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Angela Merkel, le triomphe de la discrétion et de l'opiniâtreté

La chancelière «préférée des allemands» a gagné les élections législatives et fera un deuxième mandat.

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Sur fond de participation historiquement basse, la chancelière allemande Angela Merkel semble avoir remporté dimanche 27 septembre aux législatives fédérales son pari et pourra gouverner en coalition avec les libéraux du FDP, tandis que les sociaux-démocrates du SPD enregistrent une déroute historique.

Selon les dernières estimations des deux grandes chaînes publiques allemandes, ZDF et ARD, une coalition noir-jaune (CDU/CSU et Libéraux du FDP) pourrait s'appuyer sur une majorité claire et nette au Bundestag, la chambre basse du parlement allemand.

La CDU/CSU obtiendrait, d'après ZDF, 33,5%, le SPD 23,3%, le FDP 14,6%, les Verts 10,2% et La Gauche (Die Linke) 12,9%. La dernière estimation d'ARD donne 33,4% à la CDU/CSU, 22,7% au SPD, 14,8% au FDP, 10,6% aux Verts et 12,5% à La Gauche.

Angela Merkel est la «chancelière préférée» des Allemands - 40% de la population voterait pour elle aux élections ce week-end, selon les derniers sondages. Mais il y a 20 ans, peu de mes compatriotes se seraient doutés de l'ascension à venir de cette étoile politique discrète.

Je me rappelle le jour J. J'avais 8 ans, j'étais assise devant la télévision en pyjama, dans notre appartement à Marbourg - petite ville de 80.000 habitants dans le centre de l'Allemagne. Je regardais les images de la foule réunie à Berlin, les Allemands se tombaient dans les bras des uns et des autres, dansaient de joie, chantaient et pleuraient. Moi aussi, je pleurais. Et mon père murmurait, incrédule: «Cela y est, le mur est tombé!» Après 40 ans de séparation en Est et Ouest, l'Allemagne était réunie. Non seulement cet événement a été un grand moment pour toutes familles que ce rempart, apparemment insurmontable, a séparées - et pour toute l'Allemagne - mais il a aussi ouvert la porte à une femme qui, discrètement, a fait son chemin dans le monde politique son grand atout étant justement - cette discrétion qui masquait son ambition et sa force de caractère.

A l'époque, Angela Merkel était inconnue sur la scène politique. Née à Hambourg en 1954, elle a grandi à Templin, dans l'Est de l'Allemagne, pas loin de la frontière germano-polonaise. Après son baccalauréat, cette fille de pasteur évangélique fait des études de physique à Leipzig, puis travaille à l'Académie des sciences à Berlin où elle fait sa thèse.

Sa manière d'être me rappelle mes amis chercheurs: «je ne suis pas courageuse de manière spontanée, a-t-elle avoué à l'auteur de sa biographie, Evelyn Roll. J'ai besoin d'un temps de démarrage considérable et j'essaie de réfléchir beaucoup avant d'agir».

Ainsi, durant les mois agités précédant la réconciliation allemande, elle ne participe pas au mouvement contestataire. Ce n'est qu'après la chute du mur qu'elle réagit et rejoint le parti « Départ démocratique » (DA), fondé en octobre 1989.

Quelques mois plus tard, Angela Merkel devient porte-parole adjointe du premier et dernier gouvernement élu librement en République démocratique allemande. C'est un avancement rapide qui est, au moins partiellement, lié aux bons contacts de son père pasteur.

En octobre 1990, quand le DA fusionne avec le CDU, Angela Merkel rencontre pour la première fois le chancelier de l'époque Helmut Kohl - l'homme du pouvoir qui a rendu possible l'ascension de la femme de l'Est dans ce parti conservateur construit exclusivement avec des membres originaires de l'Ouest allemand. Une anecdote récemment racontée par la chancelière devant l'assemblée des femmes politiques du CDU à Duisbourg, ville en région de Rhénanie-Westphalie, montre à quel point sa féminité discrète l'a aidée sur ce chemin.

Elle s'est souvenue qu'à l'époque Helmut Kohl avait convoqué «sein Mädchen» (sa fillette), comme le chancelier appelait Angela Merkel d'habitude, dans son bureau pour un entretien concernant le poste de ministre des Femmes et de la Jeunesse. «Bien sûr que j'avais révisé le programme du CDU», a-t-elle relaté à Duisbourg. Mais - rien à voir avec ce que Helmut Kohl voulait savoir: «madame Merkel, comment vous entendez-vous avec les femmes?», demandait-il. Et elle répondit: «avec ma mère et ma sœur: bien. J'ai aussi eu des amies. Mais pendant mes études de physique, j'étais la seule femme à côté de 17 hommes.» «Ok, aurait rétorquait le chancelier, vous devenez ministre des Femmes.»

