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L’affaire avait été éventée le 22 octobre par The Daily Mail. Elle a été confirmée quatre jours plus tard depuis le siège lyonnais du Centre international de recherches sur le cancer (Circ), une agence de l’OMS. Comme l’annonçait le quotidien britannique, l’ensemble des charcuteries (et, à un degré moindre, l’ensemble des viandes) viennent d’être classées comme des cancérigènes alimentaires au même titre que le sont, par inhalation, le tabac et l’amiante. C’est un coup de tonnerre dans le champ de l’agro-alimentaire et du sanitaire; un phénomène qui entre en résonance avec la vague croissante d’intérêt pour les mouvements végétariens voire végétaliens.
Le Circ n’est certes qu’un organisme de recherche qui évalue les données disponibles sur les causes du cancer. À la différence des Agences sanitaire nationales ou européennes, il ne formule pas de recommandations sanitaires en tant que telles. Pour autant, il est doté d’un certain prestige, ses travaux font autorité et les politiques nationales et internationales visant à réduire les risques de cancer s’appuient cependant souvent sur ses travaux (dénommés «monographies»). Les gouvernements pourraient ainsi décider dès aujourd’hui d’imposer la mention du caractère cancérogène des produits carnés transformés à l’attention des consommateurs. Verra-t-on bientôt «Manger de la viande tue» comme on peut, depuis quelques années, lire «Fumer tue» sur tous les paquets de cigarettes? Combien oseront aller jusqu’à cette extrémité préventive?
Pathologies cancéreuses
Pourquoi aujourd’hui? Le Circ avait décidé de traiter ce sujet en 2014, un comité consultatif international l’ayant alors jugé «hautement prioritaire». «Cette recommandation était fondée sur des études épidémiologiques laissant entendre que les légères augmentations du risque de plusieurs cancers pouvaient être associées à une forte consommation de viande rouge ou de viande transformée, explique-t-on à Lyon. Bien que ces risques soient faibles, ils pourraient être importants pour la santé publique parce que beaucoup de personnes dans le monde consomment de la viande, et que la consommation de viande est en augmentation dans les pays à revenu faible et intermédiaire.» D’où ces conclusions formulées par un groupe de travail composé de vingt-deux experts de dix pays différents. Ce travail fait aussi l’objet d’une publication conjointe dans The Lancet Oncology.
Certaines agences sanitaires recommandent certes déjà de limiter la consommation de viande sans pour autant mettre en avant un accroissement du risque de pathologies cancéreuses. L’écho de la prise de position de l’agence de l’OMS est d’autant plus grand que son analyse de cancérogénicité englobe toutes les formes de consommation d’aliments d’origine animale. Ainsi, quand le Circ parle de «viande rouge», il faut entendre «tous les types de viande issus des tissus musculaires de mammifères comme le bœuf, le veau, le porc, l’agneau, le mouton, le cheval et la chèvre». Pour ce qui est de la «viande transformée» (ou «produits carnés»), il s’agit de l’ensemble des viandes «qui ont été transformées par salaison, maturation, fermentation, fumaison et autres processus mis en œuvre pour rehausser sa saveur ou améliorer sa conservation»:
«La plupart des viandes transformées contiennent du porc ou du bœuf, mais elles peuvent également contenir d'autres viandes rouges, de la volaille, des abats ou des sous-produits carnés comme le sang. À titre d’exemples de viandes transformées, on trouvera les hot-dogs (saucisses de Francfort), le jambon, les saucisses, le corned-beef, les lanières de bœuf séché, de même que les viandes en conserve et les préparations et les sauces à base de viande.»
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Cuisson à haute température
L’une des principales questions sanitaire et scientifique qui est de savoir si, comme dans le cas du tabac (et nullement de la cigarette électronique), le risque cancérogène est associé aux produits de combustion. Les méthodes de cuisson à haute température génèrent en effet des composés qui peuvent contribuer au risque cancérogène. Pour autant leur rôle n’est pas encore parfaitement compris, estime le CIC.
«La cuisson à température élevée ou avec la nourriture en contact direct avec une flamme ou une surface chaude, comme dans le barbecue ou la cuisson à la poêle, produit davantage de produits chimiques cancérogènes (comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques et les amines aromatiques hétérocycliques). Cependant, le groupe de travail du Circ ne disposait pas de suffisamment de données pour conclure si la façon dont la viande est cuite affecte le risque de cancer. De même le Groupe de travail du Circ ne disposait pas de données pour répondre à la question du moindre risque que pourrait représenter la viande crue.»
