France

À la recherche des gens perdus

En France, ils sont à peu près 5.000 chaque année à disparaître volontairement des radars, laissant derrière eux des proches inquiets. Quelles procédures se mettent alors en place? Quels moyens ont ces familles pour retrouver le disparu? Plongée dans un douloureux et difficile travail de recherche en pleine mutation à l'ère du numérique.

REUTERS/Randall Hill
REUTERS/Randall Hill

Temps de lecture: 15 minutes

Le bateau est attaché dans la marina de Brest. À côté, les coques sont à touche-touche et il n'y a même pas la place pour y glisser un bras. Pourtant, c'est ici, dans cette petite étendue d'eau, que serait mort Patrick (le prénom a été changé). Ou peut-être s'est-il suicidé, coulant à pic jusqu'à ne plus respirer. C'est peu probable, mais c'est ce qu'on raconte. Avant sa disparition, on savait que Patrick avait 57 ans, un travail et qu'il était divorcé. Il avait aussi pris l'habitude de faire ses courses tous les lundis, avec sa mère, une retraitée âgée de 85 ans. «Les policiers ont plongé et n'ont pas retrouvé le corps. Après quelques jours, sa fille nous a appelés pour qu'on mène l'enquête. Dès le départ, j'ai douté», rembobine Pascale Bathany. 

Devant un coca à moitié vide, dans le McDonald's bruyant situé en face du jardin du Luxembourg à Paris, à un jet de pierre du Panthéon, la vice-présidente de l'association Assistance et recherche de personnes disparues (ARPD) poursuit son récit: 

«On s'est rendus à la capitainerie et le bateau était là, bien attaché, avec des nœuds marins. Je viens de Brest, je sais ce qu'est un nœud marin. Son scooter patientait et il avait même laissé des vêtements dans le bateau. On est allés voir sa compagne, puis on a interrogé des proches qui nous disaient qu'il se débrouillait très bien. C'était un bon marin. Il avait même appris à un type à manoeuvrer pour sortir son bateau de la marina.»

«On ne connaît jamais quelqu'un à 100%»

Certes. Mais des doutes ne font pas une preuve. Il faut trouver un mobile qui justifie que Patrick disparaisse du jour au lendemain. «En regardant ses virements à la banque, on a remarqué qu'il avait préparé son départ, retrace Pascale. Le jour de son supposé suicide, il avait acheté une lampe, un chapeau... Il avait mis pas mal d'argent de côté. Finalement, on a découvert la supercherie.»

L'important, pour nous, c'est de comprendre comment fonctionne la personne disparue

Patrick, infirmier dans un secteur pour personnes autistes, avait en fait tout plaqué pour refaire sa vie à Albertville. Sa famille, inquiète à l'idée de ne plus le revoir, abandonnera l'idée de le retrouver. «Sa fille était déçue, même pas soulagée de savoir où il était. Son fils a dit: “Pour moi, maintenant, c'est un étranger.” Mais nous, on était pas étonnés», ponctue Thierry Coulon, président et fondateur de l'association ARPD depuis maintenant treize ans (1.500 visiteurs par jour sur leur site), et qui enchaîne les coups de téléphone pendant les deux heures d'entretien. 

La conclusion: 

«On ne connait jamais quelqu'un à 100%. Il faut toute une vie pour se connaître. L'important, pour nous, c'est de comprendre comment fonctionne la personne disparue. Si on fait ça, on a accompli 80% du job. Il faut se mettre dans sa tête.» 

La tentation de s'éclipser

Quand on demande à Thierry pourquoi il s'est lancé dans les disparitions, il coupe: «Ma vie privée doit rester privée, ça n'est pas intéressant. Je ne suis pas là pour faire pleurer sur mon sort mais pour aider les familles. Disons que j'ai une bonne raison de faire ça.»

Il existe des milliers de personnes qui, chaque année, en France, comme Patrick, décident de s'éclipser sans se retourner. De se retirer du monde, de partir sans jamais donner de nouvelles, avant, parfois, d'être retrouvées. Légalement, elles sont dans leur droit. Rien ne les oblige à donner signe de vie. Rien ne les empêche non plus de mettre les voiles pour «recommencer de zéro», l'une des tentations les plus poussées de notre modernité. Mais une chose est sûre: une disparition dite «volontaire» est toujours une décision mûrie à l'avance. «Celui qui jure descendre dans la rue chercher ses cigarettes et ne revient jamais, en fait, il a préparé son coup», avance Pascale Bathany. 

