France

LIMITE, la nouvelle revue des jeunes conservateurs

Trois ans après le début de La Manif pour tous, les jeunes conservateurs continent à se structurer et à diffuser leur discours. «Limite», une «revue d’écologie intégrale», se propose de porter leur voix.

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Les luttes politiques ne se résument pas qu’aux combats électoraux et à la vie des partis, si passionnants et captivants qu’ils soient par ailleurs. Des évolutions de fond touchant à l’idéologie et à la vision du monde reconfigurent progressivement notre société, même s’il s’agit là d’un aspect souvent ignoré ou passé au second plan.

La question de l’évolution des relations entre l’Église de France et le Front national, mise en évidence par l’invitation de Marion Maréchal Le Pen à l’Université d’été de la Sainte Baume, ne doit pas éclipser une autre réalité: la constitution progressive d’un courant politique authentiquement conservateur, composé certes d’une myriade d’associations et d’individus mais qui vient par ailleurs de se doter d’une nouvelle revue. Ne nous méprenons pas. Soixante-dix ans après la condamnation à mort du Maréchal Pétain (et sa grâce par le Général de Gaulle) s’agirait-il donc de la revanche de l’Église compromise avec Vichy, celle du Cardinal Suhard ou, pire, de Jean Mayol de Lupé?

Cette vision des choses fait évidemment l’impasse à la fois sur la recomposition des mondes catholiques (qui a quand même vécu en soixante-dix ans le Concile Vatican II et l’élection du premier Pape non-européen depuis de nombreux siècles) et sur les mutations idéologiques de notre société. La reductio ad maurassum ou la reductio ad lefebvrum (du nom de Charles Maurras et Monseigneur Marcel Lefebvre) sont inopérantes et empêchent de saisir les véritables évolutions du monde catholique, l’idéologie véritable du renouveau conservateur ainsi que les chances de succès des jeunes militants qui l’ont porté ou le portent.

Critique du marché et «écologie intégrale»

La naissance d’une revue est toujours l’occasion d’observer et de s’interroger sur ce qu’elle dit d’elle-même d’abord et de notre société ensuite. Limite, dont la presse s’est peu fait l’écho mais dont la parution n’est pas sans intérêt est un révélateur. Elle rassemble les contributions de plusieurs des fondateurs des Veilleurs, d’anciens de la revue Immédiatement (Falk Van Gaver, Jacques de Guillebon) et de Philipp Blond, le penseur «red tory», inspirateur de la Big Society dont David Cameron s’est saisi pour reconfigurer l’idéologie des conservateurs britanniques.

Conservateurs de la nouvelle génération, ils engagent un combat au sein de leur propre camp, un combat loin d’être gagné.

Elle traduit dans une revue une partie de la coagulation qui, depuis La Manif pour tous, a donné naissance à un vaste mouvement conservateur de la nouvelle génération. Toutefois, on relèvera quelques clivages avec le reste de la galaxie LMPT. Tout d’abord, au contraire de leurs cousins de Sens Commun, les animateurs de Limite sont réticents non seulement à s’impliquer chez Les Républicains mais bien davantage encore à prendre part directement aux combats électoraux (on ne leur fera pas grief d’un arrivisme vulgaire). En outre, sur le fond, ils sont aussi clairement hostiles au libéralisme économique et ont –au contraire de Sens Commun– soigneusement évité de retourner encore et encore les dernières braises du débat sur le mariage pour tous, tout en en étant de virulents opposants. Conservateurs de la nouvelle génération, ils engagent d’ailleurs un combat au sein de leur propre camp, un combat loin d’être gagné.

«Anarchistes conservateurs» les membres de Limite? Conservateurs surtout, soulignons-le. Au sens le plus classique du terme, ils sont effectivement conservateurs, ce qui apparait presque comme une nouveauté dans notre histoire politique. Ils le sont, au sens de Karl Mannheim, et figurent parmi les représentants d’une idéologie qui se renouvèle et qui se constitue progressivement et  organiquement –de manière certes balbutiante– en France depuis 2012-2013 et le débat sur le mariage pour tous. Cela ne va pas sans quelques brouillages tactiques. L’usage redondant (qui a désormais valeur de pirouette) de Jean-Claude Michéa par ces intellectuels conservateurs ne dissimule pas qu’ils sont, in fine, bien davantage des conservateurs qui s’adaptent que de simples contestataires du libéralisme. Préservation et adaptation: telle était la leçon du «mai 68 conservateur» qu’avait représenté La Manif pour tous de 2012-2013. Convenons que les animateurs de Limite l’appliquent avec plus de talent que leurs amis, concurrents ou adversaires au sein des héritiers de LMPT.

