Santé / Monde

San Francisco, la ville où le sida ne fait plus peur

Grâce à la politique sanitaire de la ville, l'ambiance a changé et la vie des gays aussi.

Barack Obama à San Francisco le 4 avril 2013. REUTERS/Kevin Lamarque
Barack Obama à San Francisco le 4 avril 2013. REUTERS/Kevin Lamarque

Temps de lecture: 4 minutes

Etonnant, dans cet âge de réseaux sociaux, que les articles sur le VIH à San Francisco ne parviennent pas jusqu'aux newsrooms. C'est pourtant la ville test de la prévention sida à travers le monde et les études sont formelles: le nombre des nouvelles contaminations en 2014 a atteint le niveau le plus bas depuis le début de la pandémie mondiale. Pourquoi? La ville distribue gratuitement le Truvadaun traitement anti-VIH pris par les séropositifs, et outil de prévention possible pour les séronégatifs– à ceux qui ne peuvent pas se le permettre, réduisant les risques de contracter le virus. Pendant ce temps, en France, on attend toujours.

La pilule révolutionnaire

San Francisco persiste à offrir le meilleur programme de prévention sida que n'importe quelle ville du monde, ou n'importe quel pays d'ailleurs. Le dernier rapport annuel du Département de la Santé Publique de la ville a rendu ses résultats: 302 personnes ont contracté le virus en 2014 contre 371 l'année précédente, une baisse de 18.5%. Ces résultats exemplaires sont dus à plusieurs facteurs: un grand nombre de dépistages, un accès élargi au Truvada, la seule combinaison d'antirétroviraux commercialisée pour prévenir l'infection, une collaboration exemplaire entre les associations et les services municipaux de santé. 

Un exemple: 93% des personnes séropositives de la ville connaissent leur statut sérologique, un taux bien supérieur au 87% du reste du pays. Depuis 2010, la ville fut la première à adopter un programme «Test and Treat» qui encourage toute personne séropositive à débuter une multithérapie VIH, quel que soit son système immunitaire. Cela veut dire que presque tout le monde est suivi, que l'immense majorité de ces personnes sont sous traitement et que leur charge virale est indétectable. Leur virus est moins virulent donc moins contaminant. C'est ce qu'on appelle le TasP: le fait de bien prendre votre traitement antirétroviral vous rend moins à risque. Enfin, cela signifie aussi que les gays, entre eux, ont retrouvé une confiance sexuelle qui avait disparu pendant les dures années du bareback.

Le Truvada a été approuvé aux Etats-Unis dans le cadre de la PreP en mai 2012. Selon les études, il réduit le risque de transmission à plus de 90%. On a longtemps douté du succès de ce médicament dans la prévention pour de nombreuses raisons morales et éthiques et le corps médical américain a hésité à prescrire un médicament qui ressemble si bien à un vaccin. Mais la ville de San Francisco s'est vite montrée proactive: elle est la première ville qui a ouvert un programme afin d'offrir le Truvada à toutes celles et ceux qui ne peuvent pas se le permettre –ou qui en font simplement la demande. Grâce à cette mesure, SF a coupé court à toutes les hésitations qui entourent le Truvada: qui va payer? Comment le prendre? Tout est décidé au cas par cas avec les associations de terrain et les médecins qui conseillent à leur patients la meilleure manière de prendre le Truvada selon leur besoin.

The sun is shining

San Francisco était une ville qui concentrait tous les risques de contamination VIH et d'IST; elle est redevenue exemplaire à travers le monde

Du coup, l'ambiance à San Francisco a changé. Le New York Times félicite la ville qui est en train de changer le visage du traitement contre le sida. Les Européens qui visitent la ville sont étonnés du climat léger qui transparait dans la drague entre gays. Le sujet de la PreP est ouvert, sans complexe. Ceux qui sont sous traitement n'ont plus peur de le dire. Ceux qui sont sous PreP font partie des «PreP warriors», ceux qui sont en première ligne pour dire: «Voilà, je suis séronégatif et sous PreP, je peux avoir des relations non protégées sans peur». Sur les profils des applications de drague comme Scruff, la mention PreP apparaît avec une phrase du genre «Ne jugez pas, changez vos préjugés»

San Francisco était une ville qui concentrait tous les risques de contamination VIH et d'IST; elle est redevenue exemplaire à travers le monde et les gays sont heureux de participer à cet effort commun. Ils sont à nouveau à l'avant-garde, mais du meilleur. Du coup, le sexe est de retour.

L'Europe en retard

Cette hyper sexualité retrouvée n'est pas nouvelle. Depuis dix ans, que ce soit à Paris, Berlin, Barcelone ou Londres, le bareback et le sexe non protégé sont désormais chose commune. Baiser avec des capotes devient de plus en plus difficile. La pression pour l'abandon des protections est immense. Mais Berlin, Barcelone et Paris ont décomplexé la prise de risque non par engagement militant, comme à San Francisco, mais par je m'en foutisme et déni. Seule Londres a lancé un accès limité au Truvada. On dit qu'on est sous PreP mais ces villes n'ont pas accès à la Prep. Le mensonge est donc commun et la confiance entre gays est réduite. Certains disent qu'ils sont sous PreP mais ne prennent pas du Truvada. D'autres ont accès au Truvada au marché noir, comme le révélait un article récent de Libération. Quand on sait à quel point l'industrie pharmaceutique s'inquiète des contrefaçons de ses médicaments, cette manière de développer un traitement révolutionnaire est à l'encontre des impératifs de santé publique.

Combien de personnes séropositives ont été contaminées en France à cause de l'immobilisme de Marisol Touraine?

C'est pourquoi de plus en plus de médias relaient l'impatience devant le retard de la PreP en France. AIDES est en train de mettre la pression sur le gouvernement pour accélérer les choses. Notre pays a toujours été leader dans le domaine de l'accès aux nouveaux antirétroviraux et voilà que la gauche au pouvoir a trois ans de retard sur les États-Unis. Combien de personnes séropositives ont été contaminées en France à cause de l'immobilisme de Marisol Touraine? On a fait des procès politique de santé publique pour moins de ça.

Les limites de la PreP

Si les résultats de la PreP ne font plus de doute, il reste à les poursuivre car il existe encore de nombreuses personnes qui se sentent exclues. A San Francisco, la majorité des personnes séropositives ont plus de 50 ans tandis que la majorité des nouvelles contaminations se situe dans la tranche d'âge de 39 à 45 ans. Les afro-américains, qui représentent 6% de la population de la ville, sont concernés par le VIH à hauteur de 18%. Les plus exclus des programmes PreP restent les hommes de plus de 50 ans, les Latinos, les Noirs, les personnes transgenre, les sans abris et ceux qui utilisent des drogues par intraveineuse. Le succès de la prévention et du taux zéro de contamination doit absolument passer par un meilleur suivi de ces populations. Mais San Francisco est en passe de réaliser un niveau de protection unique à travers le monde. Et si ça marche à San Francisco, pourquoi ne pas le faire ailleurs, et en particulier en France qui cumule le plus grand nombre de personnes séropositives en Europe? L'impatience est à son comble. En Australie, les premières affiches de colère ont été collées dans la rue.

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