Parents & enfants

Les élèves qui changent de collège ne devraient pas se débrouiller tout seuls

Psychologiquement, changer d’établissement n’est pas simple pour tout le monde. Scolairement non plus.

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Les élèves qui débarquent dans un nouvel établissement ne devraient pas être abandonnés par l’équipe pédagogique | darkday via Flickr CC License by

Temps de lecture: 6 minutes

En 2012, un sondage Ifop faisait du déménagement la troisième plus grosse source de stress chez les adultes, derrière le deuil et le licenciement. Déménager, c’est devoir faire face à une to-do list démesurée en à peine quelques jours, tout en continuant à mener sa vie quotidienne de front (travail, enfants…). Et l’on ne parle même pas des déménagements qui font suite à une séparation ou à une nécessité de réduire son budget mensuel.

Chez les enfants aussi, le déménagement est une source de stress. Il l’est d’autant plus lorsqu’il est synonyme de changement d’école, de collège ou de lycée. Se déplacer d’un établissement à un autre, c’est devoir tout reprendre à zéro. On ne perd pas forcément ses amis d’avant (même si de longues distances nuisent généralement à la qualité des relations) mais on n’a de toute façon guère d’autre choix que de tenter de s’intégrer correctement dans sa nouvelle classe et son nouveau bahut. Sauf pour les plus à l’aise, qui parviennent à se rendre populaires en une poignée de minutes, c’est souvent une opération délicate. Il faut parvenir à intégrer des cercles déjà existants, et commencer pour cela par choisir le bon cercle. C’est plus ou moins ce que raconte Le Nouveau, premier film de Rudi Rosenberg, qui suit les premiers pas d’un ado dans son nouveau collège, le tout formant une sorte de Freaks and Geeks à la française.

Raccrocher les wagons

Psychologiquement, changer de collège ou de lycée n’est pas simple pour tout le monde. Scolairement non plus. Arriver dans un nouvel établissement, c’est devoir en intégrer les règles très rapidement, assimiler au plus vite l’identité de tous les adultes composant la communauté éducative, s’adapter au niveau exigé par les enseignants. On atteint un degré supérieur de complexité lorsque le changement d’établissement survient en cours d’année scolaire. Les raisons peuvent être multiples: exclusion après un conseil de discipline, déménagement, nécessité de s’éloigner d’un environnement néfaste à la suite d’une affaire de harcèlement… Je n’ai jamais subi cela en tant qu’élève mais j’imagine que je l’aurais mal vécu.

Même dans un établissement idéal, où chacun serait armé des meilleures intentions, l’élève qui arrive en cours d’année est forcément stigmatisé. Jusqu’à la fin de l’année scolaire, il sera celui qu’on appelle en dernier, relégué à la fin des listes alphabétiques utilisées par les enseignants. Au moins l’un de ses bulletins trimestriels n’aura aucun sens, des moyennes biaisées côtoyant des appréciations telles que «élève arrivé en cours de trimestre, difficile à évaluer». Projets, exposés, groupes en tous genres: tout lui rappellera qu’il n’était pas là en septembre et que tout s’est donc construit sans lui.

Ne pas effectuer toute son année scolaire au sein du même collège ou lycée, c’est s’exposer à suivre plusieurs fois le même chapitre mais à en rater d’autres

Mais le principal problème concerne le suivi des enseignements. Ne pas effectuer toute son année scolaire au sein du même collège ou lycée, c’est s’exposer à suivre plusieurs fois le même chapitre mais à en rater d’autres. Dans la plupart des disciplines, les enseignants ont le droit d’enseigner les chapitres du programme dans l’ordre qui leur convient (dans le jargon, l’ordre des chapitres, cela s’appelle une progression pédagogique), ce qui présente de nombreux avantages mais a également pour effet de désorienter les petits nouveaux.

Dans le monde des Bisounours, les élèves resteraient une heure ou deux après la classe pour rattraper les chapitres non vus dans leur établissement précédent. Les professeurs prendraient sur leur temps libre pour leur permettre d’assimiler au mieux les notions indispensables, ne lésinant ni sur les photocopies ni sur les explications. La réalité est hélas bien différente: parce que, concrètement, nous n’avons pas le temps, parce qu’aucun dispositif précis n’a été mis en place pour nous aider à accompagner ces élèves, nous avons souvent tendance à remettre à plus tard ou à faire comprendre aux élèves que c’est à eux de se débrouiller pour rattraper le retard accumulé.

Cette problématique est particulièrement prégnante dans une discipline comme les mathématiques, où la construction des chapitres n’est pas loin d’être pyramidale: chaque chapitre s’appuie sur plusieurs autres vus précédemment. Lorsqu’un ou une nouvelle élève nous arrive en milieu d’année, c’est la débandade: il est extrêmement difficile de l’aider à raccrocher les wagons entre eux. «Dispenser le même cours à trente-deux élèves, c’est déjà compliqué, dit Michel, prof de maths dans un collège de l’Oise. Mais devoir soudain ajouter à cela un cours particulier dans un coin de la classe, cela devient vite infaisable.»

