Monde

Les quotidiens qui ont publié la photo de l'enfant réfugié mort expliquent leur choix

Partager la violente image d'un enfant noyé en une d’un journal n’est pas une décision éditoriale facile.

Une de The Independent du 3 septembre 2015
Une de The Independent du 3 septembre 2015

Temps de lecture: 3 minutes - Repéré sur The New York Times, Quartz, The Independent, Human Rights Watch

La photo d'un jeune garçon au T-shirt rouge mort noyé et que l'on peut voir la tête dans le sable fait la une de nombreux quotidiens étrangers et celle du Monde, ce jeudi 3 septembre 2015.

La question qui anime beaucoup de rédactions est de savoir s'il faut ou non publier de telles images. D'autres ont choisi un certain entre-deux. Sur son site, Ouest France a recadré l'image pour ne pas montrer l'enfant mort sur la plage turque.

«Dur rappel»

Sur France Inter, l'écrivain, journaliste au Canard Enchaîné et ancien reporter de guerre Sorj Chalandon s'oppose à cette démarche: 

«J'ai vu cette photographie floutée et non floutée. Je pense qu'il n'était pas nécessaire de la flouter. Ça ne se floute pas ça: ça se prend dans la gueule.»

Cette image n'est pas offensante, elle n'est pas gore, pas de mauvais goût

Kim Murphy, rédactrice en chef adjointe du LA Times

Dean Baquet, rédacteur en chef du New York Times, qui a choisi de publier l'autre photo, celle où l'enfant est porté par un agent de police turc, explique:

«Nous avons débattu, mais avons choisi de publier cette version puissante de la photo parce qu'elle dit beaucoup de choses sur l'énormité de cette tragédie.»

Dans le même article, Kim Murphy, la rédactrice en chef adjointe du LA Times, justifie son choix de publier l'autre photo:

«Cette image n'est pas offensante, elle n'est pas gore, pas de mauvais goût –elle est tout juste déchirante, et c'est un témoignage fort de la tragédie humaine qui se déroule en Syrie, en Turquie et en Europe et que l'on ne voit pas tout le temps.»

Pour The Independent, le quotidien britannique de centre gauche, qui a fait pareil, «ce sont des images extraordinaires qui servent de dur rappel, alors que les leaders européens essaient d'empêcher l'arrivée de réfugiés sur le continent, de plus en plus de réfugiées meurent dans leur tentative désespérée de fuir la persécution et pour être plus en sécurité. The Independent a décidé de publier ces images parce que, avec des mots aussi désinvoltes que “la crise des migrants actuelle”, il est trop facile d'oublier la réalité et le désespoir auxquels font face de nombreux réfugiés».

«Image qui va rester»

Sur son site, le quotidien conservateur espagnol El Mundo a mis en ligne un extrait de sa conférence de rédaction de 18h30 du 2 septembre. «Pour moi, c'est la photo qui va symboliser ce drame. C'est l'image qui va rester», y explique David Jimenez, le directeur du quotidien, qui lance à ses journalistes que cette image l'a «terrorisé».

Pour Quartz, cette photo a permis une prise de conscience collective:

«Même si ce n'est qu'une mort parmi tant d'autres, cette photo, publiée par une agence journalistique turque, semble avoir réveillé les consciences européennes. Peut-être parce qu'elle montre à quoi ressemble ce que l'on appelle la “crise des migrants” dans le jargon bureaucratique. Voici à quoi ressemblent des fils barbelés érigés autour de nations plus chanceuses. Voici à quoi ressemble la xénophobie et l'ignorance. [...]

 

Cette photo montre à quoi ressemble ce que l'on appelle la ‘crise des migrants’ dans le jargon bureaucratique

Les journalistes Annalisa Merelli et Caitlin Hu dans Quartz

Il est facile d'oublier les chiffres exacts –638 migrants sont morts lors de la traversée de la Méditerranée en août, et plus de 3.600 dans le monde, cette année, selon l'organisation internationale pour les migrations –mais il est compliqué de ne pas pleurer la perte du petit garçon au T-shirt rouge. De temps en temps, une simple photo révèle ce à quoi le monde ressemble lorsque l'humanité échoue. Cette photo est l'une d'entre elles. Si on le regarde assez longtemps, peut-être trouvera-t-on le courage de faire quelque chose de plus à ce sujet.»

Peter Bouckaert, de Human Rights Watch, a eu la même réflexion, qui l'a poussé à retweeter la photo sur son compte Twitter personnel:

«Certains trouvent que cette photo est trop offensante pour être partagée en ligne ou dans nos quotidiens. Mais, ce que je trouve offensant, c'est que des enfants noyés s'échouent sur nos plages, alors que l'on aurait pu faire plus pour empêcher leur mort. Ce n'était pas une décision facile que de partager la violente image d'un enfant noyé. Mais je tiens à ces enfants autant qu'aux miens. Peut-être que, si les leaders européens y tenaient aussi, ils essaieraient de mettre un terme à cet épouvantable spectacle.»

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