Santé / Économie

Le diesel est-il le nouvel amiante?

Au nom de la compétitivité, le groupe allemand Volkswagen a délibérément transgressé des normes prises au nom de la santé publique. Ce manquement à l’éthique industrielle risque de porter un mauvais coup au diesel déjà désigné comme cancérogène par l’OMS Un nouveau scandale de l’amiante?

Moteur diesel Volkswagen à Jelah, en Bosnie-Herzégovine, le 26 septembre 2015 | REUTERS/Dado Ruvic
Moteur diesel Volkswagen à Jelah, en Bosnie-Herzégovine, le 26 septembre 2015 | REUTERS/Dado Ruvic

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Dans le monde des affaires, l’éthique pour les entreprises passe par le respect des législations nationales. Mais les fraudes sont monnaie courante et la transgression de Volkswagen n’est pas un cas isolé.

On distribue en sous-main quelques pots de vin pour gagner des marchés publics, on réduit ses coûts en violant des réglementations pour gagner en compétitivité…. L’emploi de travailleurs non déclarés, la falsification du nombre d’heures travaillées, la fraude à la TVA, le détournement de subventions, la manipulation de cours… autant de pratiques illicites, tout comme le non-respect des normes pour s’affranchir de contraintes qui ont forcément un coût.

Dans le cas de l’affaire Volkswagen, le logiciel installé sur les moteurs diesel avait pour objectif de satisfaire aux contrôles de pollution (plus sévères aux ♫tats-Unis qu’en Europe sur le diesel) en économisant les quelques centaines d’euros par voiture qui auraient probablement permis de respecter les normes sans frauder. La problématique est celle de la compétitivité. Quitte, pour apparaître plus performant dans le rapport qualité/prix, à tricher.

Des fraudes aux multiples facettes

Les groupes allemands de premier plan ne sont pas plus vertueux que les autres. En 2006, le géant Siemens fut entraîné dans une tempête juridique qui dura deux ans. Déclenchée par une affaire de corruption révélée aux États-Unis, le scandale s’étendit à l’Europe et aboutit à une réorganisation totale du groupe. Dans la finance, les patrons de la Deutsche Bank furent poussés à la démission en juin dernier après une série d’affaires comme des manipulations de cours; l’un d’eux venait d’ailleurs de la banque suisse UBS, elle-même poursuivie pour pratiques illégales notamment aux États-Unis mais aussi en France.

Mais on pourrait aussi évoquer, pour s’en tenir à quelques grands scandales sur la place américaine, le délit d’initiés révélé lors de l’OPA lancée par le français Pechiney sur la société Triangle, le rachat d’Executive Life par le Crédit lyonnais, les falsifications de comptes de géants comme Enron dans l’énergie en 2001 (entraînant dans sa chute Arthur Andersen, l’un des six grands cabinets d’audit internationaux) ou comme WorldCom un an plus tard dans les télécommunications. Ou, en France dans les années 1990, l’affaire Elf, après la révélation de tout un système de détournement de fonds qui s’étendit notamment en Allemagne à travers la raffinerie de Leuna.

Le cyclone dans lequel Volkswagen est aspiré pourrait se révéler meurtrier

Il y eut bien d’autres scandales. Mais notons que, pour les derniers cités, les entreprises en question, qui étaient toutes des majors dans leur secteur, ont disparu à la suite de ces affaires. Le cyclone dans lequel Volkswagen est aspiré pourrait se révéler tout aussi meurtrier.

Un tricheur emblématique

L’aspect emblématique du dossier est un premier élément. Le groupe automobile allemand est un leader mondial dans une industrie qui est peut-être la plus importante dans le monde (non seulement par le chiffre d’affaires qu’elle génère et les effectifs qu’elle emploie directement, mais aussi par toutes les autres activités qui gravitent autour d’elle, aussi bien dans la finance que dans la recherche).

Or, voilà que ce géant avoue s’être comporté comme un vulgaire tricheur et un menteur au regard du Clean Air Act américain contre la pollution de l’air, entachant la légitimité de son rang de leader.

Du même coup, le groupe devient non grata dans tous les pays qui, de l’Australie à la Corée du sud, veulent vérifier qu’il n’aurait pas bénéficié d’aides ou de subventions indûment versées dès l’instant où l’étiquette de falsificateur lui est accolée. En France, la ministre de l’Écologie Ségolène Royal a demandé l’ouverture d’une enquête. Et si elle s’est bien gardée de déclencher globalement la guerre au diesel, elle ne cache pas une éventuelle révision des avantages accordés à ce type de motorisation.

L’arme juridique dans la guerre économique

Dans cette affaire, la dimension du groupe en fait une proie de choix. Volkswagen n’est pas le premier à être pris dans les filets de la justice américaine, confronté à un arsenal législatif qui passe de plus en plus comme l’expression nouvelle du protectionnisme américain dans la compétition internationale.

BNP Paribas en a fait les frais, acceptant d’honorer une amende de 8,9 milliards de dollars pour mettre fin à un litige avec la justice américaine sur une accusation de rupture d’embargo, et éviter ainsi de perdre sa licence pour opérer aux États-Unis. En installant un logiciel fraudeur sur ses moteurs diesel, Volkswagen devient aussi un coupable idéal, menacé d’une amende jusqu’à deux fois plus élevée que pour BNP Paribas.