Si la disparition est inquiétante, alors là, c'est centralisé par la police judiciaire

En 2010, 406.849 fiches pour disparition

Au Service d'information et de communication de la police nationale, on jure qu'il n'existe aucun chiffre officiel ni aucune statistique particulière sur ces disparitions. Et on évacue la question d'un trait: 

«Si la personne est partie volontairement, c'est pris en charge par la brigarde de gendarmerie. Si la disparition est inquiétante, alors là, c'est centralisé par la police judiciaire. Si la personne est mineure ou majeure mais sous tutelle, alors elle relève de l'article 74-1 du code de procédure pénale, et l'enquête est confiée au Procureur de la République.»

Les personnes disparues, elles, sont tout de même centralisées dans le Fichier des personnes recherchées (FPR) qui comptait, à la fin de l'année 2010, 406.849 fiches: «Mais c'est le tout-venant. Il y a autant ceux qui sont partis après une dette fiscale que les personnes disparues, qui ont Alzheimer, et puis qu'on retrouve ensuite. Mais dans ce cas, les familles ne prennent pas forcément le temps de prévenir la police quand elles les ont retrouvées...»  

En moyenne, on dénombre 55.000 disparitions par an. Parmi elles, 45.000 fugues (contre 34.438 en 2000), et un bon paquet de jeunes filles ou de garçons qui font le mur puis reviennent ensuite. Mais aussi de plus en plus enlèvementsEnfin, 5.000 disparitions sont liées à des profils de personnes suicidaires, de malades d'Alzheimer, des gens dont on découvre bien vite le destin et sur lesquels il ne plane aucun mystère. Dans ce cas, le travail de la police permet de résoudre rapidement l'enquête. Et les personnes sont retirées du fichier. 

On ne le sait qu'avec l'enquête si une disparition est volontaire ou non. Tous les chiffres sont faussés

Fini la «Recherche dans l'intérêt des familles»

Cela laisse environ 5.000 personnes qui disparaissent volontairement. Un chiffre qui peut paraître énorme. «Le problème c'est qu'une disparition, c'est toujours inquiétant, rectifie Thierry Coulon, qui compte 328 dossiers dans sa carrière d'“enquêteur”. On ne le sait qu'avec l'enquête si c'est volontaire ou non. Tous les chiffres sont faussés en réalité...»

Derrière tous ces sigles et ces interprétations difficiles à décrypter, il existe, en réalité, un vrai problème. Depuis la disparition en 2013 de la RIF (un autre sigle qui signifie «recherche dans l'intérêt des familles»), qui permettait de lancer une procédure administrative pour retrouver des proches dont la disparition n'était pas jugée «inquiétante», beaucoup sont jugées en «main courante»

Décidée par le ministère de l'Intérieur le 26 avril 2013, l'abrogation de la RIF ne permet plus de rassembler les familles contre leur gré. Officiellement, le gouvernement met en avant le rôle des réseaux sociaux et des nouvelles technologies, qui permettraient de retrouver plus facilement les disparus, pour justifier la fin de cette procédure. Sauf qu'une personne qui disparaît poste rarement des photos sur Facebook... Officieusement, c'est en fait une restriction de budget qui les oblige à verrouiller la procédure. Ainsi qu'une hausse des demandes pour révisions de pensions alimentaires, certains pères ayant déserté sans laisser de traces pour ne pas payer ce que leur femme leur réclame. 

Le poids de l'usure et du manque de moyens

En 2010, la RIF recensait 7.591 dossiers en cours. Seuls 2.389 dossiers avaient débouché sur la localisation des personnes. Parmi eux, 1.147 (48%) avaient consenti à divulguer leur adresse. En 2012, avant leur disparition, on dénombrait 496 nouvelles ouvertures de RIF. Dans les faits, si rien n'est inquiétant dans le dossier psychologique ou dans les conditions de vie du disparu, celui-ci est fiché. Et la police le retrouve éventuellement par recoupement, en cas d'infraction par exemple. 

