Monde

Crise des migrants, l'obscène hypocrisie des tabloïds conservateurs anglais

La photo d’un jeune enfant, mort noyé en tentant de migrer vers l’Europe avec sa famille, fait la une des journaux anglais. Mais certains de ces mêmes titres ont souvent tenu des propos violents à l'égard des réfugiés.

Montage photo de plusieurs unes du Sun et du Daily Mail.
Montage photo de plusieurs unes du Sun et du Daily Mail.

Temps de lecture: 2 minutes - Repéré sur Big Browser, The Sun, The Huffington Post

Mercredi 2 septembre au soir, plusieurs journaux anglais (mais pas seulement) décident d’interpeller leur gouvernement et l’Europe sur la crise des migrants. Pour cela, ils choisissent deux photos chocs pour leur une du lendemain. La première, choisie par The Independent et The National, montre un jeune enfant mort noyé sur une plage des côtes turques, le visage à moitié enfoui dans le sable. Dans la seconde photo choisie, par le Daily Mail ou encore le Guardian, on voit un garde-côte emmener le jeune garçon. 

Il s’agit du corps d’Aylan, 3 ans, jeune syrien dont la famille a tenté de rejoindre l’Europe pour fuir la guerre en passant par la Turquie. Selon les médias anglais, les corps de son frère Ghalib, 5 ans, et de sa mère ont également été retrouvés sur la plage.


Des réfugiés régulièrement diabolisés

L’émoi a été vif en Europe à la suite de la publication de ces photos, certains allant jusqu’à reprocher aux journaux français de ne pas avoir publié le terrible cliché. En Angleterre, c’est un autre débat qui a eu lieu: celui de la prise de conscience soudaine et inattendue de la part de certains tabloïds anglais, qui étaient jusque-là très virulents avec les migrants. 

Kevin Maguire, rédacteur en chef adjoint d'un autre tabloïd, le Daily Mirror, a expliqué qu’il était «désolé de ne pas applaudir les journaux qui, pendant des années, ont diabolisé les réfugiés et les migrants mais qui utilisent maintenant la photo d’un enfant mort pour montrer qu’ils s’en soucient»:

Et il est vrai que, comme le soulignent certains journalistes français sur Twitter, il suffit de se pencher sur les unes réalisées par certains de ces journaux dans le passé pour comprendre le paradoxe actuel.

«Combien de migrants pouvons-nous encore accepter?», se demandait le journal il y a six jours à peinePar le passé, le Daily Mail évoquait régulièrement le «coût financier» des migrants et osait le parallèle avec une nuée d’insectes pour parler des groupes de migrants tentant de rallier l’Angleterre. 

Le Premier ministre interpellé

Le journal pourra tenter de se défendre en affirmant qu’il y a une distinction à faire entre migrants économiques et les réfugiés. Un autre tabloïd est allé encore plus loin, le Sun, dont les unes font régulièrement polémique. Le journal britannique se targue aujourd’hui de publier la photo du jeune garçon mort noyé, et même de demander au Premier ministre anglais d’agir pour aider «ceux qui sont entre la vie et la mort malgré eux», c’est-à-dire les «réfugiés». Une position étonnante quand on sait que, ces dernières années, le Sun allait très loin, mais dans le sens inverse. En 2013 par exemple, lors de la journée internationale des migrants, il interpellait déjà David Cameron, mais cette fois pour exiger qu’il «tire une ligne rouge sur l’immigration» qui «submerge» le Royaume-Uni.

Et comme l’expliquait Slate.fr mi-mars, le journal a aussi comparé les immigrés clandestins à «des cafards». Dans un article intitulé «Bateaux de secours? J’utiliserais des navires de combat pour stopper les immigrants», la journaliste Katie Hopkins estimait que les migrants se rendant en Grande-Bretagne sont des «cafards» et que «certaines de nos villes sont des plaies purulentes couvertes de nuées d’immigrés et de demandeurs d’asile recevant des allocations comme des billets de Monopoly». Une autre phrase de son édito trouve un écho particulier aujourd’hui et montre toute l’ambivalence du Sun sur le sujet:

«Montrez moi les images de berceaux, montrez moi les corps flottants dans l’eau, jouez du violon et montrez des personnes émaciées et tristes. J’en ai rien à faire.»

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