«Revue d’écologie intégrale», Limite aborde nombre de sujets relativement nouveaux chez les catholiques comme la décroissance et n’hésite pas à faire quelques clins d’œil à la revue éponyme ou bien à s’adresser à la revue Fakir, tant par souci de brouiller les pistes

les membres de Limite révèlent les mutations idéologiques de notre temps: des catholiques et des conservateurs se saisissent des thématiques écologiques

que par commune contestation du libéralisme. Bien plus philosophiquement «conservateurs» donc qu’«à droite» d’un point de vue politique, car investis dans le champ culturel et idéologique davantage  que dans le champ électoral et partisan, les membres de Limite révèlent aussi les mutations idéologiques de notre temps: des catholiques, des conservateurs se saisissent des thématiques écologiques. Cela n’est pas neuf. Il n’était déjà pas rare d’entendre parler d’écologie au Conseil Pontifical pour la famille dans les années 1990. Aidés en cela par un Pape qui, venu des marges, d’Argentine, plaide dans son encyclique «Laudato Si» pour une écologie «intégrale», ces militants conservateurs tentent de rénover quelque peu le discours de leur propre camp avec en perspective bien des difficultés à imposer leurs thèmes au reste de leur camp.

La critique du marché est bien présente et recoupe le souci «écologique» de la revue qui ne fait évidemment pas l’impasse sur la question des mœurs et de la procréation (et pas de la manière la plus heureuse). Limite se demande «Comment baiser sans niquer la planète?» avec force propositions et détails, dont on ne retiendra finalement que le fait que la revue est opposée à la contraception avec un vocabulaire un peu débridé: «Je te parle à toi, petite jouisseuse des temps modernes» (que les «sextoys bourrés de phtalates rendent peu à peu stérile»), «tu voudrais toucher ta femme tu rencontres du latex» (sic), «tu voulais t’offrir à ton homme, tu te livres à ton gynéco» (re-sic). Un peu naïvement sans doute, ils vantent même des méthodes de contraception hâtivement qualifiées de «récentes» basées sur l’observation des glaires cervicales (comme la méthode Billings), ce qui fera probablement sourire quelques médecins (et pas seulement)…

Comment évaluer les chances de succès de Limite?

Limite ne tombe pas non plus en pamoison devant ce qui reste du catholicisme de gauche. La Jeunesse Ouvrière Chrétienne ou Témoignage Chrétien ne trouvent pas vraiment grâce aux yeux de Limite qui, si elle ne se dit pas «de droite» est encore moins de gauche et ne manifeste guère de mansuétude à l’égard des «cathos de gauche» (évidemment coupables d’avoir soutenu le mariage pour tous). Limite c’est l’écologie intégrale du Pape François moins la théologie du peuple, cette variante de la théologie de la Libération qui inspire Jorge Bergoglio et dont les soutiens catholiques français de la revue ne sont pas véritablement des amis. Cette question nous ramène à un aspect plus important: quelles sont les chances de succès de l’idéologie de Limite?

La recomposition idéologique s’effectue plus rapidement que les mutations politiques, d’où parfois l’impression de déconnexion de la vie politique par rapport aux évolutions idéologiques de la société. Si nous ne sommes pas à une époque où une revue, à elle seule, suffit à mener le combat culturel et idéologique, la naissance de Limite traduit il est vrai, à son niveau, une des réalités de l’évolution du paysage idéologique de notre pays et les détours que prend le conservatisme pour se déployer dans notre société. Il révèle aussi et surtout les débats qui ont lieu en son sein. Malgré le rêve éveillé des animateurs de Limite, en France, le camp conservateur devrait, par sa composition sociale, rester davantage arrimé au libéralisme économique d’un point de vue idéologique et à la droite (modérée ou extrême) d’un point de vue électoral qu’être tenté par l’écologie intégrale de Gaultier Bès ou «l’anarchisme chrétien» des anciens d’Immédiatement.

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