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Au Canada, le cannabis médical est légal, mais…

Depuis 2014, ce sont les médecins qui sont chargés de le prescrire. Une responsabilité qu’ils refusent de prendre, laissant les patients face à deux options: participer à des études cliniques ou s’en procurer de manière illégale dans des dispensaires.

REUTERS/Blair Gable.
REUTERS/Blair Gable.

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Au Canada, une agence du ministère de la Santé estime aujourd’hui que 40.000 citoyens ont recours au cannabis médical et que ce chiffre pourrait passer à 300.000 d’ici 2020. Il faut dire que consommer du cannabis pour des raisons de santé est partiellement légal dans le pays. En comparaison, chez les voisins américains, quatre états ont autorisé sa consommation récréative (l’Oregon étant devenu le dernier) et dix-huit ont légalisé sa consommation à titre médical. En France, les politiques restent encore très frileux et son usage général est pénalisé, et ce alors que l’Hexagone est pourtant le troisième pays consommateur de cannabis au niveau européen d’après les derniers chiffres de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies.

Au Canada, un jugement rendu en 2000 par la cour d’appel de l’Ontario a disposé que rendre le cannabis médical indisponible contrevenait à la charte canadienne des droits et libertés de la personne. «Ce jugement demande au gouvernement fédéral de le rendre accessible aux patients qui en font la demande tout en ne modifiant pas son statut de produit illégal», détaille le Dr Yves Robert, premier secrétaire du Collège des médecins du Québec. Facile, alors, de se procurer de la marijuana? Pas vraiment. Santé Canada (l’équivalent de la Sécurité sociale française) refuse de considérer le cannabis comme un médicament, tout comme les médecins. Depuis le 1er avril 2014, quiconque souhaite consommer la plante à des fins médicales doit présenter une ordonnance délivrée par un docteur aux producteurs agréés par Santé Canada.

«Le cannabis aide les patients»

«Le gouvernement Harper nous a mis dans une position difficile en nous confiant une telle responsabilité. Il savait qu’on ne voudrait pas faire ce genre de prescriptions, ce qui l’aiderait dans sa lutte contre la drogue», théorise le Dr Yves Robert. Les raisons de ce refus sont simples: «Nous n’en connaissons ni les dosages, ni les effets secondaires, ni les interactions possibles avec les autres médicaments», poursuit le premier secrétaire du Collège. Le seul cadre dans lequel le corps médical s’autorise à prescrire le cannabis médical est celui de la recherche.

Le gouvernement savait qu’on

ne voudrait pas faire ce genre
de prescriptions

Dr Yves Robert, premier secrétaire
du Collège des médecins du Québec

C’est ainsi que quelques rares médecins, comme le Dr Michael Dworkind, à la clinique Santé Cannabis de Montréal ouverte depuis 2014, prescrivent le cannabis dans ce cadre-là. Le spécialiste compte 27 années d’expérience dans les soins palliatifs: «Nous n’allons pas à l’encontre de la volonté du Collège des médecins, nous avons tenu une réunion pour leur expliquer ce que nous faisions et cela s’est très bien passé», affirme le médecin. «Ils se voient véritablement comme des consultants auprès d'autres médecins traitants. Ils participent à des projets de recherche et se conforment ainsi aux obligations du Collège», renchérit le Dr Yves Robert.

«Ici, ce qu’on veut, c’est rendre service à la fois au patient et à son médecin, qui ne sent pas à l’aise pour prescrire», explique le Dr Dworkind, aussi directeur médical de la clinique. Pour lui, c’est une évidence, «le cannabis aide les patients. Mon travail n’est pas basé sur la foi mais sur de réels résultats scientifiques». Dans cette clinique, les bienfaits de la plante sont donc largement reconnus: «On sait beaucoup de choses sur elle, mais on essaie de la traiter comme un narcotique alors que c’est un produit naturel. Personne ne meurt d’avoir trop pris de cannabis, c’est un produit bien plus sécurisé que les autres disponibles sur le marché médical», poursuit Adam Greenblatt, fondateur de l’Association canadienne de dispensaires de cannabis médical et grand défenseur de la légalisation de la marijuana en général.

Des municipalités contre l'Etat

Certains patients restent pourtant privés d’un accès au cannabis médical dans le cadre de la recherche. Ils se le procurent dans ce qui est communément appelé des «clubs compassion» ou des cliniques de soins de santé, mais à certaines conditions: «Avoir une ordonnance d’un médecin est presque impossible pour les patients alors nous ne leur en demandons pas mais nous étudions méticuleusement leur dossier médical. Seuls les malades qui souffrent d’épilepsie, de la sclérose en plaque, de cancer, d’arthrose chronique ou du VIH peuvent recevoir ce genre de traitement», explique le cogérant d’une clinique qui a voulu rester anonyme. Une prise de risque vis-à-vis des autorités canadiennes qui ne l’empêchent pas de maintenir son établissement ouvert: «Cela vaut la peine car nous soulageons vraiment des souffrances», affirme-t-il.

A Vancouver aussi, certains dispensaires délivrent du pot médical sans demander d’ordonnances. Des commerces que la Ville préfère réglementer et encadrer, allant à l’encontre des demandes du gouvernement fédéral: «Légitimer ce genre de commerce de vente […] revient à la normaliser», a affirmé la ministre fédérale de Santé, Rona Ambrose, il y a quelques mois. Le 9 septembre dernier, treize dispensaires canadiens ont reçu une lettre de Santé Canada les sommant de cesser leurs activités sous la peine de s'exposer à des poursuites judiciaires. Pour les gérants des dispensaires, c’est un nouveau coup dur, surtout avec les élections fédérales qui s’annoncent le 19 octobre: «Si le gouvernement conservateur repasse, nous serons tous en danger», affirment-ils d’une même voix.

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