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Haltères, likes et protéines: bienvenue dans le monde des «YouTubeurs muscu»

Derrière les Norman et autres EnjoyPhoenix, des youtubeurs spécialisés dans la musculation commencent à se faire une place sur la scène française. À grand renfort de biceps.

Le «YouTuber muscu» Tibo InShape, accompagné sur une vidéo par Charlène, Jennyfer Lemaire et Manon. <a href="https://www.facebook.com/tiboinshape/photos/pb.419692334828040.-2207520000.1447108135./710646802399257/?type=3&amp;theater">Via Facebook</a>
Le «YouTuber muscu» Tibo InShape, accompagné sur une vidéo par Charlène, Jennyfer Lemaire et Manon. Via Facebook

Temps de lecture: 9 minutes

Des cris. Des perches à selfies. Partout. Tout le temps. Si l’on voulait tomber dans des clichés faciles et résumer en un mot l’ambiance dans le pavillon 1 du Parc des Expositions début novembre, le terme folie ne serait pas de trop. Des milliers d’adolescents et de jeunes adultes étaient réunis pour rencontrer un petit groupe d’élus... constitué lui aussi d’adolescents et de jeunes adultes, sauf que ces derniers sont devenus de véritables stars d’internet grâce aux vidéos qu’ils publient régulièrement sur YouTube. Grâce au Video City Paris, les fans ont (enfin) pu briser le quatrième mur de leur smartphone et rencontrer celles et ceux qu’ils suivent au quotidien.

Mais, pendant ces deux jours, à l’écart du brouhaha qui entoure le passage de Norman ou de Cyprien, un coin du pavillon semble encore épargné par la marée adolescente. Un petit groupe d’une quarantaine de personnes, en majorité des hommes plus âgés que la moyenne, s’est regroupé autour de jeunes hommes à la musculature pour le moins impressionnante. 

Parmi eux, on reconnaît Tibo InShape, la vedette, comme sa carrure le laisse deviner, d’un genre bien particulier de podcasts vidéos: la musculation. Depuis un peu plus d’un an et demi, il contracte ses deltoïdes plusieurs fois par semaine sur YouTube et prodigue ses conseils à plus de 619.000 abonnés, qui espèrent sûrement avoir les mêmes biceps que lui.

Âgé de 23 à peine, ce Toulousain diplômé d’école de commerce nous raconte être encore surpris de son succès et de la ferveur des fans qu’il a rencontrés au salon: «Au salon du fitness l’année dernière, j’avais 100.000 abonnés et il y avait déjà beaucoup de monde. Et là maintenant, à ce salon, c’est vraiment énorme. J’ai vraiment de la chance, il faut en profiter à fond.» Lors de la première journée du salon, la sécurité n’avait pas prévu de mesure particulière pour lui. Grosse erreur. Alors qu’il faisait le trajet entre la loge VIP et la salle de presse, une foule de fans s’est rapidement amassée autour de lui et, ses biceps ne suffisant pas, plusieurs gardes du corps ont dû l’exfiltrer en urgence. 

Avec eux, même vos zygomatiques sont mis à contribution

L’humour rajoute un côté pédagogique, il fait partager les vidéos

Tibo InShape, «youtubeur muscu»

Il faut dire que, si ses vidéos attirent autant de monde, c’est parce qu’elles misent sur deux choses indispensables pour réussir dans le genre: technique et divertissement. Non seulement Tibo vous parle abdos, dos, pecs, cuisses, épaules et même prise de masse. Mais il veut aussi s’occuper de vos zygomatiques, ce que l’on pensait être l’apanage de Norman et Cyprien, en parsemant ses vidéos de blagues, de déguisements et d’autodérision.


Cette culture de la petite blague entre deux abdos fessiers n’est pas anodine; c’est un critère essentiel pour se démarquer en ligne et se détacher des séances de musculation, traditionnelles, peu divertissantes. «Mon audience a explosé quand j’ai commencé à rajouter de l’humour, enfin ce que je juge rigolo, nous dit-il en souriant. Ça rajoute un côté pédagogique, l’humour fait partager les vidéos. Et si, en plus derrière ça, il y a du fond, les gens se disent qu’ils ont rigolé et qu’ils ont appris quelque chose.»

