Monde

Obama est-il un faible?

Le président américain est menacé du syndrome d'impuissance de Jimmy Carter.

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C'est la nouvelle question à la mode: après la pandémie d'Obamania  qui a touché toute la planète depuis bientôt un an, le doute commence à s'installer dans l'esprit des Grands -ou des moins grands- de ce monde. Et si Barack Obama  était un nouveau Jimmy Carter? Et si toutes ses bonnes  intentions, sa main tendue à tous, son offre de dialogue n'étaient  que le reflet d'une grande naïveté et de l'incapacité  de comprendre que le monde est tragique, et que seuls comptent les rapports de forces entre Etats et la capacité de nuire.

Pourquoi cette soudaine inquiétude? Parce que Barack Obama a proposé d'ouvrir le dialogue avec l'Iran?  Parce qu'il a décidé de ne pas poursuivre la politique de Bush sur la défense anti-missiles? Mais il y a aussi l'Afghanistan, le Proche-Orient et, sur le plan intérieur, la réforme du système de santé. Mauvais procès mais qui pose quand même des problèmes de méthode et de fond.

Mauvais procès car ceux qui suspectent aujourd'hui Obama d'être faible sont souvent les mêmes qui dénonçaient hier la brutalité de Bush. C'est d'ailleurs un grand classique: les Américains ont toujours tort. Quand ils gonflent leurs muscles, utilisent la force (ou menacent de l'utiliser), ils sont accusés de mettre le monde à feu et à sang; s'ils  sont en faveur du dialogue et de la réconciliation, ce sont d'incorrigibles idéalistes qui font le jeu des dictateurs et affaiblissent le «camp occidental».

Mauvais procès sur l'Iran. D'abord parce que la politique d'Obama est exactement celle qu'il  a annoncée tout au long de sa campagne. Ensuite et surtout pour une raison de fond. Depuis 2003, la politique  des Européens à l'égard de l'Iran a consisté à dire aux dirigeants iraniens: vous avez menti sur votre programme nucléaire; vous avez rompu la confiance  de la communauté internationale. Au lieu de vous sanctionner immédiatement à l'AIEA et au Conseil de Sécurité, nous vous proposons un marché: rétablissez la confiance en suspendant votre programme d'enrichissement de l'uranium et  ouvrons une négociation sur tous les sujets de coopération, ce qui vous permettra de retrouver votre respectabilité internationale.

Si  cette politique n'a pas  donné les résultats escomptés, c'est parce que les Iraniens n'ont jamais voulu sérieusement négocier; et s'ils n'ont pas voulu négocier c'est parce  que les Etats-Unis de Bush ont refusé de s'impliquer dans la négociation et ont ainsi donné un parfait prétexte aux Iraniens (ainsi d'ailleurs qu'aux Russes et aux Chinois pour s'opposer à des sanctions trop dures  à l'égard de l'Iran).. Ce serait quand même un comble de reprocher à Obama de rentrer dans le jeu et de vouloir ouvrir une négociation sur  tous les sujets d'intérêt commun: le nucléaire mais aussi la sécurité régionale, le Proche - Orient, le terrorisme,  les  droits de l'Homme etc.

Mauvais procès aussi sur la défense antimissiles. Cela fait maintenant 25 ans que cette affaire empoisonne les relations avec la Russie (et, subsidiairement avec les alliés des Etats-Unis puisque, souvenez-vous, pour Reagan, la défense antimissiles était une façon de rendre les armes nucléaires  «obsolètes», ce qui n'était pas du goût des Français). Avec l'élargissement de l'Otan,  la volonté américaine de déployer un système de défense antimissiles, même réduit, a été utilisée par les Russes  comme la preuve que les Américains  voulaient «encercler» et mettre à terre la Russie.  La décision d'Obama  de réorienter le programme en le concentrant  sur  des menaces  bien ciblées (l'Iran en particulier) permet de faire coup double: marquer la rupture avec l'ère Bush dans les relations avec la Russie en démontrant une volonté de coopération et  obtenir un durcissement des Russes sur la question des sanctions vis-à-vis de l'Iran. Ce n'est quand même pas Munich!

