générale se situe dans une fourchette allant de 3 à 5% et 25% "dans la population féminine présentant un symptôme fonctionnel à type de douleur pelvienne . Une étude de 1995 parle de 5 à 10% de femmes atteintes dans la population générale. Ce taux atteint 40-60% pour des femmes atteintes de dysménorrhée, selon une étude de 2007, et 20-30% pour les femmes stériles.  Retourner à l'article

 

 

Mise à jour du 9 décembre à 10h45: L'article a été mis à jour pour ajouter que la HAS a inscrit l'endométriose à son programme de travail pour 2016.

Mise à jour du 9 décembre à 15h: nous avons corrigé le chiffre de prévalence de la maladie dans la population qui indiquait faussement 6 à 10% de la population générale, quand c'est en fait 6 à 10% des femmes. 

 

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