Parents & enfants

Devenir prof? Rien de plus simple (c'est après que ça se complique)

Poussée par un ami principal de collège, notre journaliste éducation s'est jetée à l'eau en enseignant le français au collège pendant quelques mois. Récit.

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Tenir sa classe n’est pas si évident | jean pierre gallot via Flickr CC License by

Temps de lecture: 6 minutes

Ce récit est le premier d’une série d’articles de Louise Tourret dans lesquels elle revient sur son expérience de journaliste éducation passée de l’autre côté de la grille du collège.

Journaliste éducation et productrice d’une émission sur France Culture, «Rue des écoles», depuis 2009, je pensais bien connaître l’école. L’année dernière, un vieil ami, principal adjoint de collège, m’a mise au défi de venir y voir de plus près. De vraiment plus près, en enseignant moi-même. Rien de plus simple en fait, l’Éducation nationale manque terriblement de professeurs: si vous êtes titulaire d'un master, il suffit d’envoyer un CV et une lettre de motivation sur le site du rectorat choisi pour devenir enseignant. Fin décembre 2014, j'ai sauté le pas.

Me voilà convoquée dès février pour un entretien avec une inspectrice de français. J’ai choisi cette discipline car la maîtrise de la langue est présentée comme la priorité des priorités par tous les ministres de l'Éducation nationale. Je veux également essayer de me rendre compte par moi-même quel est le niveau des élèves, puisqu’on dit tant qu’il baisse.

Recours massif aux contractuels

J’ai aussi une envie sincère de transmettre: je suis passionnée de littérature et j’aime écrire. C’est ce que je dis, presque naïvement, à mon interlocutrice. Notre conversation court sur les objectifs de l’enseignement du français au collège. Faire lire, faire accéder l’élève à la maîtrise de l’écrit. Des généralités que je connais bien grâce à mes lectures de journaliste spécialisée. Je précise à l’inspectrice que je suis diplômé de… géographie. Pas de soucis.

Seule question «piège»: que ferais-je demain si j’étais devant une classe de 6e? Je repense à Homère que j’ai étudié à cet âge, à mes lectures sur la pédagogie… J’avance un truc un peu flou: «il faut faire lire les élèves et leur faire produire de l’écrit» (puisque c’est comme cela qu’on dit dans le monde scolaire). L’entretien, somme toute rapide, est concluant et se termine par «Nous allons vous appeler rapidement».

Je suis sidérée mais ça y est! Je pourrais prendre mes fonctions tout de suite. Je réalise aussi qu’aucune formation préalable n’est prévue avant de me présenter devant des élèves. Je savais bien qu’il y avait urgence. Après les suppressions de postes du mandat Sarkozy et, sans aucun doute parce que la profession est perçue comme difficile et mal rémunérée, la pénurie de candidats aux concours est devenue très préoccupante, particulièrement en mathématiques, en français et en langues. Le recours aux contractuels est donc devenu massif. N’importe quel titulaire d’un master peut être enseignant en un clin d’œil. On compte environ 7% de professeurs non diplômés du Capes en France mais 10% en Seine-Saint-Denis, l’académie de Créteil manquant le plus cruellement de professeurs certifiés. Le recours à Pôle emploi est devenu banal.

J’ai l’air normal, je suis disponible

Que se passe-t-il pour ces professeurs non certifiés? En ce qui me concerne, alors que je n’ai pas fait d’études de lettres, aucune lecture, aucune ressource documentaire ne m’est conseillée d’emblée. Je suis ravie d’inspirer une telle confiance mais j’insiste pour savoir comment je dois me préparer, je note quelques titres d’ouvrages donnée par l’inspectrice. Je suis également étonnée par le fait qu’aucune question ne m’ait été posée sur mon autre métier, journaliste, et si je compte, par exemple, écrire sur le sujet ou en parler à l’antenne de France Culture[1].

Pour résumer la situation, je suis là, j’ai l’air normale, je suis disponible, c’est bon.

N’importe quel titulaire d’un master peut être enseignant en un clin d’œil

Je prends tout de même toutes les pincettes possibles pour expliquer que, quand même, j’aimerais pouvoir m’organiser un peu et prendre le temps de regarder les manuels, préparer des cours... Je précise bien à l’inspectrice et au service des affectations que je ne suis disponible que pour un temps partiel.

Mais les besoins sont trop importants pour que ces précisions soient retenues et on me téléphone la semaine suivante pour un poste à plein temps. Les services académiques m’appelleront à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’un poste compatible avec mon emploi du temps et mes obligations se libère fin février 2015. Il s’agit d’un remplacement de congé maternité. Deux classes: une 4e et une 3e dans un collège de l’éducation prioritaire. Car, oui, ce sont bien dans les établissements les plus difficiles, là où on a le plus besoin d’enseignants aguerris, qu’on fait le plus appel à des contractuels et que l’Éducation nationale envoie ses novices.

Anticipation zéro

Je prends rendez-vous avec l’établissement dans la minute qui suit. Je commencerai à enseigner après les vacances de février.

Dans les semaines qui suivront mon arrivée au collège, je serai assaillie de questions par mon entourage –l’école est bel et bien une obsession française. Les gens qui m’ont semblé le moins surpris faisaient tous partie de l’Éducation nationale, que ce soient mes copains enseignants ou la ministre elle-même, à qui j’ai glissé l’information en conférence de presse et en interview. Mes collègues journalistes, eux, s’inquiètent tout de même de la facilité avec laquelle je suis devenue prof! Malgré le grand nombre d’articles consacrés à la pénurie d’enseignants, mes amis sont sidérés à l’idée que «n’importe qui» puisse devenir prof, même moi! «Mais… tu n’as pas de formation?!», «Tu veux dire que tu n’as passé qu’un entretien?», «C’est un collège public?», «Tu vas continuer?».