Mais tous ces soupçons et ces critiques plus ou moins explicites  et plus ou moins sincères à l'égard d'Obama  sont révélateurs d'un problème de méthode et d'un problème de fond.

Pour la méthode, c'est simple; c'est comme toujours: des décisions majeures qui ont des conséquences directes sur la sécurité et les intérêts des Alliés des Etats-Unis sont prises sans concertation véritable, sans discussion de fond surle contenu, le timing, le bienfondé et les inconvénients de ces décisions.

D'où, sur l'Iran, un certain malaise: les Iraniens répondent  à l 'offre  américaine de dialogue par une lettre surréaliste où la question nucléaire est à peine mentionnée. Tout le monde s'accorde à penser que ce n'est pas sérieux. Obama répond quand même positivement et accepter une première réunion début octobre. Les Européens se sentent obligés de suivre; les Israéliens aussi.

Sur la défense antimissiles, ce sont les Européens de l'Est qui se réveillent avec la gueule de bois. On leur avait dit depuis 15 ans que les Etats-Unis étaient leurs meilleurs protecteurs vis-à-vis des méchants Russes, d'où l'entrée  enthousiaste dans l'OTAN et l'acceptation avec joie des Polonais et des Tchèques de servir de base ou de relai dans la défense antimissiles. D'où leur déception aujourd'hui et leur sentiment d'abandon. Ce qui pose le problème de fond: est-ce la bonne politique ou plutôt quelle est la bonne politique ?

Il n' y a pas de doute qu'ouvrir la négociation avec l'Iran est une bonne chose puisque l'Iran est un pays majeur dont dépend la solution de multiples problèmes: le conflit israélo-palestinien, le Liban, l'Irak, l'Afghanistan, le pétrole, le terrorisme, la prolifération nucléaire. Mais comment obliger l'Iran à négocier  alors que cette négociation avec les Etats-Unis est, en elle- même une remise en cause de la nature du régime des Mollahs et donc une cause majeure d'immobilisme et de surenchère à l'intérieur même du régime? Comment faire en sorte  précisément que  l'offre  d'Obama ne soit pas prise par Ahmadinejad comme une victoire sur les Etats-Unis? Comment amener les Russes, les Chinois et les voisins de l'Iran à être plus coopératifs.

Quel est le plan B si les Iraniens refusent toujours de négocier? En bref, de quels leviers disposons- nous réellement, étant entendu que l'option militaire serait une pure folie  et que les Américains ont besoin de l'Iran en Irak et , plus encore, en Afghanistan? (question tragique quand ce sont les Etats-Unis, par la grâce de Bush, qui ont délivré l'Iran de ses deux ennemis traditionnels, les talibans en Afhanistan à l'est  et le régime sunnite en Irak à l'ouest?). Si on ne répond pas ensemble à ces questions, alors, oui, le dialogue avec l'Iran risque d'être décevant, voire dangereux.

Même chose pour la défense antimissiles et les relations avec la Russie. Il est temps, en effet, de prendre avec la Russie un nouveau départ, de mettre fin à ces quelque vingt années où les Etats-Unis ont traité la Russie avec condescendance et où, en représailles, Poutine, puis dans une moindre mesure Medvedev,  ont utilisé  la seule arme dont disposent les faibles, la capacité de nuisance partout où ils peuvent. Il est temps, à l'inverse, d'en finir avec cette obsession qu'avaient les dirigeants Français  et Allemands de «ne pas humilier la Russie», ce qui n'est pas la meilleure façon de se faire respecter ou de défendre nos intérêts, ni d'ailleurs de rendre service aux Russes désireux de se moderniser et de se démocratiser.

Voilà ce dont Obama, avant de décider sur la défense antimissiles, les relations avec la Russie et l'Iran aurait pu parler avec Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et les autres. Il y a fort à parier qu'il ne l'a pas fait. C'est cette  absence de concertation sur ce que sont les vrais  enjeux qui fait problème et qui explique  ce malaise.

Il faut répondre à la crise financière et économique mondiale. C'est  la priorité. Mais, pendant la crise, la politique internationale continue, avec ses menaces, ses exigences, ses opportunités, manquées ou manquées.

G. Le Hardy

Image de Une: Barack Obama lors de l'Assemblée générale des Nations Unies Mike Segar / Reuters

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