Une féminité discrète

Angela Merkel se distingue donc par le fait qu'elle ne compte pas sur sa féminité. Pour moi, elle n'a jamais été un symbole de l'émancipation comme par exemple Alice Schwarzer, rédactrice en chef du magazine féminin/-iste «Emma» et défenseuse véhémente des droits de la femme - qui a semé le trouble dans la société traditionnelle allemande pour la première fois en 1971 avec une campagne titrée «Wir haben abgetrieben!» (L'avortement: nous l'avons fait). De fait, la chancelière dit d'elle-même qu'elle «ne parle pas beaucoup de sa féminité - même si je suis perçue comme une femme à voir le grand nombre d'articles qui ont pour objet ma coupe de cheveux ».

Mais peut-être c'est aussi pour cela qu'elle a réussi à prendre et sans doute à conserver le pouvoir. Car, bien qu'elle n'ait jamais été le symbole d'une belle femme pour moi, c'est probablement cette féminité mesurée qui fait qu'elle a été perçue avant tout comme une personne politique - au lieu d'une femme politique. Comme Angela Merkel le dit elle-même, «alors qu'il y a quatre ans, aux dernières élections parlementaires, beaucoup d'électeurs étaient troublés par la possibilité qu'une femme devienne chef d'Etat, aujourd'hui ils ont compris que cela peut fonctionner». Autrefois, les hommes politiques n'auraient pas su comment discuter et débattre avec leurs collègues féminins - «il y avait une contradiction entre la courtoisie vis-à-vis de la femme et le débat politique», se rappelle-t-elle. Aujourd'hui, cette contradiction a disparu.

La discrétion de la chancelière Merkel lui a aussi servi à avancer masquée. Sa manière sèche de parler, sa façon austère de s'habiller et sa mine inexpressive - «il n'y a que peu d'hommes politiques qui sont capable d'avoir un regard avec aussi peu d'expression», souligne le magazine «Der Spiegel» - ont aussi fait dire à des gens comme mon père que ce «gretchen» (quelqu'un d'apparence insignifiante) ne gravirait jamais les échelons de la hiérarchie politique.

Rares étaient ceux qui y croyaient, qui voyaient que cette femme avait du potentiel - comme mon ancien professeur de philosphie au collège. «Lisa, m'a-t-il dit un jour d'été en 1998, après que j'ai exprimé mes doutes quant à la carrière future de Merkel, ne te trompe pas - elle ira loin. Je pense qu'elle deviendra même chancelière un jour!»

Angela Merkel se retourne contre son protecteur

Entretemps, la femme aux cheveux courts quitte le ministère des Femmes et de la Jeunesse pour celui de l'Environnement, la Protection de la nature et la Sécurité nucléaire. Puis, en 1998, elle continue son chemin et devient secrétaire générale du CDU.

Deux ans plus tard, Angela Merkel se retournera contre son protecteur Helmut Kohl lors de la «Spendenaffäre» (l'affaire de dons): le CDU a caché des millions d'euros de pots-de-vin, déguisés en dons, sur des comptes bancaires. Merkel publiera un article dans le journal «Frankfurter Allgemeine Zeitung» où elle fustige le «système Kohl». Peu après, elle prendra la place de Wolfgang Schäuble, lui étant obligé de quitter son poste en raison de la Spendenaffäre, et deviendra présidente du CDU.

Encore deux ans plus tard, elle échangera ce poste contre celui de présidente dy groupe de la CDU au  parlement allemand, le «Bundestag ». Et c'est ainsi que le 22 novembre 2005, Angela Merkel prêtera serment pour devenir chancelière - en tant que première femme et première citoyenne de la partie est de l'Allemagne à le faire dans l'histoire de l'Allemagne.

Pendant les quatre années suivantes, elle ne perdra pas cette discrétion inhérente à son caractère. Un fait qui n'est pas toujours apprécié comme le montre un commentaire de l'hebdomadaire «Der Spiegel» : «pendant trois ans, Angela Merkel a gouverné de manière confortable sans avoir trop de projets. Elle a sécurisé son pouvoir et n'a fait que le nécessaire.»

De même, sa campagne électorale pendant ces dernières semaines a été tellement incolore que les médias allemands - et même étrangers - n'ont pas arrêté d'écrire sur le fait qu'il n'y a rien à écrire. «Le trait de caractère de [Angela] Merkel le plus important est qu'elle ne prend pas de position», souligne mon père presque à chaque fois que nous discutons sur les élections.

Et pourtant cette stratégie marche auprès des électeurs, doit avouer le magazine politique dans le même article. Son auteur décrit la performance récente d'Angela Merkel dans le talk show politique de Anne Will. Quand la présentatrice a demandé si la chancelière était capable de faire face à la crise économique, l'invitée a répondu de manière lapidaire: «Ben oui, je pense.» Par la suite, le public l'a récompensé avec des applaudissements pendant toute l'émission. «[Angela] Merkel établit le contact direct avec le peuple, elle construit un lien [avec lui] à travers les médias, écrit «Der Spiegel». Maintenant, elle est la chancelière du peuple et non seulement chancelière et présidente du parti. C'est elle qui s'occupe du «Janze» (de l'ensemble), elle est la reine de l'Allemagne, elle est Germania.»

Lisa Louis

Lire également: Angela Merkel restera, mais avec quelle coalition?

Image de Une: Angela Merkel lors de son dernier meeting de campagne à Berlin Fabrizio Bensch / Reuters

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