Les vidéos de Tibo InShape commencent toujours de la même façon: avec un sourire et beaucoup, beaucoup, d’énergie.

Au salon, il n’est évidément pas le seul à soulever les foules comme la fonte. Il existe un cercle d’influents au style très différent, mais au ton souvent humoristique, qui interagissent régulièrement en s’interpellant ou en publiant des vidéos de «featuring» où on peut les voir se défier à la salle. Un peu comme avec la bande de Norman ou celle du Studio Bagel, on a ainsi récemment pu visionner un «VS» entre Tibo InShape et un certain «FromHumanToGod».

Apprendre à se «forger un boule légendaire»?
C’est facile

 

Également présent au Video City Paris, FromHumanToGod est une figure tout aussi importante de cette nébuleuse, puisqu’il totalise 132.000 abonnés. Efkan, de son vrai nom, est originaire de Bourg-en-Bresse et propose à ses fans de «devenir Dieu, […] tel qu’il est représenté par la sculpture de la Grèce antique», comme l’indique son profil. Petite particularité: ses vidéos (qui durent parfois plus de vingt minutes) sont souvent prises en un seul plan, sans les coupures habituelles qu’utilisent les autres youtubeurs. Avec un ton volontairement caricatural, mais tout aussi pédagogique, celui qui se définit dans une vidéo comme un «troll gentil» aide ses «petits abricots» à se faire «des trapèzes herculéens» ou à «se forger un boule légendaire». 


Si l’on continue dans le domaine du trolling, le maître du genre est sans conteste Jean Onche Le Musclay. Contrairement au reste des youtubeurs, ce Belge de 22 ans préfère ne pas montrer son visage à cause de cicatrices héritées d’une opération médicale délicate. Un handicap qui ne l’a pourtant pas empêché de proposer un personnage complètement dingue afin de se jouer des clichés sur les adeptes de salles de musculation. Avec sa grosse voix, ce faux narcissique publie des vidéos dopées à l’essence de troll, à tel point qu’il n’hésite pas à se moquer (plus ou moins gentiment) d’autres youtubeurs fitness ou à employer des mots comme «tapette» ou «PD», qui l’ont fait accuser d’homophobie (ce qu’il a réfuté). Il cumule plus de 70.000 abonnés. 


Mais si l’on parle chiffres et nombre d’abonnés, les vrais dauphins de Tibo InShape sont les Bodytime, un duo constitué d’Alex (27 ans) et PJ (28 ans), avec plus de 450.000 abonnés au compteur. Contrairement aux youtubeurs cités plus haut, ces deux coaches de formation ne misent pas entièrement sur l’humour car le public visé est différent, plus adulte ou à la recherche d’autres types de programmes:

«On essaye de proposer du contenu grand public en essayant de vulgariser un peu, explique Alex à Slate.fr. [...] Dans d’autres chaînes, certains cherchent avant tout l’esthétique, le volume musculaire le plus énorme possible. Chez nous, les gens viennent pour perdre du poids, il y a beaucoup de femmes, certains qui veulent être juste fins et tracés, il y en a pour tout le monde.»

Et si l’on regarde un peu la foule amassée lors de leur passage sur la grande scène du salon, on peut dire que Bodytime touche effectivement un public assez large, fait aussi bien d’hommes que de femmes, venus d’un peu partout. «C’était quelqu’un de très maigre à la base, il avait tout tenté, il était très complexé... Et il voulait nous remercier alors il est venu de Nouvelle-Calédonie [...] C’est génial, ces gens qui viennent te voir pour te dire merci, c’est top», raconte Alex avant que PJ nous montre un dessin que leur a remis l’un de leurs fans. 

On pourrait aussi citer Rudy Coia (également présent au Video City Paris) ou Enzo Foukra, qui misent moins sur l’humour mais dont les vidéos sont réputées plus sérieuses et détaillées. «Tibo, par exemple, fait avant tout du divertissement et encourage son audience à se lancer, nous explique Arnaud, associé de Rudy Coia et également coach. Nos vidéos à nous sont plus explicatives, plus chiantes, disons-le, mais elles s’adressent à un public plus âgé, qui a souvent été déçu par les programmes plus classiques.» 

