Santé

Sexuellement transmissible et parfois réactivé, Ebola inquiète encore l'OMS

La Sierra Leone vient d’être déclarée indemne de la maladie. Mais la découverte de la présence pendant plusieurs mois du virus dans le sperme soulève de nouvelles interrogations sur les mécanismes de contagion.

Un des survivants d'Ebola au Liberia I REUTERS/Stringer
Un des survivants d'Ebola au Liberia I REUTERS/Stringer

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L’OMS a officiellement annoncé, le 7 novembre, que la Sierra Leone, après le Liberia, était parvenue à interrompre durablement la circulation du virus Ebola au sein de sa population. Désormais, l’épidémie ne sévit plus qu’en Guinée. Pour autant une série d’informations médicales convergentes laissent penser qu’on est loin d’avoir pris l’exacte mesure des effets secondaires et des complications à long terme de cette maladie chez des personnes tenues pour guéries. Sur les 28.000 cas de contamination officiellement enregistrés depuis mars 2014, environ 17.000 personnes ont survécu –et, selon MSF, environ 80% d’entre elles souffrent de douleurs articulaires au long cours et de fatigue chronique. Et de nouvelles interrogations se posent quant à un risque de transmission sexuelle.

Ce virus découvert il y a quarante ans au Zaïre –aujourd’hui République démocratique du Congo– par une équipe belge (1) conserve encore bien des mystères. «Face à cette affection virale nous sommes un peu comme face au sida il y a trente ans», explique à Slate.fr le Pr Éric Delaporte (CHU de Montpellier, Institut de recherche pour le développement) qui mène des recherches sur ce thème en Guinée. La rareté de la maladie a fait que peu de travaux avaient été menés sur ce thème –et les caractéristiques bien particulières de cet agent pathogène en ont fait un objet de recherche réservé aux équipes spécialisées dans le bioterrorisme.

Sexuellement transmissible

La donne a changé avec l’épidémie sans précédent apparue début 2014 dans trois pays de l’Afrique de l’Ouest (Guinée, Sierra Leone et Libéria) qui a mobilisé la communauté scientifique spécialisée dans cette branche de la virologie. Cette épidémie a également constitué un nouveau terrain d’observation et d’études médicales concernant une maladie jusqu’ici considérée comme quelque peu exotique. L’hospitalisation de soignants contaminés dans des établissements occidentaux, aux États-Unis et en Grande-Bretagne notamment, a permis de mieux comprendre la mécanique infectieuse en œuvre et d’envisager de nouvelles pistes de traitement et de prévention. Pour autant bien des mystères demeurent comme en témoignent deux évènements récents.

Mi-octobre, elle a été victime d’un inquiétant «réveil» du virus qui se répliquait au sein de ses tissus cérébraux

Il y a d’abord eu l’hospitalisation dans une unité spéciale du Royal Free Hospital de Londres de Pauline Cafferkey. Cette infirmière britannique avait été contaminée en Sierra Leone par le virus Ebola il y a dix mois et après une prise en charge adaptée on la pensait totalement guérie. Tel n’était pas le cas. Mi-octobre, elle a été victime d’un inquiétant «réveil» du virus qui se répliquait au sein de ses tissus cérébraux provoquant une méningite.

Un cas, moins grave, avait été signalé dans The New York Times puis en juin dernier dans The New England Journal of Medicine. Il s’agissait d’un médecin américain, le Dr Ian Crozier, qui avait été infecté en septembre 2014 en Sierra Leone où il travaillait pour l’OMS. Rapatrié aux États-Unis et soigné à l’Emory University Hospital d’Atlanta il semblait guéri quand apparurent des troubles neurologiques, puis ophtalmologiques –avec changement (transitoire) de la couleur de l’un de ses iris (passant du bleu au vert). Alors qu’il avait disparu de son sang le virus Ebola avait été retrouvé dans l’humeur aqueuse.

Tapi dans le sperme après guérison

De telles résurgences virales soulèvent une série d’interrogations médicales pour l’heure sans réponse. Elles posent aussi la question de la surveillance et de la meilleure conduite à tenir vis-à-vis des malades qui, contaminés, ont pu être traités et sont aujourd’hui guéris de cette redoutable infection. Faut-il considérer que le virus Ebola est demeuré quiescent («tapi») dans certains tissus «réservoirs» (ou «sanctuaires») de l’organisme? Ces personnes sont-elles contagieuses?

Le cas de l’infirmière britannique coïncide aujourd’hui avec la publication dans le New England Journal of Medicine de deux publications elles aussi a priori inquiétantes. L’une démontre la persistance au-delà de neuf mois du virus dans le sperme d’hommes apparemment guéris: Ebola RNA Persistence in Semen of Ebola Virus Disease Survivors — Preliminary Report. Quatre-vingt-treize hommes de plus de 18 ans de Freetown (Sierra Leone) ont fourni un échantillon de sperme qui a été testé pour détecter la présence de matériel génétique du virus Ebola. Tous avaient été contaminés par le virus Ebola entre deux et dix mois avant l’étude. Tous les hommes testés dans les trois premiers mois suivants la maladie étaient positifs. Plus de la moitié des hommes de ceux testés entre quatre à six mois après étaient positifs de même qu’un quart de ceux testés entre sept à neuf mois. Tous ces volontaires ont été informés des résultats. On leur a prodigué des conseils et fourni des préservatifs.

