Culture

Le sexe pendant les règles

Rien ne l'empêche physiquement, et pourtant faire l'amour pendant la période de menstruations n'est pas si fréquent. L'explication tient moins aux contraintes corporelles qu'aux codes culturels.

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Du sang sur le lit | Jenny Ondioline via Flickr CC License by

Temps de lecture: 5 minutes

Ce n’est pas un secret, et ce n’est plus un tabou: les règles, les menstruations pour le dire plus clairement encore mais avec moins d’élégance, s’invitent dans les conversations. Il semble, en revanche, qu’elles ne s’invitent pas pour autant dans la sexualité. 

Selon une enquête de 2013 commandée par les marques Always et Tampax et réalisée auprès d’un panel de 1.007 femmes, 79% des femmes renoncent tout ou partie à leur vie sexuelle dans cette situation (une part minoritaire déclarant cependant s’autoriser quelques «caresses»). Pourtant, sexologues et médecins se relaient de plus en plus fréquemment pour expliquer qu’il n’existe pas de contrindication au maintien d’une vie sexuelle épanouie en période, en vain. 

Il n’est pas question ici de prescription ou d’interdiction, et encore moins de «blocage». Force est de constater cependant qu’en l’absence d’impossibilité physique, la retenue des femmes à ce moment du mois repose sur un code culturel puissant.

Religions: quelques règles à suivre

À tout seigneur tout honneur, l’Ancien Testament a le premier couché sur le papier la répulsion à l’égard des menstrues. Au quinzième chapitre du Lévitique, le troisième livre de la Bible qui établit les rites et les préceptes moraux comme pratiques auxquels les juifs doivent se plier, on est on ne peut plus clair sur le sujet. La femme n’est pas odeur de sainteté tant que dure le saignement, tout comme les gens qui ne respecteraient pas le cordon sanitaire que les Écritures recommandent (Lévitique, 15 :19-20)

«La femme qui souffre ce qui dans l’ordre de la nature arrive chaque mois, sera séparée pendant sept jours.

Quiconque la touchera sera impur jusqu’au soir.»

Et la «souillure» s’étend bien sûr aux étoffes (y compris aux vêtements de celui qui ne respecte pas la distance prônée), au lit de la femme réglée, aux objets posés éventuellement sur celui-ci, etc. Faire l’amour à un tel moment? Il ne faut évidemment pas y penser:

«Si un homme s’approche d’elle lorsqu’elle sera dans cet état qui vient chaque mois, il sera impur pendant sept jours; et tous les lits sur lesquels il dormira seront souillés.» (Le Lévitique, 15 : 24)

Le Coran prolonge cette vision. Dans la sourate 56, dite de L’événement, il est induit que la femme ne peut pas toucher un exemplaire du Livre sacré pendant ses règles (notamment aux versets 78 et 79), ni prier. Et, là encore, le sexe doit attendre la fin des coulées. Le texte prend d’ailleurs la peine de le rappeler dès la deuxième sourate, dite de «la Vache»:

«Ils t’interrogeront sur les règles des femmes. Dis-leur: c’est un inconvénient. Séparez-vous de vos épouses pendant ce temps, et n’en approchez que lorsqu’elles seront purifiées. Lorsqu’elles seront purifiées, voyez-les comme Dieu vous l’a ordonné. Il aime ceux qui se repentent, il aime ceux qui cherchent à se conserver purs.» (verset 222)

Martin Winckler est médecin, écrivain, essayiste et, entre autres, l’auteur de Tout ce que vous vouliez savoir sur les règles... sans jamais oser le demander. Il ne partage pas la vision mystique des règles: «L’impureté des règles est bien sûr connotée religieusement. Mais l’impureté religieuse est une rationalisation de l’infertilité des femmes à ce moment-là.»

Une affaire d’hommes?

Le temps a passé et le fait religieux a globalement reculé en Occident, mais cette pieuse quarantaine s’est reconvertie, sous une forme plus laïque et diffuse, dans certaines scènes de la vie quotidienne. Jack Parker (c’est son nom de plume) a fondé le blog PassionMenstrues. À ce titre, elle suit pas à pas l’actualité des règles (particulièrement riche, entre Tampax saveur RoundUp et taxe tampons, par exemple) et les débats qu’elle soulève. Elle recueille aussi quantité de témoignages. On lui a ainsi rapporté cette anecdote édifiante: «Une femme m’a raconté  que son copain ne voulait pas mettre un pied dans son appartement quand elle avait ses règles.»

