Sports

Au basket, le mythe de la «main chaude» est de retour

Une étude relance le débat autour de cette idée selon laquelle un joueur a plus de chance de réussir un tir s'il vient juste d'en réussir un.

Le 22 janvier 2006, Kobe Bryant inscrivait 81 points avec les Lakers face aux Toronto Raptors, second plus gros total de points de l'histoire de la NBA.
Le 22 janvier 2006, Kobe Bryant inscrivait 81 points avec les Lakers face aux Toronto Raptors, second plus gros total de points de l'histoire de la NBA.

Temps de lecture: 5 minutes

Les joueurs de basket ont-ils vraiment de brefs accès de «main chaude», ce moment où le panier a l’air de mesurer un mètre cinquante de large et où marquer un lancer franc semble aussi simple que d’ouvrir une porte? Ou est-ce que les tirs obéissent à des séquences plus ou moins soumises au hasard, auxquelles nos cerveaux simiesques à l’affût de modèles cherchent après coup à imposer un ordre illusoire?

Ce dernier point de vue domine chez les psychologues et les matheux depuis qu’un célèbre article rédigé en 1985 par les chercheurs Thomas Gilovich, Amos Tversky et Robert Vallone a montré que cette supposée main chaude, si elle existe, constituait un effet trop faible pour résister à l'épreuve des tests statistiques.

Mais voilà que la main chaude refait les gros titres depuis qu’une nouvelle découverte des économistes Joshua Miller et Adam Sanjurjo menace ce consensus. Ils ne sont pas les premiers à jouer les hérétiques dans ce domaine (l’année dernière dans Deadspin, j'ai évoqué certaines des raisons pour lesquelles l'idée de main chaude a peut-être été enterrée un peu vite). Mais eux ont trouvé quelque chose de vraiment nouveau –une faille mathématique grave dans l’étude Gilovich-Tversky-Vallone, que beaucoup de scientifiques qui passent cet article au peigne fin depuis sa parution, il y a trente ans, n’ont pas vue, moi compris. Impressionnant.

Impression faussée

Pour la comprendre, commençons avec un exemple simple.

Prenons toutes les familles avec enfants de la ville de Nashua, dans le New Hampshire. Quel est la moyenne des ratios garçons/filles de l’ensemble de ces familles?

La réponse qui vient naturellement à l’esprit est que ce ratio est égal à 1, ou pas loin. Il naît à peu près autant de filles que de garçons, alors est-ce que ce rapport ne devrait pas s’équilibrer?

Eh bien non. Je connais précisément la réponse à cette question, et pourtant je n’ai jamais mis les pieds à Nashua. Ce n’est pas 1. C’est l’infini. Et c’est l’infini pour une raison un peu idiote: s’il existe une seule famille qui n’a que des fils et pas de filles, le rapport garçon-fille pour cette famille est infini, et quand vous faites la moyenne d’un groupe de quantités dont l’une est infinie, alors cette moyenne doit être infinie elle aussi.

Bien entendu, le nombre moyen de garçons par famille est le même que celui de filles –comment pourrait-il en être autrement? Le rapport entre ces deux moyennes est de 1. Mais le ratio des moyennes n’est pas nécessairement la moyenne des ratios. C’est un fait parmi d’autres du monde mathématique (et c’est aussi la clé d'une question d'entretien d'embauche chez Google sur laquelle beaucoup se sont cassé la tête.)

Autre exemple qui fait réfléchir: vous décidez de faire passer un nouveau test mathématique standardisé dans votre secteur scolaire. A l’école Central High School, sur 120 élèves, 60 ont la moyenne, soit un taux de réussite de 50%. Un peu plus loin, l’école Outlying Charter School, qui ne compte que deux élèves, affiche un taux de réussite de 100% puisque ses deux étudiants s’en tirent haut la main. Un entreprenant bureaucrate serait tenté de fanfaronner: «Notre taux de réussite scolaire moyen est de 75%.» Et dans un sens, c’est vrai! Mais ce pourcentage moyen transmet une impression absolument faussée des résultats des enfants.