Certes, la viande transformée a été classée dans la même catégorie que d’autres agents, causes de cancer, comme le tabagisme et l'amiante, mais cela ne signifie pas pour autant qu'ils sont tous aussi dangereux
Centre international de recherches sur le cancer
En pratique, la consommation de «viande rouge» a été classée comme probablement cancérogène pour l’homme (ce qui correspond au «groupe 2A»). Et ce, sur la base «d’indications limitées» provenant d'études épidémiologiques montrant des «associations positives» entre la consommation de viande rouge et le développement d’un cancer colorectal (ainsi, peut-être que des cancers de la prostate et du pancréas). En clair le lien de causalité est possible, voire probable mais nullement certain. En revanche, la consommation de viande transformée a été classée comme cancérogène pour l’homme (soit le «groupe 1»). Il existe, selon le Circ des «indications convaincantes» de ce que «l'agent provoque le cancer chez l’homme» (cancer colorectal et peut-être aussi cancer de l’estomac).
Jusqu’à 50.000 décès par an
Or le tabac et l'amiante (et les gaz d’échappement des moteurs diesel) sont eux aussi classés dans le «groupe 1». On pourrait logiquement en conclure que consommer des charcuteries est aussi cancérogène que fumer du tabac et être exposé à de l'amiante ou à des gaz d’automobiles? Ce serait une erreur, affirme-t-on au Circ.
«Certes, la viande transformée a été classée dans la même catégorie que d’autres agents, causes de cancer, comme le tabagisme et l'amiante, mais cela ne signifie pas pour autant qu'ils sont tous aussi dangereux. Les classifications du Circ décrivent la force des données scientifiques sur un agent comme étant une cause de cancer, mais n'évaluent pas le niveau du risque.»
En dépit de ce cortège d’hypothèses et d’incertitudes, le Circ estime que le risque augmente généralement avec la quantité de viande consommée: chaque portion de 50 grammes de viande transformée consommée tous les jours augmente le risque de cancer colorectal de 18% environ; et une augmentation de 17% pour chaque portion de 100 grammes de viande rouge consommée par jour.
Comparer les charcuteries et le tabac? C’est possible. L’agence de l’OMS cite aussi «les estimations les plus récentes du Global Burden of Disease» (organisme de recherche universitaire indépendant) avance le chiffre de 34.000 décès par cancer par an environ dans le monde «imputables à une alimentation riche en viandes transformées». «La consommation de viande rouge n'a pas encore été établie comme cause de cancer, ajoute l’agence de l’OMS. Toutefois, si la causalité des associations rapportées était prouvée, le projet GBD a estimé que les régimes riches en viande rouge pourraient être responsables de 50.000 décès par cancer par an à travers le monde.» Soit une fraction infime du million de décès par cancer par an environ à l'échelle mondiale imputables à la consommation de tabac (600.000 à la consommation d'alcool, et plus de 200.000 à la pollution atmosphérique).
Mortalité prématurée
Devenir végétarien? L’agence de l’OMS souligne que les régimes végétariens et les régimes carnés ont des avantages et des inconvénients différents pour la santé mais avoue être bien incapable de répondre. De même qu’elle est incapable de répondre à la question de savoir si un type de viande rouge serait moins dangereux qu’un autre. Même les modes de conservation peuvent entraînant la formation de substances cancérogènes (comme des composés N-nitrosés) ne peuvent, scientifiquement, être accusés.
Où l’on voit les limites des interprétations qui peuvent être faites de ce travail assez touffu de classification des substances cancérogènes potentielles. Les difficultés ne sont pas nouvelles. Il y a précisément deux ans, le Circ avait annoncé des chiffres catastrophiques de mortalité prématurée du fait de la pollution atmosphérique. Avant de reconnaître que «le risque de cancer pulmonaire associé à la pollution atmosphérique est comparable à celui qui est associé au tabagisme passif».
Ceci peut se dire autrement. S’intéresser à la santé publique réclame de ne pas trop malmener les chiffres: 80% des 1,4 million de morts prématurés annuels par cancer du poumon dans le monde sont dus à l’inhalation de fumées de cigarettes. Big Tobacco tue infiniment plus, par cancer, que tous les fabricants de charcuterie du monde.