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Michel Platini pouvait-il toucher 1,8 million d'euros sans contrat écrit?

Le Français a été suspendu par la Fédération internationale de football après la révélation d’un paiement douteux de deux millions de francs suisses par Joseph Blatter. Il assure que c’était à la suite d’un contrat de travail oral, légal chez les Helvètes.

Michel Platini, le 28 août 2014, à Monaco. REUTERS/Éric Gaillard.
Michel Platini, le 28 août 2014, à Monaco. REUTERS/Éric Gaillard.

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Suspendu par la commission d’éthique de la Fédération internationale de football (Fifa) alors qu'il se lançait dans la course à la présidence de l'organisation, Michel Platini est revenu sur l'affaire qui le touche dans un entretien au Monde. Il a expliqué comment Joseph Blatter, l'actuel président de la Fifa, lui a promis «un million de francs suisses par an» en 1998, en échange de quoi le triple Ballon d'or devenait son conseiller technique. Sauf que c'était un accord verbal, comme l'a rappelé Platini:

«Blatter décide d’y aller (lors de l'élection de la Fifa en 1998, ndlr): “Je me présente, mais j’ai besoin de toi. On se revoit deux mois plus tard. Il me demande d’être son conseiller pour le foot. C’est d’accord. “Combien tu veux?, demande Blatter. Je réponds: “Un million. “De quoi? “De ce que tu veux, des roubles, des livres, des dollars. À cette époque, il n’y a pas encore l’euro. Il répond: “D’accord, 1 million de francs suisses par an.»

Des négociations «d'homme à homme»

Depuis le 8 octobre 2015, Michel Platini est suspendu pour quatre-vingt-dix jours avec Joseph Blatter et l'ex-secrétaire général de la Fifa Jérôme Valcke (un autre candidat, le Coréen Chung Moon-joon, a été suspendu six ans). L'organisation qui règne sur le football mondial est touchée depuis juin 2015 par un scandale de corruption. Joseph Blatter a dû présenter sa démission et organiser des élections anticipées en février 2016.

Michel Platini, président de l'Union des associations européennes de football (UEFA),  s’est trouvé impliqué au sein d'une procédure pénale, ouverte le 25 septembre 2015 par le ministère public de la Confédération helvétique (MPC), à l’encontre de Joseph Blatter. En cause, un «paiement déloyal» effectué en février 2011 de l’ordre de deux millions de francs suisses (soit 1,8 million d’euros) par ce dernier à l'ancien joueur de football, «prétendument pour des travaux réalisés entre janvier 1999 et juin 2002». Ce, alors que la loi suisse limite à cinq ans le délai pour réclamer un salaire. Ses différents éléments ont été confirmés par le Français dans son entretien au Monde. Il s'est également justifié sur le fait d'avoir opté pour un contrat oral et non écrit:

«Cela fait longtemps que je n’ai plus ni avocat ni agent qui négocient pour moi. Et puis, c’était un truc d’homme à homme. Il allait devenir président de la Fifa. La Fifa! J’avais confiance. De toute manière, j’ai appris depuis qu’en droit suisse, un contrat oral vaut comme un contrat écrit. En tout cas, il a été élu et j’ai commencé à travailler en septembre.»

L’UEFA veut voir le contrat

C’est cette version tacite de l’accord qui pose un problème à Michel Platini. Alors que les Fédérations européennes ont fait bloc derrière lui lors de sa suspension, l’absence de contrat écrit a fragilisé ce soutien. «Un tel paiement exige qu'il y ait un contrat (écrit)», a estimé Allan Hansen, membre du comité exécutif de l’UEFA. Dans le cas contraire, le Danois a indiqué que le comité «ne pourrait plus soutenir» son président.

L'employeur doit informer le travailleur par écrit, au plus tard un mois après le début du rapport du travail

L'arrêté suisse datant de 2004

Michel Platini a beau avoir déclaré que «beaucoup de gens» pouvaient témoigner de son labeur (Joseph Blatter a confirmé que l'accord était un «arrangement entre gentlemen»), la Fédération anglaise de football a déjà retiré son soutien au Français jusqu’à la fin des procédures judiciaires. Cependant, l’article 320 du Code des obligations suisse renforce la version du président de l’UEFA:

«Sauf disposition contraire de la loi, le contrat individuel de travail n'est soumis à aucune forme spéciale. Il est réputé conclu lorsque l'employeur accepte pour un temps donné l'exécution d'un travail qui, d'après les circonstances, ne doit être fourni que contre un salaire.»

Un arrêté fédéral a institué une «obligation d’informer» en 2004

Néanmoins, le contrat oral ne l’est plus que partiellement en Suisse depuis un arrêté fédéral du 17 décembre 2004. Celui-ci indique que lorsque le rapport de travail a été convenu pour une durée indéterminée ou dépassant un mois, l’employeur «doit informer le travailleur par écrit, au plus tard un mois après le début du rapport du travail». Et ce sur des points comme le salaire, la durée hebdomadaire de travail, la fonction du travailleur, le nom des parties ou la date du début du travail.

Le travail de Michel Platini pour Joseph Blatter s’est étalé de janvier 1999 à juin 2002. L’arrêté ne disposant pas d’effet rétroactif, l’accord entre les deux hommes n’en dépend donc pas. À quelques années près, un autre élément aurait pu tomber sous le coup de la loi helvétique. Michel Platini n’étant toujours pas payé après quelques mois de travail, il demande des comptes auprès de son patron :

«Il me dit: “Oui. Je ne peux pas te payer un million à cause de la grille des salaires. Tu comprends, le secrétaire général gagne 300.000 francs suisses. Tu ne peux avoir plus de trois fois son salaire. Alors, on va te faire un contrat pour 300.000 francs suisses et on te donnera le solde plus tard. C’est ce qui s’est passé. Seulement le plus tard n’est jamais venu.»

Une modification de l'accord entraîne une preuve écrite

En vertu de l’arrêté fédéral de décembre 2004, cet accord oral (qui explique le retard de paiement qui n’arrivera en totalité qu’en 2011) ne peut plus être réglé de cette façon. Si certains éléments sont modifiés durant le «rapport de travail», comme le salaire par exemple, les modifications «doivent être communiquées par écrit au travailleur, au plus tard un mois après qu’elles ont pris effet».

En France, le contrat de travail doit obligatoirement faire l'objet d'un écrit dans la plupart des cas, seul le CDI à temps complet autorise un contrat oral du moment que les preuves d'une prestation de travail et d'un lien de subordination sont apportées. Mais comme en Suisse, l’administration rappelle «qu’un contrat écrit est toutefois dans l’intérêt des deux parties».

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