Aujourd'hui, on est de plus en plus derrière le bureau, même si rien ne remplace l'enquête sur le terrain

Fabrice Brault, FBI

Si la disparition n'est pas volontaire, elle peut être jugée comme inquiétante par la police. Mais l'usure du temps et le manque de moyens humains poussent certaines familles à faire appel à une aide extérieure. Ainsi, le travail des associations a bondi. Mais elles ne sont pas les seules sur le coup. Des citoyens qui lancent un groupe Facebook aux détectives privés, tous ont une raison de proposer leur aide. Certains, évidemment, sont moins bien intentionnés que d'autres. 

Le sujet prête vite le flanc à tous les fantasmes. «J'ai connu le métier de détective avec et sans Internet. À l'époque, on était vraiment des artisans», observe Fabrice Brault, qui dirige l'agence FBI (ça ne s'invente pas), et assure qu'il peut travailler pour 300 euros, selon la difficulté. Il poursuit: 

«Aujourd'hui, on est de plus en plus derrière le bureau, même si rien ne remplace l'enquête sur le terrain, le jeu de pistes, le côté humain. Les gens parlent de moins en moins, donc on prêche de plus en plus le faux pour avoir le vrai. La loi nous permet de ne pas dévoiler notre identité.»

Détective, un métier encadré

Mais les idées reçues ont la vie dure. Contrairement à ce qu'on imagine, le métier de détective est encadré. Une école, un diplôme agréé par l'État, et même une enquête de moralité: les obstacles sont nombreux avant de se lancer et d'obtenir sa licence, là où, autrefois, la profession était surtout peuplée d'anciens flics qui disposaient encore des fichiers de police et des contacts glânés sur le terrain. «On est parfois sur écoutes et on est parfois contrôlés de façon inopinée par des visites de routine. Un agent du ministère de l'Intérieur, avec licence du Cnaps (Conseil national des activités privées de sécurité, ndlr), nous demande comment on travaille.» Fabrice a débuté dans le métier à 20 ans, en 1995. Il en a 41 aujourd'hui et dirige son agence à Tours, à son compte: 

Les gens sont de plus en plus fichés. Tant mieux, ça permet de laisser des traces un peu partout

Fabrice Brault

«C'est une vocation, rembobine-t-il. J'ai d'abord fait des études en gestion bancaire et j'ai travaillé dans une société de crédit qui, au lieu de proposer un stage universitaire, m'a offert un emploi dans un service de contentieux. J'ai fait un remplacement mais, un mois après, une petite annonce dans un journal titrait “recherche enquêteur. Le lendemain, je suis allé chez un artisan du métier qui m'a tout appris. Quand il a pris sa retraite, je me suis lancé.» 

Ce qui a changé dans le métier? 

«Les gens sont de plus en plus fichés. Tant mieux, ça permet de laisser des traces un peu partout. Ils ont tous un portable. Mais il m'arrive, par exemple, de retrouver l'adresse e-mail d'un disparu sans avoir son adresse. C'est rageant...»

Éviter de gêner la police

Patricia Fagué, ancienne journaliste pour l'émission «Perdu de vue» de Jacques Pradel, s'est reconvertie en chercheuse cathodique (largement critiquée par certains professionnels du secteur pour avoir recyclé ses contacts et son CV). Elle dispose toutefois d'une expertise qu'on ne peut pas lui enlever. Selon, elle, «le problème des policiers, c'est que, parfois, ils ne sont pas très grands psychologues.» Celle qui a également lancé un site, Personnedisparue.com, reconnaît, toutefois, qu'«on a régréssé depuis la fin de la RIF»

«Quand ils retrouvent un disparu, ils mettent les pieds dans le plat. Et bien souvent, les gens refusent de revenir. En d'autres circonstances, ils seraient peut-être d'accord pour revoir leurs familles. Quant aux associations, elles ne sont pas toutes formées. Et c'est parfois une catastrophe. Les détectives, je pense que c'est encore pire...» 

Quand on me contacte pour une disparition inquiétante, je les dirige directement vers la police. Je ne suis pas compétente

Patricia Fagué

Seulement, les proches de personnes disparues doivent bien se débrouiller par leurs propres moyens. «Quand on me contacte pour une disparition inquiétante, je les dirige directement vers la police. Je ne suis pas compétente», jure Fagué, qui a surtout affaire à des cas médiatisés, où certains enfants veulent retrouver, par exemple, une mère qui les a abandonnés à la naissance. 