La moyenne de pourcentages est une idée horrible

Gilovich, Tversky et Vallone ont examiné des séries de lancers francs tirés par 26 basketteurs de l’université de Cornell. Ils ont calculé le pourcentage de tirs réussis de chaque joueur dans deux contextes différents: après trois tirs réussis d’affilée, et après trois tirs ratés. Si, comme le pense le supporter moyen, les joueurs ont des «mains chaudes» ou «froides», on peut s’attendre à ce qu’un basketteur ait davantage de chances de réussir un lancer franc après avoir marqué trois paniers qu’après en avoir raté trois. Or, les auteurs n’ont rien constaté de tel. Le pourcentage de réussite moyen après trois paniers était à peu près équivalent à celui qui suivait trois ratages.

Compte tenu de ce que l’on remarque avec les enfants de Nashua, les mots pourcentage moyen devraient créer un vague sentiment de malaise. Un pourcentage est un genre de ratio, et faire la moyenne de ratios peut donner des résultats tordus, même lorsque l’infini ne vient pas y mettre son nez, comme on l’a vu avec le test de mathématiques. C’est exactement ce genre de lièvre que Miller et Sanjurjo ont levé dans la méthode de Gilovich, Tversky et Vallone. Leur nouvelle étude montré que si la main chaude n’existe pas –si les tirs sont complètement aléatoires et indépendants les uns des autres– le pourcentage moyen de tirs réussis après trois tirs ratés est, aussi bizarre que cela paraisse, plus élevé que le pourcentage moyen de tirs réussis après trois paniers d’affilée. Donc les données d’origine, qui montrent que les deux moyennes sont en gros les mêmes, prouvent en réalité que les joueurs marquent mieux après plusieurs paniers réussis. En d’autres termes, l’étude retourne sa veste et fournit des preuves de la réalité de la main chaude au lieu d’en infirmer l’hypothèse!

Je sais que ça a l’air curieux. Aidons-nous d’un autre exemple, pas exactement le même que l’étude sur la main chaude mais assez proche pour faire montre de la même bizarrerie mathématique. On retourne à Nashua. Dans ces familles, les garçons ont-ils davantage de chances d’avoir des petites sœurs ou des petits frères? Ces chances sont probablement les mêmes. Mais jetons un œil aux huit possibilités pour une famille de trois enfants, aux probabilités équivalentes:

GGG
GGF
GFG
GFF
FGG
FGF
FFG
FFF

Pour chaque famille qui a un garçon, on peut calculer le pourcentage de garçons qui ont un petit frère et le pourcentage de garçons qui ont une petite sœur (certains garçons, comme l’aîné de la deuxième famille, ont les deux, et certains autres –les plus jeunes de la fratrie– n’ont ni l’un ni l’autre, ces pourcentages n’ont donc pas nécessairement besoin de donner 100). Par exemple, dans cette deuxième famille, 100% des garçons ont une petite sœur mais seulement 50% un petit frère. Dans la première famille, 67% des garçons ont un petit frère et 0% une petite sœur.

Si vous faites la moyenne de toutes les familles, le résultat va vous sembler asymétrique: le pourcentage moyen de garçons qui ont une petite sœur est de 50% alors que le pourcentage moyen de ceux qui ont un petit frère n’est que de 31%.

Cela signifie-t-il que vous avez davantage de chances d’avoir une fille si vous avez déjà un garçon? Non –cela signifie uniquement que faire la moyenne de pourcentages, comme l’ont fait Gilovich, Tversky et Vallone, est une idée terrible, horrible, atroce, voire absolument épouvantable.

Peut-on de nouveau croire à la main chaude, alors? L’affaire semble plutôt bien engagée. «Comme nos échantillons étaient plutôt grands, je ne crois pas que cela change les premières conclusions sur la main chaude», a cependant confié Gilovich au New York Times. Mais cela n'a rien d'irréfutable; Miller et Sanjurjo montrent que l’échantillon de 100 tirs de l’étude d’origine est suffisamment petit pour que des biais pointent leur nez. Et dans un autre article, les deux chercheurs reviennent en arrière et ré-analysent les données d’à peu près toutes les études sur la main chaude jamais réalisées. Leur méthode est charmante: ils prennent une vraie séquence de tirs réussis et ratés et la réarrangent totalement au hasard. Si la main chaude n’existe pas, alors la séquence obtenue ne doit pas être plus ou moins variable que l’originale. Miller et Sanjurjo ont découvert l’inverse: les vraies données deviennent systématiquement moins variables lorsqu’elles sont réarrangées, ce qui implique que les tireurs ont parfois la main chaude et parfois non. Il est peut-être temps de mettre le mythe du mythe de la main chaude au panier.

 

cover
-
/
cover

Liste de lecture