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En 1996, l’Australie a jeté les armes: un modèle pour les États-Unis

Le massacre de l’université d’Umpqua à Roseburg, dans l’Oregon, a relancé le long débat sur le contrôle des armes à feu aux États-Unis. Après la fusillade à l’école de Sandy Hook en décembre 2012, qui avait provoqué la mort de vingt-huit personnes, dont vingt enfants, Will Oremus, de Slate.com, exposait le succès des lois australiennes sur le contrôle des armes. Nous reproduisons son article.

Compétiteurs sur la ligne de départ à Sydney, le 1er décembre 2007 | REUTERS/Tim Wimborne
Compétiteurs sur la ligne de départ à Sydney, le 1er décembre 2007 | REUTERS/Tim Wimborne

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Le 28 avril 1996, un homme armé ouvrit le feu sur des touristes dans la station balnéaire de Port Arthur, en Tasmanie. Lorsqu’il fut arrêté, il avait tué trente-cinq personnes et en avait blessé vingt-trois. Ce fut le pire meurtre de masse de l’histoire australienne.

Douze jours plus tard, le gouvernement australien, dirigé par le Premier ministre conservateur fraîchement élu John Howard, fit une chose remarquable. Il annonça que le gouvernement fédéral et les États australiens s’étaient mis d’accord pour promulguer des lois de contrôle des armes à feu à grande échelle. Quinze ans plus tard [NDLR: pour rappel, cet article a originellement été publié en 2012], le résultat de ces changements de politique sont clairs: ils ont très, très bien fonctionné.

Cette initiative eut pour conséquence majeure le rachat massif de plus de 600.000 pistolets et fusils semi-automatiques, soit environ un cinquième de toutes les armes à feu en circulation en Australie. Les nouvelles lois interdisaient la vente entre particuliers, imposaient que toutes les armes fassent l’objet d’un enregistrement au nom de leur propriétaire et nécessitaient de présenter une «raison valable» de demander une arme à feu au moment de l’achat (et la self-défense n’en faisait pas partie). Juste après la tragédie, les sondages montraient que plus de 90% de la population approuvaient ces mesures.

Homicides et braquages en baisse

Ce qui se produisit ensuite fit l’objet de nombres d’études universitaires. Bien évidemment, les crimes violents et les morts par armes à feu n’ont pas disparu en Australie. Mais, comme le soulignait le blog Wonkblog du Washington Post au mois d’août, les homicides par armes à feu ont diminué de 59% entre 1995 et 2006, sans que l’on constate une augmentation proportionnelle des homicides par d’autres moyens. La chute du nombre de suicides par armes à feu a été encore plus spectaculaire: 65%.

Les études ont trouvé une corrélation étroite entre ces baisses impressionnantes et le rachat des armes à feu. Le nombre de braquages avec ce genre d’armes a également baissé de manière significative. En outre, le nombre de braquages à domicile n'a pas augmenté, contrairement à ce que laissaient entendre les théories selon lesquelles posséder des armes à feu serait le seul moyen de s’en protéger.

-59%

La baisse des homocides par armes à feu en Australie entre 1995 et 2006

Mais la statistique la plus époustouflante reste à venir. Au cours des dix années qui avaient précédé le massacre de Port Arthur, le pays avait essuyé onze fusillades. Il n’y en a plus eu une seule en Australie depuis [NDT: le 15 décembre 2014, une prise d’otages dans un café de Sydney a fait trois morts, dont l’auteur de l’attaque].

Efficacité prouvée

Des études contestant les raisons du déclin de la violence par armes à feu en Australie ont fait leur apparition, notamment un article en 2006 qui avançait que la baisse du nombre d’homicides par armes à feu après Port Arthur n’était que la continuation d'une tendance déjà amorcée avant le massacre. Mais la méthodologie de ce travail a été discréditée, ce qui n’a rien de surprenant lorsque l’on sait que ses auteurs étaient affiliés à des groupes pro-armes.

D’autres rapports par des défenseurs des armes à feu ont également sélectionné des preuves anecdotiques ou carrément fabriquées de toutes pièces pour tenter de prouver que les lois restreignant le port d’armes en Australie ne fonctionnaient pas. Ces arguments sont efficacement réfutés par des découvertes révélées dans des articles évalués par les pairs de leurs auteurs, et qui signalent que la baisse du nombre de décès par armes à feu a plus que doublé après la mesure de rachat et que les États où ces rachats ont été les plus importants ont montré les déclins les plus impressionnants. Un résumé des recherches effectué en 2011 à Harvard conclut que, à l’époque où les lois ont été votées en 1996, «il aurait été difficile d’imaginer de meilleures preuves de leur efficacité futur».

Nation choquée

À l’achat, il faut présenter une «raison valable» de demander une arme à feu (et la self-défense n’en fait pas partie)

Les mêmes politiques fonctionneraient-elles aussi bien aux États-Unis –et ce genre de législation aurait-elle la moindre chance d’y être votée? La question reste ouverte. Howard, le dirigeant conservateur à l’origine des réformes australiennes, a écrit un éditorial publié par un journal australien à la suite d’une visite aux États-Unis après le massacre d’Aurora. Il en est reparti convaincu que l’Amérique avait besoin de changer ses lois sur le port d’armes à feu, tout en déplorant son manque de volonté en la matière:

«Le sujet ne se limite pas à la capacité de lobbying de la National Rifle Association et à la proximité des élections présidentielles de novembre prochain. Il est difficile de croire que leur réaction aurait été différente si les meurtres d’Aurora avaient eu lieu immédiatement après l’élection d’Obama ou de Romney. La culture des armes à feu est si profondément ancrée au États-Unis que des millions d’Américains respectueux de la loi pensent sincèrement qu’il est plus sûr d’en posséder une, en se basant sur la logique glaçante selon laquelle étant donné le grand nombre d’armes en circulation, chacun doit s’armer pour assurer sa propre protection. En d’autres termes, la situation est allée tellement loin qu’on ne peut plus faire demi-tour.»

C’est certainement la vision qu’offrait l’Amérique après la fusillade d’Aurora. Mais après Sandy Hook [et les fusillades nombreuses qui ont suivi], maintenant que la nation, choquée, tente de nouveau de chercher des réponses, je me demande si les Américains sont toujours aussi persuadés que nous n’avons aucune leçon à tirer de l’exemple australien.

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