Même son de cloche chez Fabrice Brault: 

«Je ne travaille pas en même temps que la police. Si jamais c'est le cas, je les informe, en toute transparence. Imaginons qu'on se planque au même endroit! Mais bien souvent, eux n'ont pas les moyens de mettre un fonctionnaire en planque. Nous, c'est notre métier: on est mêmes faits pour ça! Aujourd'hui, les gens ont de moins en moins confiance dans la police, alors ils font appel aux deux... Une fois que la police piétine et ne bouge plus, les familles nous appellent après deux semaines, trois semaines voire un mois, et on reprend l'enquête avec les éléments qu'ils veulent bien nous donner.»

Duluc Détective, une des plus célèbres agences à Paris (Guillaume Bavière)

Planques et enquêtes de voisinages

Rechercher des gens, c'est un métier. Enquête de voisinages, planques à l'ancienne, recoupements d'infos administratives, création de groupes sur Internet et diffusion de photos sur les réseaux sociaux. Les moyens ont évolué, les fondamentaux restent les mêmes. Internet rebat les cartes de la recherche, avec des groupes Facebook qui dupliquent les photos à l'infini et peuvent perturber le travail de la police. Quelques années après avoir donné de nouveau signe de vie, certaines personnes constatent que leurs portraits circulent parfois sur internet. D'où la nécessité de se coordonner. 

«On envoie d'abord un dossier que les gens nous renvoient, puis on lance une enquête de terrain. Puis enquête de voisinage. Et surtout, on essaie de comprendre comment fonctionne la famille», explique Thierry Coulon, de l'ARPD, dont l'association demande simplement une cotisation de 30 euros aux familles, et qui reçoit entre 25 et 30 appels par semaine rien que pour les RIF. 

Jean-Yves Bonissant, à la retraite depuis mai 2015, recherche son fils Emmanuel depuis 1996

À la recherche d'Emmanuel

La volonté est toujours la première des vertus. Jean-Yves Bonissant, à la retraite depuis mai 2015 après une carrière dans un centre pour handicapés mentaux, recherche son fils Emmanuel depuis 1996. Celui-ci avait 20 ans. Incorporé dans la marine en Bretagne, il enchaîne les frustrations. Vit une relation amoureuse tumultueuse. «Il voulait faire carrière dans l'armée, mais celle-ci n'a pas su l'embarquer immédiatement. Au bout de trois semaines, il s'est retrouvé à Landivisiau, à trente kilomètres de la mer, puis on suppose qu'il est parti en dépression. Et plus aucune nouvelle», retrace le père de «Manu», pour lequel il a créé une association il y a maintenant seize ans. «Il a envoyé deux lettres à sa petite amie, comme quoi il voulait mettre fin à ses jours. On suppose qu'il ait pu se lancer dans la marine marchande.» Pourquoi?

Un jour, quelqu'un se présente au Consulat de France à Osaka, au Japon. Un grand port de... marine marchande. Il a un faux passeport pour pouvoir voter à l'élection présidentielle de 2012. Sur les papiers, il inscrit le nom d'Ercheu, un petit village de 800 âmes situé en Picardie, d'où la famille est originaire. «Il y a de grandes chances que ce soit lui, veut croire son père. A-t-il voulu fanfarroner devant les autorités? A-t-il voulu donner signe de vie? J'ai fait une recherche appronfondie là-bas, il y a même eu un signalement à Interpol, mais ça n'a rien donné.» La même attente, pesante.

Le jour de la finale de la Coupe du Monde 1998, à 13h30, j'ai eu l'autorisation de mettre une pancarte où je voulais dans le stade

Jean-Yves Bonissant

Ravis d'être retrouvés

Jean-Yves est bavard et détaille pendant près d'une heure tout ce qu'il a mis en place. 

«Il faut tout prévoir. J'ai d'abord essayé par les médias liés au football, comme “Téléfoot. Emmanuel était supporter du RC Lens. Avant Lens-Marseille en 1996, l'émission a démarré avec un reportage qui diffusait la photo d'Emmanuel. On a marqué des points. Et le jour de la finale de la Coupe du Monde 1998, à 13h30, j'ai eu l'autorisation de mettre une pancarte où je voulais dans le stade. Y'a un petit rigolo qui a été mettre le drapeau bleu blanc rouge dessus. Mais avant cela, elle a été vue par tous les médias. Sur les deux buts que marque Zidane, si y'avait pas son drapeau, on voyait la pancarte.»

