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L'appel de Prague de Benoît XVI

Le pape a visité la République tchèque pour le vingtième anniversaire de la chute du mur. Il a lancé un appel à la réévangélisation de toute l'Europe.

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Même s'il n'a eu qu'un écho médiatique limité, le voyage que le pape vient de faire en République tchèque était important à plus d'un titre. Benoît XVI avait choisi ce pays pour célébrer les vingt ans de la chute du mur de Berlin et le rétablissement de la démocratie à l'Est. Pourquoi la République tchèque?

Parce que ce pays est, historiquement et géographiquement, au cœur de l'Europe. Parce qu'il est l'un de ceux où la persécution communiste contre les croyants fut la plus rude: mise sous contrôle des prêtres et des fidèles, déportation de 13.000 religieux, confiscation de tous les biens d'Eglise, interdiction de toute association catholique. Enfin, parce qu'héritier d'une longue tradition d'anticléricalisme et d'athéisme, fortement marqué par la sécularisation de type occidental, la République tchèque est aussi le pays où le taux de pratique religieuse (5%) est le plus faible d'Europe.

Après plus de quarante années de trou noir dans l'exercice des libertés, l'Eglise tchèque avait appelé à la résistance, tardivement approuvée par une hiérarchie convertie par l'exemple de Jean Paul II et la Pologne. Elle avait participé, à côté des intellectuels laïques de la Charte 77, à la chute du régime. En avril 1990, l'ex-président Vaclav Havel avait donc invité Jean Paul II à Prague. L'ancien dissident, issu de la puissante tradition laïque de Bohême, avait tenu à ce que le pape polonais vienne donner une dimension spirituelle à la «Révolution de velours».

La rencontre historique entre Jean Paul II et Vaclav Havel avait symbolisé l'achèvement victorieux de la lutte contre l'empire totalitaire. Havel avait payé de sa personne pour que cette première visite fût un succès. Ce n'était pas acquis dans un pays où, depuis le supplice du réformateur Jean Hus en 1415 - qui dénonçait la corruption de l'Eglise, fut accusé d'hérésie et brûlé vif -, le sentiment anti-catholique est fortement ancré.

Le pape Benoît XVI a repris la thématique alors développée par Jean Paul II: «L'expérience de l'histoire montre à quelles absurdités parvient l'homme quand il exclut Dieu de l'horizon de ses choix et de ses actions», a t-il affirmé à Brno, la deuxième ville du pays, lors d'une messe célébrée devant 120.000 personnes. La chute du communisme et du régime soviétique, l'élargissement de l'Union européenne en 2005 ont inauguré une ère de paix et de liberté religieuse sans précédent en Europe centrale. Mais l'ouverture des frontières n'a pas profité aux Eglises. Elle n'a pas fait place à la «nouvelle évangélisation» de l'Europe rêvée par Jean Paul II.

Un néo-cléricalisme a bien tenté de se manifester, mais il a suscité beaucoup de résistances lors de polémiques sur la libéralisation de l'avortement, la restitution de leurs biens d'autrefois aux Eglises - le problème reste entier en République tchèque - , l'introduction de cours de religion à l'école ou la signature de concordats avec le Vatican.

On évalue dans ce pays à plus de 60% le nombre d'habitants qui se déclarent sans confession. Sur le plan religieux, la République tchèque et la Slovaquie ont connu des évolutions très différentes depuis leur «divorce de velours» en 1993. Le mouvement de sécularisation s'est accru en République tchèque, tandis que près de 70% de la population slovaque est catholique. On compte à peine 3 millions de catholiques tchèques pour une population totale de 10 millions d'habitants, soit moins d'un tiers. Les ordinations de prêtres sont, chaque année, de moins en moins nombreuses. Mettant tous les maux sous le compte d'une «oppression athée», Benoît XVI a donc pris acte de cet échec de l'évangélisation post-communiste et reconnu la difficulté de la situation pour les croyants: «La société tchèque porte encore les blessures causées par l'idéologie athée du communisme (...) Votre pays, comme d'autres nations en Europe, connaît une situation culturelle qui représente souvent un défi radical pour la foi et pour l'espérance».

La République tchèque n'est pas isolée en Europe. Hormis le cas de la Pologne, de la Slovaquie, de la Croatie où le sentiment national reste identifié au catholicisme, puis le cas de la Roumanie et de la Bulgarie où la foi orthodoxe reste majoritaire, la «sortie» du communisme a plutôt joué contre des Eglises déjà appauvries par des décennies de censures et de privations. Elles peinent à refaire leurs forces et portent encore les stigmates de la clandestinité: clergé pauvre, âgé et peu formé, fidèles rares et disséminés, ayant perdu leurs repères dans des sociétés qui s'enrichissent, se modernisent, se libéralisent à toute vitesse, avant de se contraindre, de nouveau, en raison de la crise mondiale. Les pratiques religieuses ont disparu ou manquent de régularité ou se dispersent dans des formes de réveil évangélique ou dans des sectes nombreuses. Aux certitudes assénées par le modèle communiste d'hier, a succédé un univers fluide de représentations et de croyances flous.

Parce que la situation tchèque est jugée exemplaire, le pape s'est adressé à tous les pays d'Europe marqués par une sécularisation outrancière: «A l'époque moderne, la foi et l'espérance ont été déplacées, reléguées sur le plan de la vie privée, comme des thèmes d'un autre monde». Les chrétiens européens sont donc invités à redoubler d'efforts pour tenter de retrouver des raisons de croire et d'espérer, pour sortir de leur torpeur spirituelle, pour retrouver la mémoire chrétienne du continent, pour entreprendre la re-christianisation de l'Europe: «Le christianisme a beaucoup à offrir à une Europe démunie de perspectives (...). Les notions de justice, de liberté, de responsabilité sociale de l'Europe, en même temps que les institutions culturelles et juridiques pour préserver ces idées et les transmettre, sont modelées par l'héritage chrétien (...). Le devoir des chrétiens est donc de se rassembler pour rappeler à l'Europe ses racines qui permettront d'entrer dans un dialogue constructif avec des hommes appartenant à d'autres cultures et à d'autres religions».

Oui à la liberté, mais encadrée par les exigences de la vérité (chrétienne). Le message de Benoît XVI à Prague se termine par un avertissement à toute l'Europe: «Liberté et vérité soit vont ensemble, soit périssent ensemble».

Henri Tincq

Lire également: A Praque Benoît XVI prêche dans le désert.

Image de Une: Le pape Benoît XVI célèbre une messe en République tchèque  Max Rossi / Reuters

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