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Internet: la fin des commentaires

Comment sélectionner et susciter les commentaires qui permettent d'élever le débat plutôt que les contenus stupides, ignorants, hors sujet, racistes, sexistes, menaçants, agressifs... qui sont devenus la norme?

Ordinateur / Us Army Corps of Engineers Europe District via Flickr CC License By
Ordinateur / Us Army Corps of Engineers Europe District via Flickr CC License By

Temps de lecture: 3 minutes - Repéré sur Medium, Wired, Media Shift

«Il y a un jeu auquel j’aime jouer de temps à autres, écrit sur The Atlantic Adam Felder, spécialiste de l’analyse de l’univers numérique. Combien faut-il que je lise de commentaires sur Internet pour perdre foi en l’humanité? Trop souvent la réponse est: un commentaire

Il faut dire que souvent les commentaires, quel que soit le site, de The Atlantic à Yahoo en passant par YouTube, Facebook, Twitter... sont stupides, ignorants, hors sujet, racistes, sexistes, menaçants, agressifs... En fait, tout simplement sans intérêt si ce n’est de permettre à quelqu’un de se défouler et d’évacuer son mal être et sa frustration.

Du coup, deux tendances aujourd’hui qui se dessinent dans les médias numériques et semblent contradictoires explique Medium. D’un côté de plus en plus de médias renoncent tout simplement à publier les commentaires et de l’autre certains médias entendent en revanche trouver un moyen pour donner plus de poids et plus de visibilité aux contributions des lecteurs qui le méritent.

Dans les deux cas, le constat reste le même. Les espaces de commentaires en-dessous des articles n’ont jamais apporté, la plupart du temps, ce pourquoi ils étaient conçus à savoir créer des débats riches et intéressants. Les espaces de commentaires sont devenus un lieu de défouloir pour frustrés illettrés, d’insultes ou de débats hors sujet et sans intérêt. Résultat, ils ne sont lus par personne et sont une source de problèmes juridiques et de mauvaise image pour les médias. Il faut en plus ajouter à ce constat le temps et le coût nécessaires à leurs modérations et le développement de la consultation sur mobile qui rend la rédaction de commentaires plus difficile.

Conséquence, comme le montre Wired, de nombreux sites les ont supprimé comme BloombergThe Verge, Reuters, The Chicago Sun-Times, Vice Motherboard, CNN, et bien d’autres encore. Et la plupart des médias numériques suspendent automatiquement les commentaires sur certains sujets dits sensibles qui déchainent les passions et les haines.

Comme l’explique un article approfondi du New Yorker sur la psychologie du commentateur publié il y a quelques temps, un environnement avec un nombre de personnes aussi massif que Facebook et Twitter produit des effets pas vraiment désirables comme la diffusion de la responsabilité. «Si vous vous considérez comme beaucoup moins responsables de vos actes, notamment en vous abritant derrière l’anonymat et la masse, vous avez plus de chances d’avoir des comportements moralement douteux. Le célèbre psychologue spécialisé dans les questions sociales de l’Université de Stanford, Alfred Bandura, dans ses études sur le rôle des groupes et des médias dans la violence montre que quand la responsabilité individuelle devient plus diffuse, les gens ont tendance à déshumaniser les autres et à devenir plus agressifs envers eux.»

 

Pour autant, les médias ne veulent pas laisser aux réseaux sociaux l’exclusivité de l’interactivité et reconnaissent au passage que dans la masse des commentaires, il y a des contenus originaux et de qualité qui mériteraient d’être mis en avant. Comment faire?

Quartz et Medium expérimentent des options au modèle classique, qu’ils appellent Notes et Annotations. Ils permettent aux lecteurs de commenter sur un passage dans la marge de l’article. 

Le Washington Post, le New York Times ont créé un groupe de réflexion baptisé «Coral Project». Ensemble, ils essayent d’imaginer de nouvelles formules d'interactions pour favoriser l’engagement du lecteur. Il s’agit notamment de donner plus ou moins d’autonomie aux commentateurs en les classant par des niveaux de confiance.

CNN a choisi la solution de facilité en invitant ses lecteurs à se rendre sur les réseaux sociaux pour débattre. Vice revient au XXème siècle et propose à ses lecteurs… d’envoyer une lettre à l’éditeur.

L’évolution la plus prometteuse est celle qui consiste à créer de vrais débats riches, contradictoires et argumentés en mettant en avant des points de vue qui le méritent et en les suscitant. Medium qualifie ce lieu de débat de «curated conversation» (débat édité). Il prend l’exemple de The Atlantic qui a publié un article important sur l’incarcération de masse aux Etats-Unis. Les commentaires étaient bloqués sur cet article, mais comme un débat animé a suivi sur les réseaux sociaux et sur des blogs et d’autres sites, l’équipe de The Atlantic a sélectionné des emails, des posts de blog et des commentaires sur d’autres sites et les a posté dans une série d’articles intitulés «débattre de l’incarcération de masse».

Ces initiatives sont d’autant plus nécessaires que dans le même temps Facebook, sous des pressions juridiques notamment, va réduire le spectre des commentaires et des réactions qu’il accepte et que par ailleurs l’objet du réseau social est de promouvoir l’interactivité, pas comme un média un débat sur les valeurs de la société et les grandes questions qui concernent la démocratie et les citoyens.

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