Monde / Société

Helmut Schmidt: une certaine idée de l'Europe

L’ancien chancelier allemand Helmut Schmidt, est mort le 10 novembre à l’âge de 96 ans. Après avoir porté ses convictions européennes comme chancelier, il avait continué de les affirmer dans une seconde vie.

Le président Gerald Ford (à gauche) accueilli lors d'une visite par Helmut Schmidt à Hambourg le 29 août 1985. REUTERS/Ulli Michel
Le président Gerald Ford (à gauche) accueilli lors d'une visite par Helmut Schmidt à Hambourg le 29 août 1985. REUTERS/Ulli Michel

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Helmut Schmidt, qui est mort mardi 10 novembre à Hambourg à l’âge de 96 ans, a été chancelier fédéral allemand moins de huit ans. En 1974, il a succédé à Willy Brandt éclaboussé par un scandale d’espionnage et en 1982 il a dû céder le pouvoir à Helmut Kohl après avoir été abandonné par son allié libéral. Il laisse pourtant le souvenir d’un grand homme d’Etat. Sans doute est-ce parce qu’il a fait face avec détermination à plusieurs défis intérieurs et extérieurs, comme le terrorisme d’extrême gauche de la Fraction armée rouge, dite bande à Baader, à la crise pétrolière ou aux soubresauts monétaires dans la Communauté européenne.

Avec Valéry Giscard d’Estaing, qu’il avait côtoyé quand tous les deux étaient ministres des finances, avant de devenir à quelques semaines d’intervalle l’un président de la République française, l’autre chancelier de la RFA, il avait mis au point le serpent monétaire européen, un système de fluctuation concertée des monnaies européennes. L'ancien président français a d'ailleurs déclaré ressentir sa mort comme «un deuil personnel»:

«Il était le meilleur chancelier que l’Allemagne ait connu depuis Konrad Adenauer et il a restauré la dignité extérieure de son grand pays»

Pour qui était à Bonn à l’époque, le souvenir est toujours vivace de Giscard d’Estaing rendant discrètement visite à son collègue allemand des finances dans le petit HLM qu’il habitait dans le centre de petite capitale allemande, avec une mauvaise nouvelle: le franc devait sortir du serpent monétaire parce que la Banque de France n’avait plus les moyens de soutenir la monnaie nationale. Malgré tout, l’aristocrate issue des grandes écoles françaises et le fils d’instituteur qui avait dû reprendre ses études après la guerre et la sortie d’un camp de prisonniers britannique, se comprenaient parce qu’ils avaient une certaine idée de l’Europe.

C’est cette idée qu’Helmut Schmidt a continué de professer dans sa «deuxième vie». Après vingt années passées dans la politique, il a été appelé par le propriétaire du grand hebdomadaire intellectuel Die Zeit à être un de ses responsables. Jusqu’à ces derniers mois, bien que diminué physiquement par une surdité presque totale et l’incapacité de se mouvoir par ses propres forces, l’ancien chancelier continuait à intervenir aux conférences de rédaction du vendredi matin. Même s’ils avaient parfois l’impression de les avoir déjà entendues les rédacteurs étaient attentifs aux analyses du vieil homme. Les rapports des Etats-Unis et de la Chine pour laquelle il montrait une certaine indulgence –il ne faut pas juger ce qui s’y passe à l’aune de nos principes européens, disait-il–, les difficultés d’intégration des populations musulmanes en Allemagne –il tenait la société multiculturelle pour une dangereuse chimère d’intellectuels–, et surtout la politique européenne, étaient ses thèmes favoris.

Le discours-testament

Il avait accepté, il y a quatre ans, de prononcer un discours au congrès du Parti social-démocrate. Il s’était inscrit au SPD en 1947, un geste quasi-naturel à l’époque à Hambourg sa ville natale. Et il était resté bien qu’il ne s’y sentit pas toujours à l’aise et qu’il n’y était pas toujours bien reçu, en particulier quand il était chancelier. Lorsqu’il lui rendait visite, a raconté l’actuel président du parti, Sigmar Gabriel, Helmut Schmidt lui demandait chaque fois: en 1982, tu as voté contre moi? C’était le moment où le parti avait mis en minorité le chancelier sur la question des euromissiles, ces armes nucléaires américaines qui devaient être stationnées en Allemagne pour faire face aux SS20 soviétiques. «Les fusées sont à l’Est et les pacifistes à l’Ouest», avait jugé François Mitterrand. Bien sûr, Sigmar Gabriel avait voté contre.

Ce discours de décembre 2011 devant le congrès du SPD est une sorte de testament. Helmut Schmidt prononce une profession de foi en faveur de l’Europe. Fidèle à sa réputation de pragmatisme, il explique que les pionniers de l’intégration européenne n’ont pas agi par idéalisme mais par «connaissance de l’histoire de l’Europe», par souci d’intégrer l’Allemagne dans un ensemble plus large pour lui éviter les tentations de la puissance, «pour nous protéger de nous-mêmes». Les générations nées après la Deuxième guerre mondiales doivent vivre avec le fardeau historique du IIIème Reich, a-t-il poursuivi: «Celui qui ne comprend pas cette raison originelle de l’intégration européenne […] passe à côté d’une condition essentielle pour résoudre la crise européenne actuelle».

Cette situation exige la solidarité de l’Allemagne avec ses partenaires qui «ne doit pas se limiter à des slogans». Helmut Schmidt était contre le «Grexit», la sortie de la Grèce de la zone euro, tout en étant conscient des erreurs qui avaient été commises au moment du traité de Maastricht qui a institué la monnaie unique. Pour une raison fondamentale qui touche une «tendance désastreuse» de la politique économique allemande: «des excédents à la fois énormes et durables de notre balance commerciale […] Tous nos excédents sont en réalité les déficits des autres.» Et de mettre en garde une politique «de déflation extrême en Europe» qui pourrait conduire aux mêmes conséquences dramatiques que dans les années 1930.

Helmut Schmidt mettait en cause directement la politique d’Angela Merkel. Saluant sa mémoire, la chancelière a pourtant déclaré qu’il était pour elle un «inspirateur», même s’il ne se privait pas de déplorer son manque d’allant pour une coopération européenne plus poussée, surtout avec la France. De toutes façons, il ne cachait pas son peu d’estime pour les dirigeants actuels qui, selon lui, n’étaient pas à la hauteur de leurs glorieux prédécesseurs.

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