Parents & enfants

Délégué de classe? L'expérience inutile qui marque une vie

Et qui donne un goût amer à l'expérience électorale.

REUTERS/Rafael Marchante
REUTERS/Rafael Marchante

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C'est il y a assez peu de temps que j’ai appris que les délégués de classe n’ont pas toujours existé. En tout cas pas sous ce nom. Avant 1969, ils étaient connus sous le nom de «chefs de classe», le terme officiel étant en fait «responsables de classe». Leur rôle, institué par une circulaire ministérielle datant du 9 octobre 1945, était surtout d’assurer l’harmonie de la classe.

L’année 1968 aura définitivement eu raison de ce terme «chef de classe», qui n’était de toute façon qu’officieux mais a largement été utilisé auparavant par nos parents ou grands-parents. L’emploi du mot «délégué», plus policé, convient davantage à ce que l’on attend d’une telle fonction: représenter les élèves d’une classe, faire le pont entre les membres du système éducatif et eux…

Être populaire

Organisées «avant la septième semaine de l’année scolaire» (mais pas beaucoup plus tôt que cela, afin de permettre à chacun de commencer à bien connaître ses camarades), les élections des délégués de classe ont toujours ce côté solennel qui marque une année, voire une vie. Souvent, les élèves qui ont été élus délégués s’en souviennent toute leur existence. Le moment plus marquant? Le jour de l’élection, s’accordent à répondre toutes les personnes interrogées. «J’étais surtout fière de me dire que j’étais plus populaire que d’autres, qu’on me faisait plus confiance», raconte Siwar, élève de première littéraire. Mais si la suite est souvent moins mémorable, c’est parce qu’elle est souvent d’une tristesse et d’une banalité à pleurer.

«Le jour des élections, on nous demande de faire un discours, d’expliquer pourquoi on veut être délégué et ce qu’on mettra en place si on est élu», dit Maxime, en première STL. «C’est tout de même assez hypocrite. En fait, un délégué de classe, ça va aux conseils de classe et puis c’est tout»

Comme l’indique la page dédiée au sujet par le Ministère de l’Education, le rôle des délégué(e)s est de participer aux trois conseils de classe de l’année, d’être présents dans le cas où un de leurs camarades passe en conseil de discipline, et, au lycée, de participer au moins deux fois par an à l’assemblée générale des délégués de classe. C’est tout; et ce serait déjà pas mal si un peu de crédit leur était accordé durant l’exercice de leurs fonctions.

Le silence

Au sujet des conseils de classe, les délégués ont souvent assez peu d’attention. Lors de la séance de préparation de chaque conseil, effectuée en classe entière, c’est souvent l’enseignant qui s’exprime à propos du trimestre passé, puis on entend les élèves qui ont des doléances, que les délégués sont chargés de prendre en note. Le jour J, on leur offrira une minute de temps de parole en début ou en fin de séance, et puisque les critiques personnelles («Monsieur Machin donne trop de devoirs») et les affaires ne concernant pas directement la classe («Y a pas assez de frites à la cantine») sont proscrites, ceux-ci n’ont généralement pas grand chose à dire et se font vite couper le sifflet.

Durant les conseils de discipline, auxquels ils n’assistent pas dans leur intégralité, ils interviennent en tant que témoins, c’est-à-dire qu’on leur demande de brosser le profil d'un élève incriminé, avant de leur poser éventuellement quelques questions. Esseulés face à un groupe d’adultes souvent très graves (ce n’est pas le genre d’assemblée qui prête à la gaudriole), ils balbutient généralement quelques mots, pas plus, parce que personne n’a songé à leur expliquer qu’ils pouvaient préparer leur speech afin d’être plus détendus lors de leur audition.

Le reste du temps, les délégués de classe peuvent être réquisitionnés en cas de papiers importants à distribuer ou d’élèves à accompagner à l’infirmerie ou dans le bureau des CPE; là, clairement, on n’est pas dans un rôle de «chef de classe», puisqu’il s’agit de se mettre au service d’autrui… mais tout particulièrement au service de l’enseignant, bien content d’avoir trouvé une personne désignée pour effectuer les tâches ingrates.

Mieux que délégué: le conseil de la Vie Lycéenne

Pour faire bouger les choses et proposer des mesures plus innovantes, les lycéennes et les lycéens ont plutôt intérêt à se présenter au Conseil de la Vie Lycéenne, qui se penche avec précision sur l’organisation du lycée, de la cantine à l’orientation en passant par les activités extra-scolaires. Élus pour deux ans, les représentants du CVL ont la possibilité de se faire entendre. Pas comme les délégués.

J’ai un peu mal au coeur quand, pendant leurs discours de présentation, j’entends des élèves affirmer qu’ils feront tout pour organiser des voyages et des sorties de fin d’année. Dans 99,9% des cas, ces décisions-là se font sans les élèves. Les sorties de l’année (qui doivent être à but pédagogique) sont souvent déjà décidées au moment de l’élection des délégués. Elles ont été budgetisées et présentées au conseil d’administration (où siègent d’ailleurs deux délégués, qui n’ont absolument jamais la parole sauf s’ils ont le cran de la demander face à un parterre d’adultes). Faire croire aux élèves qu’ils sont décisionnaires dans ce domaine, c’est leur mentir.

Le statut de délégué de classe gagnerait à être modernisé et mis en valeur. Il faudrait que les délégués puissent se sentir écoutés, et donc avoir la possibilité réelle de représenter leurs camarades. Sauf pour quelques élèves naturellement charismatiques et extrêmement persévérants (c’est loin d’être toujours le cas à 15 ans) ce n’est absolument pas le cas. A posteriori, cette première expérience amère de la démocratie et du suffrage universel risque de rester ancrée dans bien des têtes: dès le collège, on apprend que passer par l’isoloir avant de mettre son bulletin dans l’urne ne sert pas à grand chose, si ce n’est à donner le sourire aux deux personnes qui seront élues, lesquelles passeront ensuite leur mandat à montrer leur totale impuissance.

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