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Les nouvelles images qui prouvent le soutien de Poutine à Bachar el-Assad

Des photos aériennes obtenues par nos partenaires de Foreign Policy montrent l'intensification de la présence russe en Syrie.

Temps de lecture: 6 minutes

Au cours de l’année écoulée, les preuves de l’intensification de la présence militaire russe en Syrie n’ont cessé de s’accumuler. L’armée de Bachar el-Assad lui fait défaut sur le terrain et le président syrien s’appuie de plus en plus sur l’aide extérieure. Au départ, cette aide venait du Hezbollah et d’Iran, mais il semblerait que ce soit désormais le tour de Moscou. Et Washington est peut-être enfin en train de se rendre compte de l’ampleur de l’intervention russe en Syrie.

De nouvelles photos satellites obtenues par Foreign Policy et montrant un chantier dans une base aérienne près de Lattaquié laissent peu de doute sur la totale confusion de la politique américaine actuelle en Syrie. Comme on dit: voir, c’est croire.

Certes, la présence de l’armée russe en Syrie ne date pas d’hier. Lorsque les forces d’opposition ont envahi un poste d'écoute syrien en octobre l'année dernière, les images ont révélé qu’il était occupé par des militaires russes. Plus récemment, des analystes ont mis en avant des images et des vidéos semblant confirmer la présence d’unités russes en train de se battre en Syrie. Des véhicules militaires russes ont été repérés, tandis que des soldats russes ont posté des images et des commentaires sur des médiaux sociaux comme VKontakte et le LiveJournal, ce dernier basé en Californie, racontant leur service dans ce pays dévasté par la guerre (certaines des meilleures analyses en open source sont disponibles sur le site Bellingcat).

Nous vivons dans un monde très étrange, marqué à la fois par les «petits hommes verts» de la guerre «hybride», que Moscou peut désavouer, et par une omniprésence des données permettant aux analystes de railler ces dénégations.

Pourtant, la question de l’ampleur du soutien du régime syrien par la Russie depuis quatre ans se pose toujours. Y-a-t-il seulement des Russes dans les véhicules de combat fournis par Moscou? Les analystes en open source ont fait montre d’une certaine audace en laissant entendre que oui, et ce après avoir entendu des bribes de russe entre deux détonations du canon du véhicule. Mais les Russes prétendent que les accents slaves sont simplement ceux d’un tout petit nombre de formateurs ou de consultants. Circulez, y’a rien à voir.

C’est très dur à croire aujourd’hui. Le 4 septembre, le New York Times a publié un article indiquant que la Russie avait envoyé des logements préfabriqués et une station de contrôle du trafic aérien mobile à un aérodrome près de Lattaquié. C’était un sacré scoop, mais j’ai été fort étonné que le New York Times ne se donne pas la peine d’acheter une image satellite de l’installation. S’ils l’avaient fait, ils se seraient rendu compte que leur arbre cachait une forêt.

Déplacez le curseur de gauche à droite pour comparer une image Google Earth de la base aérienne près de Lattaquié à une image satellite récente de la même base.

Une image satellite récente de la même base.

Un noyau logistique pour les forces de combat russes

La photo satellite montre bien davantage que des logements préfabriqués et une station de contrôle aérienne. Elle révèle le grand chantier de ce qui ressemble à des quartiers militaires à l’aéroport international Bassel al-Assad (baptisé d’après le frère aîné de Bachar, mort dans un accident de voiture en 1994). Ces quartiers semblent conçus pour soutenir les opérations de combat aérien russes depuis la base et pourraient servir de noyau logistique aux forces de combat russes.

Ces derniers jours, à l’aide de sites de suivi des avions, un certain nombre d’analystes se sont mis à rendre compte de l’arrivée quasi-quotidienne d’avions de transport russes à cette base. Les Russes envoient également des bateaux en Syrie, bateaux qui déclarent souvent se diriger vers un port voisin non-syrien, comme celui de Port Saïd en Egypte, avant de se tromper bêtement de chemin, va-t-on dire.

Les dirigeants américains pensent que la Russie va baser des avions de combat sur le site

Selon Josh Rogin de Bloomberg, la Maison Blanche a programmé une réunion du Conseil national de sécurité la semaine dernière pour aborder la question de ces constructions. En jeu, la façon de gérer une situation où Vladimir Poutine met le paquet en faveur du gouvernement Assad alors que la politique américaine est en miettes.

Selon Rogin, les dirigeants américains pensent que la Russie va baser des avions de combat sur le site, ce que les images satellites peuvent aisément confirmer. Ces dernières semaines, les ouvriers ont achevé un taxiway reliant la piste d’atterrissage au site du chantier. Ce qui signifie des hangars pour les avions russes.

L’ampleur du chantier ne s’arrête pas là; de grands bouts de terrain ont été nettoyés à plusieurs endroits de la base aérienne. Il y a des palettes et des grues partout. On voit des camions se diriger vers le site (nous avons annoté la photo, mais je recommande vivement de suivre @finriswolf sur Twitter). Ces images aident à comprendre ce que signifient tous ces vols et autres cargaisons vers la Syrie: la Russie est en train d’intensifier son implication de façon significative.