Sur YouTube, ce sont souvent ceux qui sont le moins exposés qui sont les meilleurs 

Thomas, adepte de la salle de musculation

Une opinion partagée par Alexandre, 16 ans, venu prendre une photo avec Rudy Coia: «Certains font des vidéos de cinq minutes mais ne t’expliquent pas toujours en détail les choses. En fait, il y a ceux qu’on regarde pour s’amuser et ceux qu’on regarde pour avoir des conseils précis.» «Sur Youtube, ce sont souvent ceux qui sont le moins exposés qui sont les meilleurs, et c’est la même chose pour le gaming ou l’humour», nous explique Thomas, un adepte de la musculation qui travaillait tout le week-end pour l’une des nombreuses marques partenaires du salon.

Et les femmes dans tout ça alors?

À ce stade de l’article, vous avez certainement remarqué l’absence des femmes, que ce soit chez les fans ou dans la production de vidéos. Elles sont pourtant là, comme le prouvent Noémie et Pauline, 16 ans, venues au salon pour apercevoir leur coaches préférés. Toutes les deux inscrites dans une salle de musculation depuis un an, elles ont découvert Tibo InShape par hasard, en regardant d’autres youtubeurs, et l’ont tout de suite trouvé «motivant et drôle». «Mais je fais plutôt du cardio, à mon âge, il faut éviter de porter des poids lourds ou autres», précise Noémie. 

Sur internet aussi, les femmes font des vidéos de fitness. On peut citer Caroline CNL Fitness, Easy Coach ou encore La petite choco maniac, qui comptent entre 2.000 et 40.000 abonnés. Mais les garçons dominent encore largement, et les apparitions féminines semblent assez limitées. Chez Bodytime justement, on les retrouve souvent en guests, pour faire des démonstrations d’exercices à priori destinés aux femmes ou présenter une gamme de produits. «Avant, c’est Alex qui faisait les exercices dans les vidéos destinées aux femmes, se souvient PJ, mais elles ne s’identifiaient pas. Sur notre chaîne, on en voit de plus en plus. Tous les mardis, on sort une vidéo destinée aux femmes, et c’est une femme qui fera les exercices.» Ils citent également la chaîne Fitness Attitude, tenue par Lucile, jeune coach sportive de 25 ans.

Chez Tibo InShape, qui les surnomme les «petites», la présence féminine est assez similaire. «On dit souvent qu’on a cinq ans de retard sur les États-Unis, où il y a beaucoup de chaînes YouTube et où beaucoup de femmes en font, concède le jeune homme. Le phénomène du fitness sur YouTube est tout nouveau ici, mais d’ici un an je pense que cela va exploser.» Il estime par ailleurs qu’être une femme et rentrer dans une salle de musculation reste parfois intimidant étant donné l’assistance essentiellement masculine: «Une femme qui rentre dans une salle de muscu, explique-t-il, c’est comme si elle essayait de rentrer dans une meute où elle doit se faire sa place.»

C’est pour les encourager à franchir la porte des salles et démonter les préjugés qu’il a publié une vidéo où il donne à la parole à plusieurs femmes pratiquant le fitness avec passion. 

 
Derrière les clics, un marketing parfois gonflé aux compléments alimentaires

Si nos questions sur la présence féminine dans le milieu ont été accueillies avec le sourire et assurance, un autre sujet s’est avéré plus compliqué à aborder: l’argent. Cet aspect du métier effraye les youtubeurs de manière générale, et leurs attachés de presse en particulier.

Chaque coach YouTube propose des réductions dans
des magasins partenaires pour des compléments alimentaires.

 

Chez les «youtubeurs fitness», pourtant moins exposés que les humoristes, on ne veut pas trop parler de chiffres non plus. Mais les partenariats avec des marques ou des boutiques existent bel et bien. À la fin des vidéos, ou dans leur description, on peut voir des codes promotionnels vers des partenaires pour permettre aux internautes de bénéficier de réductions sur des produits dérivés, des compléments ou des protéines. 