Emmanuel fait peut-être partie de ces personnes qui fuient dans l'espoir d'être retrouvés. Patricia Fagué jure que certains sont «ravis» qu'on revienne sur leur piste. Tout dépend du premier contact. 

Fabrice Brault: 

«En matière de médiation, il faut être calme, posé et diplomate. Voir où est la faille, expose-t-il. La loi m'oblige à demander le consentement de la personne retrouvée pour contacter la personne demandeur. C'est à moi de convaincre l'enfant de donner des nouvelles à sa mère. Il m'arrive d'appeler avec mon portable et d'avoir la mère, dont l'enfant lui donne des nouvelles. Au moins elle est rassurée. Je vous cache pas qu'elle demande des informations, mais je lui en donne un minimum.» 

D'après ses observations, la réaction des disparus volontaires est souvent compatissante pour ceux qui les recherchent: 

«Quand je retrouve un fils disparu, on me dit régulièrement: “Qu'est-ce qui est arrivé à ma mère, elle est décédée”? Dans ce cas là, y'a une faille sentimentale dans laquelle je peux m'engouffrer. Moi, je cherche à comprendre pourquoi la personne a coupé les ponts. La plupart du temps, les parents ne comprennent pas. Une fois qu'ils savent, ils sont déjà soulagés et peuvent un peu passer à autre chose. Y'a toujours un drame derrière tout ça.»

Je me souviens d'un garçon qui a déposé plainte contre ses parents pour atteinte à la vie privée. Il était majeur

Jean-Yves Bonissant

Patricia Fagué confirme: 

«Dans 90% des cas, ça se passe super bien. Les gens disparaissent parce qu'ils sont malheureux ou parce qu'il y a un manque de communication. Ce sont des gens qui ont besoin d'être aimés. Sur Chérie 25, j'ai fait une émission, en live. Quand je toquais à la porte, on se retrouvait, tout le monde disait oui et pleurait. C'est de l'émotion. Même le caméraman était en larmes. Les gens ne se recherchent pas pour se faire du mal... Ou alors si j'ai le moindre doute sur les motifs de la recherche, je ne me lance pas.»

Des disparitions plus dramatiques

Malheureusement, toutes les retrouvailles ne sont pas enveloppées d'un écrin de bonheur. Jean-Yves Bonissant raconte: «Je me souviens d'un garçon qui a déposé plainte contre ses parents pour atteinte à la vie privée. Il était majeur. Au départ, tout semblait indiquer qu'on avait affaire à une disparition inquiétante.»

Dans les cas de conflits entre deux parents, par exemple, les disparitions d'enfants peuvent facilement tourner au drame. L'affaire du petit Mathis, disparu depuis le 4 septembre 2011, est emblématique de ce phénomène d'enlèvements liés à des déchirements familiaux, et qui a tendance à augmenter. Sylvain Jouanneau, en conflit avec son ex-femme, Nathalie Barré, a reconnu avoir enlevé l'enfant avant de le confier à un groupe de personnes, mais refuse de dire où il se trouve. «Ce dont j'ai peur c'est de voir mon enfant détruit par tant d'années de séparation, a  dit la mère lors du procès de son ancien compagnon, condamné à vingt ans de prison en juin 2015. Même si ce serait une joie immense de le revoir, j'imagine qu'il sera détruit. Mathis est déjà détruit. C'est insupportable.»

Par chance, on retrouve beaucoup de vivants, sinon ce serait déprimant

Pascale Bathany

«Chaque personne vit différemment une disparition, assure Pascale Bathany, de l'ARPD. Par chance, on retrouve beaucoup de vivants, sinon ce serait déprimant. Notre plus beau cadeau, c'est quand on réunit une famille.» Il arrive aussi, malheureusement, qu'on ne retrouve pas ceux qui sont partis. Ou qu'on les retrouve morts. 