Personne n’a établi l’excès d’émissions polluantes des voitures incriminées du fait de leur non-conformité aux normes américaines

En l’occurrence, au moment où l’automobile américaine sort de l’ornière dans laquelle la crise l’avait entraînée, discréditer un groupe étranger (sur l’ensemble de ses productions et pas seulement dans le diesel) ne peut qu’avantager les marques nationales qui, comme Ford et General Motors, font quasiment partie du patrimoine américain mais qui souffrent de la concurrence européenne et asiatique. À charge pour les lobbies et leurs cohortes d’avocats d’intenter maints procès pour alimenter le procès en sorcellerie.

Premier marché mondial, les États-Unis savent qu’ils sont un passage obligé pour les groupes internationaux. Ils ne risquent donc pas d’être confrontés à des mesures de rétorsion de la part de pays qui voudraient prendre la défense de leurs entreprises, jugeant les attaques et les amendes disproportionnées: ce serait fermer les portes du marché américain aux autres entreprises de même nationalité.

L’argument de santé publique

En réalité, c’est la technologie même du diesel qui est sérieusement menacée par le tsunami déclenché par Volkswagen. Il est vrai que la révélation de la duperie tombe fort mal, au moment où les États-Unis affirment vouloir prendre des dispositions en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique, en durcissant les normes contre les émissions polluantes. Et surtout, dans la présentation qui en est faite, cette tricherie n’est pas anodine: elle ferait naître un risque pour la santé publique, ce qui crée aux yeux du public un chef d’accusation encore plus grave qu’un procès en corruption!

On assiste là à un amalgame d’autant moins justifié que personne à ce jour n’a établi l’excès d’émissions polluantes des voitures incriminées du fait de leur non-conformité aux normes américaines. Mais l’affaire Volkswagen a vite dégénéré en une mise en accusation du diesel, ce qu’Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, interprète comme une tentative pour «affaiblir l’industrie européenne». La guerre économique existe.

Toutefois, on doit rappeler les nombreux exemples où des industriels ont joué avec la santé publique en refusant d’écouter les mises en garde des experts (comme dans le scandale de l’amiante, qui fut interdite seulement plusieurs dizaines d’années après que son caractère cancérogène eut été révélé), ou en détournant l’information sur la composition de leurs produits (comme dans le scandale de la viande de cheval à la place de la viande de bœuf), ou en transgressant l’éthique de leur profession (comme en alimentant des herbivores avec des farines animales, à l’origine du scandale de la vache folle)…

Malgré les risques, les États ont parfois fait preuve de complaisance, comme dans le cas de l’amiante, dont la dangerosité ne fait aujourd’hui plus de doute. On pourrait aussi évoquer le cas des engrais chimiques qui continuent d’être produits et commercialisés dans certains pays comme l’Espagne alors qu’ils sont interdits dans d’autres comme la France à cause de leur nocivité. Et des dossiers tardent à aboutir, comme celui qui traite du Roundup, herbicide de l’américain Monsanto, malgré les alertes et son classement comme «probablement cancérogène» par le Centre international de recherche sur le cancer (CICR).

Amalgame et risques cancérogènes

Tous les scandales qui pointent la responsabilité d’industriels dans des affaires de santé publique ne font pas forcément état de risques cancérogènes. Mais en l’occurrence, les émissions des moteurs diesel sont suspectées par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) de déclencher des cancers, d’après les conclusions des travaux du CICR, qui en dépend. De la même façon, le Clean Air For Europe de la Commission européenne évalue à 386.000 le nombre de décès prématurés dans l’Union européenne à cause des particules fines. La responsabilité du diesel est donc engagée.

Des groupes de pression pourraient bien faire déboucher le diesel sur un scandale de santé publique analogue à celui de l’amiante

Ces études sont-elles fiables? De combien les décès sont-ils prématurés? Quelles sont les aggravations des maladies respiratoires imputables à ces particules fines? En existe-t-il qui ont aujourd’hui plus d’importance qu’hier, à l’image des bronchiolites chez les enfants? Il s’agit là d’un débat d’experts, mais personne ne semble remettre en question les méthodologies qui ont abouti à ces conclusions.

Dans ces conditions, des groupes de pression pourraient bien un jour faire déboucher le diesel sur un scandale de santé publique analogue à celui de l’amiante, pour peu qu’une cour de justice les accompagne dans cette direction. Ce que tout le monde craint. Car, aux États-Unis, l’amalgame entre la tricherie de Volkswagen et la pollution au diesel peut fonctionner.

On imagine la déconfiture industrielle des constructeurs automobiles –européens mais aussi japonais et coréens– qui ont misé en partie sur cette technologie. D’autant que c’est aussi sur la base du diesel que les moteurs thermiques à très basse consommation doivent être développés.

C’est ce qui explique la mobilisation de tous les États impliqués dans l’industrie automobile, pour circonscrire l’incendie aux gammes de voitures concernées du groupe Volkswagen (11 millions dans le monde) en évitant qu’il ne s’étende aux autres marques. Aussi longtemps que celles-ci ne tomberont pas sous le même chef d’accusation.

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