Captures d’écran tirées des comptes de Jean Onche Le Musclay, Tibo InShape et FromHumanToGod. («en PLS» signifie «en position latérale de sécurité», et veut ici dire «K.O.»)

«Il ne faut pas influencer les gens en leur disant de prendre tel ou tel complément, se justifie Tibo InShape. C’est un partenariat, les gens le font ou le font pas. C’est comme un gamer qui recommanderait un jeu vidéo.» Il a aussi lancé sa propre marque de vêtement et d’accessoires, parce qu’il trouvait que «c’était cool». Si l’on ajoute à cela les différents contrats avec des marques de compléments alimentaires, ses revenus sont suffisants pour lui permettre de vivre de son activité de youtubeur –d’autant qu’il loge encore chez ses parents.

De leur côté, les deux membres de Bodytime ont connu un tel succès sur internet qu’ils ont lancé plusieurs sites pour vendre programmes de musculation, régimes et accessoires. Les sites dédiés au programme Apollon (pour les hommes) et Déesse (pour les femmes), nous proposent des témoignages avant-après comme on en voit souvent sur internet et promettent une transformation en dix semaines. Petit hic: ces deux programmes coûtent tout de même 300 euros chacun. Un prix justifié pour Alex, qui tient à souligner les gros investissements mis en place:

«Il y des gens qui travaillent quasiment sept jours sur sept sur la logistique, il y a l’application aussi, avec des vidéos qui se débloquent en permanence. Nos clients ont aussi la possibilité de nous poser des questions et nous on leur répond, même le dimanche.»

Leur approche de la musculation, et les programmes monétisés qui ont suivi, en agace pourtant plus d’un puisque certains les ont surnommés «Moneytime». C’est le cas de Jean Onche Le Musclay, qui a publié plusieurs vidéos parfois très techniques pour dénoncer le discours de Bodytime.

Les attaques auraient pu rester virtuelles mais, lors du Video City Paris, début novembre, Jean Onche Le Musclay et Bodytime ont fini par se croiser. Plusieurs vidéos montrent un jeu de regards et d’intimidation entre les deux adversaires. Si personne n’en est venu aux mains, ces quelques secondes illustrent bien les enjeux financiers entourant le «YouTube fitness game». Mais pas seulement.

Les coaches sur YouTube, bénéfiques ou risqués pour la santé?

Car ce genre d’embrouille, au-delà de l’aspect marketing, soulève une autre question, bien plus importante: la prévention autour de la santé des fans, déjà mise en lumière par la polémique autour d’EnjoyPhoenix et son masque de visage à la cannelle. Les vidéos de musculation tournent essentiellement autour du corps et sont visionnées par de nombreux jeunes. Elles prônent non seulement le dépassement de soi mais évoquent aussi l’utilisation de certains compléments alimentaires. Chacun des youtubeurs dont nous avons parlé a réalisé plusieurs vidéos pour conseiller des repas-types ou tout simplement dire que les légumes sont très importants.

Mais comment être certain qu’un adolescent saura adopter un régime alimentaire qui lui convient vraiment et sans abuser des compléments? «C’est difficile de savoir quel programme suivre, avoue Thomas, fan de muscu et employé du salon, qui a dû recouper les informations de plusieurs coaches YouTube et sites spécialisés. Tu trouves tout et son contraire sur internet.»

Sur ce point, Bodytime nous a assuré ne jamais pousser les gens vers les compléments alimentaires, et Tibo InShape est également catégorique:

«En ce qui concerne les compléments, j’ai fait une vidéo pour expliquer que ce n’est pas obligatoire, et j’insiste sur le fait que les gens doivent aller voir le médecin avant d’en prendre. Enfin, pour la nutrition, si j’ai des doutes, je contacte des coaches pour valider les scripts de mes vidéos.»

Donc, si vous souhaitez commencer la musculation, les vidéos de ces coaches YouTube peuvent être une bonne porte d’entrée. En revanche, avant de commencer à soulever de la fonte de façon intensive, il est très important de vérifier la fiabilité de chaque programme, et surtout de consulter son médecin. Le (vrai) prix à payer pour avoir de gros biscotos. 

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