Boire & manger

La vraie recette du cappuccino

Au nom de l'amitié franco-italienne, il est grand temps d'oublier les cafés instantanés et d'apprendre auprès de vrais professionnels. Démonstration.

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Cappuccino | Gonzalo Maldonado via Flickr CC License by CC

Temps de lecture: 4 minutes

Pendant des années, la France entière a cru qu’il suffisait d’un sachet de «café» en poudre et du lait lyophilisé pour préparer un cappuccino mousseux «à l’italienne».

Un cappuccino mousseux «à l’italienne», l’invention formidable de publicitaires qui, du sommet de leur imagination foudroyante et de leur créativité hystérique, n’ont rien trouvé de mieux que de laver le cerveau des Français en singeant un Italien, Angelo, qui, vraisemblablement sous l’emprise de la drogue, préparerait à une dame un cappuccino instantané.

UN CAPPUCCINO INSTANTANÉ.

Je parle de ceci. 1994.


Ça existe toujours, j’ai vérifié. «Ah ma ché né pas dé voitoure.»

À partir de là, six options s’offrent à moi:
a/ Crier
b/ Rire
c/ Pleurer
d/ M’arracher les yeux
e/ Saisir la Cour européenne des droits de l’Homme
f/ Implorer le pardon de San Gennaro

Et comme si ce n’était pas suffisant, tu pouvais aromatiser ton cappuccino instantané à la fausse vanille de Madagascar, ou au faux cacao en poudre de l’Équateur. Grandiose non?

Ciao M&Ms, sirop d'érable et chantilly…

Voilà, vingt-et-un ans que je me traîne cette plaie d’Angelo. Traumatisme que tôt ou tard il fallait que je pose sur la table, pour la vérité, pour l’amitié franco-italienne. Que ce soit bien clair: jamais, un Italien ne pourrait accepter de préparer un cappuccino de la sorte. Ergo toute boisson qui contient trop de café, trop de lait et au choix, de la vanille, de la crème, de la chantilly, des pépites de chocolat, des amandes pilées, du caramel, des noix de pécan, des oréos, des fruits confis, des M&Ms, du sirop d’érable, du toffee ou de la poudre de perlimpinpin, écoutez bien, n’est PAS UN CAPPUCCINO.

Nous, on ne hurle pas, on n’est pas des arriérés, on est Italiens: on a une corde vocale mutante, c’est tout

Je suggère par ailleurs de dresser la liste de toutes les horreurs qu’on appelle cappuccino mais qui n’ont rien à voir et je dis bien strictement rien à voir ni de près et ni de loin, ni de jour et ni de nuit, à ce baume pour le cœur et pour l’ame qu’est le cappuccino. Et merci d’informer les pubards qu’ils peuvent arreter de pasticher les Italiens avec des gesticulations idiotes et des «CIAAAOOOO» en délire hurlés du balcon.

Nous, on ne hurle pas, on n’est pas des arriérés, on est Italiens: on a une corde vocale mutante, c’est tout. Tant qu’à faire, monsieur de la pub, ça serait bien d’arreter de coller un nom italien à toutes tes atrocités sous prétexte que tu veux faire le beau en société. Si tu as besoin d’affection, crois-moi, arrête de cuisiner et prends un chien.

Un exercice virtuose

Revenons au Cappucino, et faisons simple: un cappuccino, c’est un doigt d’espresso fait avec une vraie machine à espresso, deux doigts de lait frais entier froid et monté à haute pression à la vapeur pendant quelques secondes et sur le moment par les mains de l’artiste aka le ou la BARISTA.

Cappuccino à l’Hexagone Café (121, rue du Chateau, XIVe arrondissement de Paris) | Avec l’aimable autorisation de l’Hexagone Café

Tous tes gadgets du genre mini-fouet ou batteurs ou aerocino en plastoc qui font des bulles et payés une fortune à une multinationale suisse n’ont rien à faire dans la préparation du cappuccino et sont une insulte au travail du barista.