A été démontrée une nouvelle possibilité de contamination, via des relations sexuelles, chez des hommes tenus pour guéris et donc non contagieux

L’autre publication du New England Journal of Medicine apporte la démonstration, moléculaire, de la possibilité d’une transmission de l’infection par l’intermédiaire d’un rapport sexuel: Molecular Evidence of Sexual Transmission of Ebola Virus. Des chercheurs de l'Army Medical Research Institute of Infectious Diseases ont enquêté à partir de prélèvements biologiques obtenus au Libéria chez une femme morte d’une infection par Ebola et d’échantillons de sang et de sperme de son partenaire, un survivant de la maladie. Il s’agissait d’évaluer la probabilité pour la femme d’avoir été infectée par son partenaire au cours de rapports sexuels non protégés. Les données obtenues à partir de la génétique virologique ne laissent guère de doute à ce sujet.

Des problèmes croissants de santé

Ces deux publications ont aussitôt donné lieu à une mise au point de l’OMS. L’organisation onusienne souligne que ces données surviennent alors que l’épidémie est, en Sierra Leone, sur le point d’être maîtrisée. Elle évoque aussi les nouveaux problèmes de santé publique que soulève la démonstration de cette nouvelle possibilité de contamination, via des relations sexuelles, chez des hommes tenus pour guéris et donc non contagieux.

«Cette étude fournit une preuve supplémentaire que les survivants ont besoin d’un soutien continu substantiel pour les douze prochains mois afin de répondre à ce défi et d’assurer leurs partenaires qu’ils ne sont pas potentiellement exposés au virus», déclare Bruce Aylward, représentant spécial pour la réponse Ebola du directeur général de l’OMS. Pour leur part les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américains poursuivent ce travail et reconnaissent ne pas pouvoir fournir d’explications claires sur les nouvelles données concernant la présence durable du virus dans le sperme.

«Les survivants d’Ebola sont confrontés à un nombre croissant de problèmes de santé, a déclaré Tom Frieden, directeur des CDC. Cette étude fournit de nouvelles informations importantes au sujet de la persistance du virus Ebola dans le sperme et nous aide à faire des recommandations aux survivants et à leurs proches pour les aider à rester en bonne santé.»

L'hygiène des mains, après masturbation comprise

Depuis mai dernier l’OMS donne des «recommandation intérimaires sur la transmission sexuelle de la maladie à virus Ebola». L’OMS recommande que tous les survivants testent leur sperme à partir de trois mois après le début de la maladie. Pour ceux qui sont positifs, un test par mois est ensuite conseillé jusqu’à ce que le sperme soit négatif par deux fois à au moins une semaine d’intervalle. Jusqu’à ces deux tests négatifs, l’OMS recommande l’abstinence sexuelle ou le port de préservatifs, une bonne hygiène des mains, y compris après masturbation comprise.

Ces recommandations concernant le dépistage sont déconnectées de la réalité africaine et n’ont aucune chance d’être mise en œuvre

Formulées depuis Genève, ces recommandations concernant le dépistage virologique sont totalement déconnectées de la réalité africaine et n’ont bien évidemment aucune chance d’être mises en œuvre. «Il y a aujourd’hui plus de dix mille survivants à l’épidémie d’Ebola dans les trois pays d’Afrique de l’Ouest. Nous sommes est en train de découvrir la maladie à distance de la phase aiguë comme cela a été le cas pour le chikungunya et son cortège d’effets secondaires tardifs», observe le Pr Delaporte.

«Jamais observé auparavant»

Cette analyse est partagée par Sylvain Baize, directeur du Centre national de référence des fièvres hémorragiques virales (Lyon, Institut Pasteur/Inserm). Ce chercheur a dirigé l’équipe qui a pour la première fois identifié le virus de la dernière épidémie africaine. De même que différents symptômes articulaires ou ophtalmiques observés chez d’anciens malades la possibilité d’une persistance du virus dans le sperme et d’une réactivation virale dans l’organisme ouvre un nouveau champ de recherches.

«Nous découvrons aujourd’hui la durée nettement plus longue que supposée de la persistance virale dans le sperme, explique-t-il. Il est heureusement fort peu probable que le sperme reste contagieux pendant neuf mois. La contagiosité n’est probablement présente que pendant les premiers mois.»

Ce spécialiste est plus inquiet quant à la possible réactivation de l’infection virale à distance de la guérison clinique.

«C’est effectivement extrêmement inquiétant et on ne l’avait jamais observé auparavant, dit-il. Cela restera sans doute un évènement très rare. Quand nous regardons ce qui se passe pour d’autres virus qui sont eux aussi capables de se réactiver (les virus herpès, celui de la varicelle ou les virus Nipah par exemple, ndlr), ceci n’a rien de tellement étonnant du point de vue virologique. Le grand nombre de patients guéris et suivis de près met en évidence des évènements rares et qui sont sans doute passés inaperçus lorsqu’ils survenaient au fin fond du Zaïre.»

1 — L’histoire de cette découverte est racontée avec de nombreux détails par le Pr Peter Piot dans son autobiographie publiée récemment aux éditions Odile Jacob: Une course contre la montre –mes combats contre les virus mortels Sida et Ebola Retourner à l'article

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