J’ai exercé plusieurs professions dans ma vie mais rien, dans toute mon existence, n’aura été plus simple que de devenir enseignante. Rien n’aura été aussi peu anticipé par mon employeur.

Passage de relais

Je mesure la chance infinie que j’ai que la prof que je remplace m’aide

Une machine à café, deux grandes tables, un coin avec deux fauteuils, un vieux frigo, quelques tracts affichés et les infos sur la vie du collège, les réunions à venir. Je suis bien dans une salle des profs. Celle que je remplace m’a donné rendez-vous ici et me confie la clé de son casier et celles de ses salles de cours. L’enseignante semble très investie et me donne tous les renseignements qu’elle peut sur sa classe. Forte de ses vingt ans d’expérience, elle me montre des classeurs d’élèves parfaitement organisés, me donne le prochain contrôle de grammaire à faire faire aux troisièmes, des idées de livres à donner à lire et la date de la prochaine sortie au cinéma. Les thèmes du programme à aborder sont l’autobiographie pour les élèves de 3e, le fantastique pour ceux de 4e. Je me réjouis de faire cours sur des sujets aussi intéressants; je sais surtout qu’il va falloir travailler encore davantage.

Elle me dresse aussi un rapide portrait des classes, des gamins. Je note absolument tout ce que l’enseignante chevronnée me dit, même si notre entretien est rapide et que je ne comprends pas tout. Je mesure la chance infinie que j’ai qu’elle m’aide quand beaucoup de contractuels arrivent sans recevoir aucune explication. Je sais que cette enseignante n’est pas obligée de faire tout cela mais la réussite de ses élèves lui tient à cœur. Sa bienveillance envers eux et envers moi me servira de boussole mais nous n’aurons passé que deux heures ensemble et échangé quelques e-mails.

Ce sera l’unique assistance que je recevrai.

Liberté pédagogique

Le temps presse pour préparer mes cours. Je lis in extenso des manuels de français. Je cherche des cours sur le Web. Je m’abonne à tous les forums de profs de français. Je fais des exercices de grammaire: les relatives, conjonctives, participiales, infinitives et la nature des subordonnées n’ont plus de secrets pour moi. Je révise la conjugaison du subjonctif. Mais être enseignant, comme dirait Monsieur de La Palice, c’est faire cours. Que dire exactement? Comment le dire? Que faire concrètement de chaque heure? Par quoi commencer? Comment organiser une leçon? Ce n’est écrit nulle part! Le rectorat ne propose pas de cours-types et ceux des manuels me semblent un peu difficiles à adapter à mes classes. Pour leurs premiers pas, les enseignants contractuels sont totalement livrés à eux-mêmes.

Pourquoi? Parce que les enseignants du secondaire sont libres, c’est un dogme et cela porte un nom: la liberté pédagogique, une prérogative ardemment défendue par les syndicats enseignants. Comme m’expliquait un responsable d'établissement:

Il est assez déplacé d’arriver en salle des profs et de déclarer que je galère

«Tu fais ce que tu veux dans ton cours, tu peux passer de la musique si ça t'amuse. L'important, c'est que tu sois là et que personne ne se plaigne!»

«Cinq ans pour devenir un bon prof»

Je me suis sentie seule et victime d’une logique délétère qui condamne les professeurs à commettre bien des erreurs à leurs débuts. Mes collègues sont adorables: l’un d'eux, remplaçant, prendra même la peine de m’envoyer la totalité de ses cours. Mais la porte de la classe se refermera à chaque début de cours pour une heure de solitude. Je réaliserai aussi rapidement qu’il est assez déplacé d’arriver en salle des profs et de déclarer que je galère. Ce serait comme d’arriver avec une pancarte «Je suis une mauvaise prof»! Je me demande combien de petits nouveaux, ou même pas forcément, galèrent en silence sans recours.

Une phrase me trotte toujours dans la tête. Nous discutions dans les escaliers du collège et une collègue de français m’a dit:

«Il faut cinq ans pour devenir un bon prof.»

Cinq ans, je trouve ça tout de même un peu long, pour les enseignants comme pour les élèves.

J -1: la nuit je rêve que je me fais «bordéliser», terme qui signifie se faire totalement déborder par des élèves agités et hostiles. On ne m’a donné aucun conseil pour la tenue de classe, l’autorité. Je vais me retrouver seule, toute seule devant mes classes, j’espère que les gamins vont être sympas, et qu’ils vont m’écouter.

Pour lire la suite sur les difficultés scolaires des élèves, cliquez ici.

1 — J’avais décidé de ne pas enseigner pour écrire des articles et de n'en parler publiquement qu’une fois l’année terminée, le collège fermé pour les vacances. Le projet n’était pas de me livrer, pendant mes cours, à une analyse du comportement ou du niveau de mes élèves en particulier, qui par ailleurs n’ont rien demandé. J’ajoute que, même si j’avais voulu le faire, cela aurait été impossible: on ne peut pas tricher devant une classe; impossible d’être là à moitié, impossible de conserver une distance d’observation. J’étais là pour les élèves et pour enseigner. Mon objectif premier était de les faire lire ces adolescents, d’étudier des textes avec eux, d’y réfléchir ensemble et de les faire progresser dans la maîtrise de notre langue.

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