On a été éduqué dans l’idée que les règles étaient quelque chose de sale et secret

La blogueuse Jack Parker

L’exemple de cet homme qui respectait, peut-être sans le savoir, le code moral des Hébreus et le Coran à la lettre, est selon toutes vraisemblances extrême. Jack Parker l’a constaté elle-même: «J’ai toujours rencontré des hommes qui me disaient que l’important c’était seulement le désir.» Mais faire l’amour pendant les menstruations n’a rien d’évident et cet hypothétique échange de flux porte à l’échange verbal. «Dans les années 1960, mes partenaires me disaient dans ces moments-là: “Moi, j’ai envie quand j’en ai envie, après toi si ça te gêne”», se remémore Martin Winckler.  

La question d’ailleurs ne se pose souvent que pour les relations plus ou moins longues, illustre la blogueuse Jack Parker:

«Il faut forcément en discuter car ça relève de l’intimité d’une part et puis, de l’autre, on a été éduqué dans l’idée que les règles étaient quelque chose de sale et secret. Mais au bout d’un moment, c’est le genre de détails quotidiens qu’on oublie. On finit par se foutre de faire l’amour pendant les règles comme on se fout de l’haleine du matin.»

Mais il existe un autre inconvénient à l’idée de se laisser entraîner par les élans de la chair quand la muqueuse utérine cède temporairement ses droits: les femmes peuvent n’en ressentir ni l’envie ni le bien-être adéquat. Il est grand temps de rappeler ce que tout le monde (et tout particulièrement les premières concernées) savent déjà, il y a des règles nettement plus douloureuses que d’autres. De plus, lors de la fatidique période, l’utérus se contracte tandis que les parois, délestées de l’endomètre ou muqueuse utérine, sont à vif. Même si la gynécologie estime qu’il existe deux pics du désir en général durant le cycle menstruel et qu’ils correspondent respectivement à l’ovulation et à la proximité des règles, ces impondérables sont à même de refroidir les plus belles ardeurs.

Un excellent sujet de conversation

Statu quo donc pour les règles? C’est faire l’impasse un peu vite, trop vite, sur l’importance qu’elles prennent dans la conversation de tous les jours. À l’heure d’en parler, les regards pudiques se font plus rares, les voix moins tombantes, les joues moins roses. Jack Parker a même remarqué l’émergence d’une nouvelle tendance: 

«Ça reste difficile de parler des règles et du sexe, enfin d’assumer en public de les associer. En revanche, il est fréquent ces temps-ci qu’on m’interpelle en me disant: “Il faut que t’écrives pour dire que c’est pas sale comme pratique!»

On sait depuis 1985 et un ouvrage de Françoise-Edmonde Morin que la masturbation pendant les règles peut faire du bien

Manon Destaux

D’ailleurs, la pratique en question pourrait même apporter une certaine sérénité à un certain nombre de femmes. Manon Destaux, sexologue et présidente du Syndicat national des sexologues cliniciens (SNSC), explique ainsi: 

«On sait depuis 1985 et un ouvrage de Françoise-Edmonde Morin que la masturbation pendant les règles peut faire du bien. Au-delà de ça, l’orgasme détend le périnée, dans certains cas, et diminuent les douleurs, à défaut de les éliminer. Les femmes demandeuses de parler davantage de l’activité sexuelle pendant les règles pourraient en être arrivées aux mêmes conclusions.»

Les lignes bougent donc chez les femmes, de manière souterraine peut-être, modeste sans doute, parfois purement oratoire. Affaire de sensations et de rapports au corps autant que de culture, faire l’amour pendant les menstruations ne peut être décrit comme un horizon à craindre ni à atteindre forcément. Pour intime et variable qu’elle soit selon les personnes, cette question est destinée à faire son chemin, à découvert, dans les débats de société. Martin Winckler affirme que c’est notre rapport à l’altérité qui pourrait bien en ressortir changé: «Les relations humaines sont une affaire d’interactions. Quand un groupe évolue sur un sujet, celui d’à côté aussi.»

Évidemment, ici la sexualité menstruelle n’a été abordée qu’en ce qui concerne l’Occident, ses modèles philosophiques particuliers et son histoire. La partition est certainement tout autre suivant les points du globe où l’on porte son regard. «Les règles ne sont pas les mêmes en Meurthe-et-Moselle et au Népal!» lance Jack Parker. L’amour pendant les règles n’a pas fini de faire couler de l’encre.

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