Deux mondes bien distincts en harmonie quand ils s’unissent, c’est ça le cappuccino

Il faut se rendre dans un bar à l’italienne pour se rendre compte de la virtuosité intrinsèque du cappuccino. Ce n’est plus du café, c’est de l’art, c’est une poésie, c’est du lyrisme. Ce n’est pas un café au lait, c’est une mousse de lait dense comme un coussin, qui, grace à la dextérité du Barista, vient se loger doucement sous la crème de l’espresso. Pour que lorsque tu portes la tasse à tes lèvres, la puissance du café et la finesse de cette crème de lait viennent se poser distinctement sur le bout de ta langue pour venir danser tout en légèreté sur tes papilles.

Préparé sur le moment

Deux mondes bien distincts en harmonie quand ils s’unissent, c’est ça le cappuccino.

Quelque chose d’impossible avec un simple café au lait, ou, pire, la boisson lactée-chocolatée-caramélisée-pleine de «toppings» payée une folie et qui t’est présentée comme un cappuccino à tous les coins de rue désormais.

Le Barista prépare ton cappuccino sur le moment, il lance l’espresso et au même instant, sort du frigo la bouteille de lait entier frais pour préparer la «micro-mousse». Le lait doit être froid, cela donne quelques secondes de plus au Barista pour qu’il monte le lait en y incorporant de l’air, et ce qui va donner naissance à la sacro-sainte micro-mousse, d’une texture si fine que les bulles sont invisibles à l’œil nu. Il verse donc le lait dans le pichet, enfonce le bec à vapeur dans le lait, lance à toute pression, pose sa main sur le pichet et retire le lait juste avant qu’il ne soit trop chaud. S’il se brûle, le lait est brûlé, le goût est détruit. Il faut que la crème ne soit ni tiède ni trop chaude, sinon elle va altérer le gout du café. Et tout ce qu’on ne veut pas, c’est altérer le gout du café.

Tout réside dans l’équilibre entre la quantité de lait, la température, la pression, l’agilité…

Michele Agus, barista

Un mini-tourbillon

J’ai demandé à mon ami Michele Agus, barista italien au café Il Vicolo à Augsburg en Allemagne, de m’expliquer ce fameux coup de poignet:

«Tout réside dans l’équilibre entre la quantité de lait, la température de la vapeur autour des 55-65 degrés, la pression, l’agilité du barista et sa manière d’incliner le bec dans le pichet. Tu dois réussir en quelques secondes à créer un mini-tourbillon, sans quoi ton cappuccino sera raté. Si la micro-mousse est mal amalgamée, elle va se scinder et le lait liquide va sortir du pichet avant la crème, LE DÉSASTRE POUR LE BARISTA.»

Cappuccino au bar Il Vicolo à Augsburg, en Allemagne | Avec l’aimable autorisation du Vicolo

Et c’est donc là qu’en un instant et avec une extrême précision, dans un mouvement de va-et-vient millimétré et avec une maestria toute contrôlée, le Barista dépose délicatement la micro-mousse en mouvement sous la crème de l’espresso, puis inverse habilement le flux pour que les dernières gouttes se posent sur la crème de l’espresso afin de le signer avec virtuosité, toujours à la hauteur de la tasse, ni plus bas, ni plus haut: un simple rond, une feuille, un coeur, une tulipe...

Le grand jeu, le vrai, le chic et la sophistication, la simplicité, Giuseppe Verdi dans la tazza, ne s’improvise pas. Michele ne rigole pas: «Le Barista devant sa machine à expresso est comme le Chef et ses techniques de cuisson. Je sais comment je dois régler ma machine en fonction de la qualité du café, de la quantité d’eau nécessaire pour tel ou tel type de café, avec l’expérience on peut apporter chacun sa touche personnelle, ce qui fera la différence entre mon cappuccino et le cappuccino du barista voisin...»

Si avec tout ça, tu n’as pas compris que la chantilly, c’est pour les faibles, je te préviens, on continuera de foutre du sucre glace sur les croissants en Italie.

«Il caffè è il balsamo del cuore e dello spirito» – Giuseppe Verdi

A presto,
Floriana

1 — Merci à l’équipe de Hexagone Café pour l’enseignement technique et les photos, ta nouvelle adresse pour un cappuccino dans les règles de l’art à Paris!

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