Serge Dassault, politicien réac du XIXe siècle

Le patron du Figaro appartient à une droite industrielle rétrograde, paternaliste et seigneuriale.

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Dernier looping pour le système Dassault à Corbeil-Essonnes? Le deuxième tour de la municipale duel entre l'UMP, arrivée en tête, et la gauche unie derrière un candidat PCF, s'annonce serré. L'élection a été provoquée par l'invalidation de l'élection municipale de 2008 après que les deux finalistes, Serge Dassault, maire depuis quatorze ans, et Bruno Piriou (PCF) ont été frappés d'inéligibilité. Nous republions ci-dessous le portrait de Serge Dassault, dressé la semaine dernière par Thomas Legrand.

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Dimanche 27 septembre se déroulait le premier tour de l'élection municipale partielle de Corbeil Essonne (91). En juin, le Conseil d'Etat avait annulé la réélection de Serge Dassault de 2008 qui avait été acquise avec 170 voix sur le candidat communiste. Le premier tour, cette fois-ci, a placé Jean-Pierre Bechter, l'homme de Dassault, en tête, mais avec 10 points de moins que son mentor il y a un an. A gauche, le candidat communiste se qualifie pour le second tour avec un peu plus de 24%. Il a de bonnes chances de gagner dimanche prochain puisque le candidat socialiste a fait 16% et les Verts près de 8%.

Serge Dassault était soupçonné par ses adversaires d'avoir distribué quelques enveloppes garnies de billets à certains de ses administrés... pour les aider disait-il... pour les acheter disaient ses opposants. L'avionneur, patron du Figaro qui est aussi sénateur, ayant été sanctionné par la justice et déclaré inéligible, il n'a pas pu se présenter pour cette élection partielle. Qu'à cela ne tienne, c'est donc l'un de ses collaborateurs qui y est allé pour lui, comme on mute l'un de ses adjoints à la tête de sa filiale dans une capitale régionale. Le nom de Dassault était sur le bulletin de vote puisque Jean-Pierre Bechter, le candidat en papier, est tête d'une liste fort opportunément intitulée les «amis de Serge Dassault». Dans les faits, c'est Serge Dassault qui sera le maire, si la liste UMP remporte l'élection dimanche. Le vrai-faux candidat le dit tout haut, en expliquant que son patron prendra le poste de directeur de cabinet du maire et qu'il lui laissera, en réalité, tout le pouvoir.

La présence de Serge Dassault dans la vie politique française apparaît comme une survivance d'une certaine droite industrielle rétrograde, paternaliste, seigneuriale. Le bienfaiteur fustige l'assistanat du système social français mais distribue des enveloppes préférant le bon vieux système de la charité à la solidarité organisée. Ses déclarations et ses prises de position, sa conception de la vie politique et la nature de sa considération pour ceux qui ne pensent pas comme lui, sont digne d'une famille politique que l'on croyait disparue depuis bien longtemps. Il parle comme ces grands notables rentiers qui peuplaient, à l'Assemblée, les travées de la droite au XIXème siècle après avoir acheté leur voix en arrosant leurs «gens». Il suffit de réécouter l'hallucinante interview qu'il avait donnée à France Inter au micro de Pierre Weil en 2004.

Il s'insurgeait contre les chômeurs qui reçoivent de l'argent de l'Etat alors qu'ils ne veulent pas travailler, il parlait de «ces infirmières qui quittent l'hôpital à 16 heures en laissant leur malade tout seul», il expliquait que multiplier les acquis sociaux c'est comme «élever des enfants en leur donnant des bonbons». Patron du Figaro, il reprochait à la presse en général de diffuser «des idées malsaines» c'est-à-dire de ne pas expliquer clairement que les syndicats allaient ruiner la France. Il faut se plonger, sur le site Internet du Sénat et lire le compte-rendu des interventions de Serge Dassault pour entre-apercevoir l'étendue de la pensée de l'avionneur.

En juillet, face au ministre du Budget Eric Woerth, visiblement gêné, il expliquait, en gros qu'il fallait réduire toutes les aides sociales et en finir avec la retraite à 60 ans. Il s'est prononcé contre le RSA de Martin Hirsch.

Tout ça ne cadre plus du tout avec le discours de Nicolas Sarkozy. Sur le RSA bien sûr mais plus généralement sur le modèle social français redevenu l'alfa et l'oméga de la politique du président. Cette semaine d'entre deux tours à Corbeil-Essonnes tombe justement au moment ou Nicolas Sarkozy annonce la création d'un RSA-jeune et d'une dotation-autonomie pour les moins de 25 ans...Cette semaine la «pensée» de Serge Dassault devient officiellement antédiluvienne. Serge Dassault parle exactement comme Adolphe Thiers à l'Assemblée Nationale en 1848 sous la seconde République.

Il y avait en mars de cette année là, après les événements de février, un débat sur la question de savoir si l'on devait inscrire le droit au travail dans la constitution. L'idée sous-jacente défendue, entre autre par Lamartine, était que l'Etat indemnise, d'une façon ou d'une autre, les citoyens au chômage. Une absurdité pour Adolphe Thiers qui soutenait que plus personne ne travaillerait si l'Etat se mettait à payer, même un tout petit peu, ceux qui ne travaillent pas. Il renvoyait à la charité (aux enveloppes!) le soin de prendre en charge la partie de la population moins maline ou moins travailleuse.

Alors pourquoi l'UMP présente-t-elle un candidat en tel décalage avec son discours, au risque de perdre l'une des principales municipalités de l'Essonne? A l'UMP, on vous répond, en sourdine et avec l'air affligé devant tant de naïveté, comme on répondrait à quelqu'un qui demanderait pourquoi l'UMP soutient non pas Serge Dassault mais le patron de Dassault aviation et du Figaro. Mais le plus étonnant, c'est que la gauche n'ait pas fait de cette campagne à Corbeil un événement de premier ordre. Aucun leader d'envergure du PS n'a fait le déplacement ces dernières semaines. Auraient-ils, eux aussi, quelques craintes à affronter trop directement un puissant industriel doublé d'un puissant patron de presse?

Si Serge Dassault, via son homme de paille, perd dimanche, les électeurs de gauche auront, sans le savoir, rendu un fier service à l'UMP en la débarrassant de l'un de ses vieux croutons réacs les plus puissants.

Thomas Legrand

Image de Une: Serge Dassault  Reuters

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