Guerre par procuration contre Moscou

Il reste désormais peu d’espoir d’instaurer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Syrie, à moins que Washington n’envisage d’abattre des avions russes. Avec du recul, les efforts américains pour armer l’opposition à Assad signifient livrer une guerre par procuration contre Moscou, soit en essayant d’abattre les avions russes, soit en aidant l’opposition syrienne à tuer les soldats russes sur le terrain. La tâche semble bien plus ardue que de livrer une guerre par factions interposées contre l’Iran et le Hezbollah.

Mais au-delà de la seule question de savoir si les Etats-Unis veulent soutenir directement les opérations de combat contre les forces russes présentes en Syrie, l’apparent engagement de Moscou auprès de Damas pose des questions fondamentales sur les chances de succès d’une quelconque stratégie américaine. Je suis depuis longtemps opposé à toute collaboration avec Assad. Je ne crois pas qu’il veuille combattre l’Etat islamique; il a juste l’air d’avoir envie d’attaquer les forces d’opposition qui le menacent directement (en fait, en renonçant à certaines parties de la Syrie au profit de l’Etat islamique, il crée un second front pour ses opposants). Je ne crois pas non plus qu’il aura jamais assez de soutiens pour rétablir le contrôle de son gouvernement en Syrie. Pour qu’il y ait le moindre espoir d’unifier les Syriens, Assad doit partir.

Ce qu’a fait la Russie cependant, c’est établir clairement qu’elle ne laissera pas tomber Assad. Il ne peut pas gagner, mais la Russie ne le laissera pas perdre. Ce qui condamne apparemment la Syrie à une guerre sans fin, car Assad enverra ses hommes se battre jusqu’au dernier. Il y a ceux qui voient la Syrie comme un véritable bourbier pour Poutine, un genre de reflet de la folie américaine en Irak; tout comme Washington a collectivement considéré l’Afghanistan comme des représailles pour le Vietnam. Je ne suis pas aussi optimiste.

Si la guerre selon Charlie Wilson a contribué à populariser l’idée de saigner Moscou, je ne crois pas que cela puisse constituer pour autant la base de la politique américaine. Le coût moral est bien trop élevé. Aylan Kurdi, le petit garçon de 3 ans dont le cadavre s’est échoué sur une plage turque, fuyait la guerre civile en Syrie tout comme des centaines de milliers des réfugiés présents aujourd’hui en Europe. Plus de la moitié des 17 millions d’habitants de Syrie ont été déplacés. Saigner Moscou, cela veut dire saigner ces gens. Cela peut sembler stratégique dans un bureau militaire du Pentagone, mais pas quand des corps d’enfants s’échouent sur le rivage.

Pas sûr qu'on puisse sauver la Syrie

Les éditos sont censés proposer des solutions simples. Un éditorial doit comporter cinq paragraphes entourés d’un joli petit ruban expliquant comment résoudre le problème exposé dans le premier paragraphe. Une de mes professeures préférées (et collègue à Foreign Policy), Kori Schake, les comparait aux réponses des candidates des concours de beauté. Elle avait raison, mais j’ai beau faire de mon mieux, pas moyen de trouver une solution. Il semble que parfois, un conseil avisé de quelques centaines de mots ne suffise pas à apaiser la douleur du monde.

Il n’existe pas de voie pour ressusciter un Etat en déroute

Donc cette chronique n’a pas de fin bien nette ni bien proprette. Parce que je ne suis pas sûr qu’il soit désormais possible de sauver la Syrie. Il n’existe pas de voie pour ressusciter un Etat en déroute, pas tant que Poutine décidera de faire le maximum pour protéger l’horrible régime d’Assad et condamner la Syrie à un conflit sans fin. Nous pouvons, bien sûr, compliquer la tâche de la Russie lorsqu’elle réapprovisionne ses forces en Syrie. Déjà certains alliés de l’Otan, comme la Bulgarie et la Turquie, ont refusé aux avions russes le survol de leur espace aérien. Et l’Irak aussi semble avoir refoulé au moins un avion.

Et nous pouvons sûrement en faire bien davantage pour protéger les millions de réfugiés qui fuient aujourd’hui le conflit. Compte tenu de leur responsabilité dans la création de ce chaos avec l’invasion de l’Irak et leur échec à arrêter les effusions de sang en Syrie, les Etats-Unis et leurs alliés européens ont l’obligation d’assister ces gens. C’est particulièrement vrai des pays qui ont été les plus fervents supporters de l’invasion de l’Irak. Vous vous souvenez de la coalition pour l’invasion en Irak? Oui la Hongrie, c’est à vous que je parle.

Mais ces mesures ne remplaceront pas Bachar al-Assad par une personnalité susceptible d’unir les Syriens modérés dans la restauration d’un gouvernement stable, et encore moins arrêteront-elles les effusions de sang. Elles ne sont au mieux qu’une expression d’empathie et de contrition. Il faut convaincre Poutine de dire à Assad qu’il est temps de partir. En attendant, et tant que le soutien militaire de Moscou continuera d’affluer en Syrie, les misères de ce pays se perpétueront.

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