«J'ai connu le cas d'un monsieur qui a fait son service national dans la gendarmerie. Il partait dans la Somme chaque vendredi pour le week-end. Il téléphone à sa petite amie: “j'arrive dans quarante-cinq minutes, je suis à une station service. Il n'est jamais arrivé”, continue Bonissant. Le dispositif s'est déclenché. Police et gendarmerie vont sur le terrain pour faire des navettes sur la route, voir s'il n'a pas eu un accident. Rien d'anormal. L'enquête piétine pendant des semaines... Un oncle passait tous les jours sur cette route là. Il n'a rien remarqué. Un jour, un cultivateur entend parler de l'histoire. Il avait vu des phares ce jour-là. Le cultivateur a indiqué un endroit. La personne avait loupé un virage.»

Diffuser l'information

Beaucoup de ceux qui s'impliquent ont eux-mêmes été touchés par une disparition. Marie-José et Alain Boulay, avec trois autres familles, créent en 1991 l'Apev, l'Association d'aide aux parents d'enfants victimes, à la suite de l'enlèvement et de l'assassinat de leur fille. «Après l'affaire Dutroux en 1996 et l'enlèvement de Marion, on s'est beaucoup impliqués dans l'affichage. Tous les deux ans, on édite une affiche de recherches d'enfants. Notre rôle, c'est de diffuser au maximum l'information», confie Alain, qui se refuse à faire des enquêtes, car «en général, on fait plus de dégâts qu'autre chose»

Notre travail est complémentaire avec la police. Mais il se limite parfois à écouter les familles

Alain Boulay

Sur leur site, des fiches avec des informations et des descriptions les plus minutieuses possibles: «Marie a fugué le 3 août 2015 du domicile maternel de BUBRY (56) en compagnie d’un homme de 39 ans recherché par les services de police. 1,63 m, 45 à 50 kg, cheveux châtains, yeux bleus, piercing au niveau de l’arcade sourcilière droite.» 

«Notre travail est complémentaire avec la police. Mais il se limite parfois à écouter et aider les familles. Au début, on cherche beaucoup, puis on doit supporter la douleur. C'est important de constituer des groupes de parole pour supporter l'absence.»

Y compris si on sait comment se termine une affaire. Car après les bourrasques médiatiques, certains peuvent se sentir très seuls.

Sur Facebook, l'enquête Xavier Dupont de Ligonnès continue

Enquêteurs en herbe et théories du complot

Quelques disparitions font ainsi couler beaucoup d'encre. Et attirent les esprits les plus torturés ou séduits par les théories du complot les plus fantasques. Ainsi, dans ce monde où gravitent des enjeux sérieux (disparitions et assassinats d'enfants), d'autres se focalisent sur les histoires les plus extraordinaires, comme celle de Xavier Dupont de Ligonnès. Aussi pendant cette enquête, j'ai fait la rencontre de Christophe Darras, un personnage assez loufoque et étrange, président de l'agence RIMC (pour «renseignement investigation militaire et civile»). 

Au téléphone, il tient des propos flous, ambigus, parfois dénués de tout sens logique: «On travaille beaucoup avec la gendarmerie et la police judiciaire et cela marche par commission rogatoire. En tant qu'association, on intervient dans les dossiers au cas où il manquerait des choses pour mettre en œuvre des recherches. C'est basé sur la criminalité, car souvent c'est lié à un crime, ou à d'autres méthodes. Parfois même au terrorisme ou de l'espionnage industriel...» Si son association a été créée il y a un an, le bonhomme âgé de 38 ans certifie avoir engagé des études de droit via le Cned, «car c'est indispensable»

Certains témoins de notre enquête le soupçonnent de faire payer les familles

«Au niveau de ma formation, je suis issu de la brigade de renseignements du 2e régiment de Hussards. Ça dépend du ministère de la Défense. J'y suis entré par engagement. Comme tout engagement militaire, on fait des examens médicaux, des tests psychologiques. Je suis entré au régiment à 18 ans, j'ai fait mon service militaire, je me suis engagé pendant cinq ans en 1996. Je suis parti, pour des raisons personnelles.»

Certains témoins de notre enquête le soupçonnent de faire payer les familles, parfois dupes. Pourtant, les visuels de son site, sur lequel il détourne les logos d'Alerte enlèvement et du ministère de la Justice, semblent laisser peu de place au doute. Il n'empêche, dans le désarroi, certains peuvent se laisser piéger. Et ajouter de la souffrance à la souffrance.

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