Une étude américaine relayée par le site Science Daily s’est penchée sur le niveau en mathématiques des élèves en fonction du nombre de fois où ils ont changé d’établissement scolaire. Il semble qu’à partir de trois ou quatre changements les élèves ont montré des facultés de réflexion moindres ainsi qu’un esprit critique moins acéré face aux problèmes proposés. Menée sur des établissements basés à Chicago, l’étude met aussi le doigt sur les cartes scolaires trop flexibles: dans la plus grande ville de l’Illinois, les parents peuvent placer leurs enfants dans n’importe quel établissement sur simple demande. Aussi, il n’est pas rare que des élèves changent de collège ou de lycée en cours d’année scolaire dès qu’un élément (atmosphère, enseignement…) ne plaît pas à leurs parents. Cette mobilité absolue n’aurait pas que des avantages.

Accompagnement des élèves

Face aux problèmes liés aux changements d’établissements, plusieurs positions peuvent être adoptées. On peut décider qu’il incombe aux parents et aux élèves de faire face comme des grands à leurs choix de vie. Mais le rôle de l’Éducation nationale étant d’accompagner chaque élève vers la réussite, ce choix semble relever du plus grand manque de professionnalisme, d’autant que les élèves qui changent d’établissement par plaisir sont rares.

On peut aussi considérer au contraire que les élèves qui arrivent dans un nouvel établissement doivent faire l’objet d’un suivi plus poussé, sur le plan scolaire comme sur le plan personnel. Psychologiquement, débarquer un matin au milieu d’une trentaine d’élèves qui se connaissent depuis des mois ou des années, c’est compliqué. Alors devoir en plus se débrouiller pour rattraper les cours… «Durant mon année de quatrième, j’ai dû changer de collège en février après un déménagement, raconte Deborah. Le pire, ça n’a pas été de s’intégrer mais de parvenir à suivre certains cours malgré certains chapitres que je n’avais pas vus. Certains profs ont décidé de faire comme si je n’existais pas. Je ne sais pas s’ils se disaient que c’était fichu pour moi ou s’ils pensaient que je n’avais qu’à me débrouiller mais ils n’ont jamais fait l’effort de revenir pour moi sur des notions dont j’aurais eu besoin.»

Certains profs ont décidé de faire comme si je n’existais pas.  Je ne sais pas s’ils se disaient que c’était fichu pour moi ou s’ils pensaient que je n’avais qu’à me débrouiller

Deborah, qui a déménagé en cours de 4e

Les témoignages de ce genre sont nombreux. Si les élèves ayant beaucoup de facilités ont souvent réussi à s’en sortir, d’autres ont terminé l’année au bord du décrochage. «Implicitement, on nous demande de faire semblant d’avoir tout le bagage nécessaire, même lorsque ce n’est pas vrai. Que personne ne s’étonne si on coule.» Deborah a fini par passer en troisième grâce à des résultats acceptables, et les disparités par rapport à ses camarades ont fini par se gommer peu à peu au cours de l’année de troisième.

S’il est sans doute difficile à mettre en œuvre, un programme d’accompagnement et de suivi des élèves nouvellement arrivés serait absolument nécessaire dans chaque établissement. Une catégorie d’élèves en aurait particulièrement besoin: ceux qui viennent d’être exclus par conseil de discipline et ont été réaffectés ailleurs. Ils sont généralement en perdition sur à peu près tous les plans, et le changement d’établissement est non seulement destiné à les couper de l’univers dans lequel ils ont précédemment transgressé les lois mais aussi à leur permettre de recommencer à zéro et de saisir une nouvelle chance de bien se comporter et de réussir leur scolarité. C’est en tout cas le principe sur le papier. Mais s’ils sont souvent surveillés de près afin de prévenir toute possibilité de récidive (ce qui ne leur donne pas réellement l’impression de pouvoir repartir sur des bases saines), le suivi scolaire est généralement moins poussé. Autrement dit, on demande à des élèves qui se sont mal comportés en milieu scolaire de devenir soudain des adolescents responsables et de reprendre en main leur scolarité, seuls ou presque… Dans ces conditions, difficile de s’étonner si les élèves replongent.

Ce programme d’accompagnement pourrait consister en un échange entre les équipes éducatives des deux établissements, facilité par l’utilisation d’un outil numérique simple et bien conçu (le but étant de ne pas ajouter trop de travail aux professeurs, à qui on en demande clairement de plus en plus). Les enseignants du lieu de départ pourraient au moins transmettre leur progression annuelle à ceux du lieu d’arrivée, leur indiquer à quel stade du programme l’élève a quitté l’établissement et offrir un petit descriptif de ses caractéristiques (lacunes, points forts, domaines à travailler). Puis il faudrait trouver un ou deux créneaux hebdomadaires, assurés en alternance par certains des nouveaux professeurs de l’élève, afin de lui fournir des documents, de lui expliquer le fonctionnement des dispositifs mis en place, de revenir sur des notions non abordées mais nécessaires pour la suite de l’année… À l’heure ou la réforme du collège semble prendre toute la place, l’intérêt de l’élève semble parfois mis de côté. Il y a pourtant plus d’une bouée de sauvetage à lancer.

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