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Vous connaissiez Pablo Escobar le narcotraficant? Découvrez Escobar le politique

Le narcotrafiquant avait été élu suppléant d’un député au début des années 1980.

Wagner Moura (dans le rôle de Pablo Escobar), Julian Bustamente et Paulina Gaitan dans «Narcos» | Daniel Daza/Netflix
Wagner Moura (dans le rôle de Pablo Escobar), Julian Bustamente et Paulina Gaitan dans «Narcos» | Daniel Daza/Netflix

Temps de lecture: 4 minutes

La série Narcos, qui suit l’histoire de Pablo Escobar (interprété par Wagner Moura) et celle du narcotrafic en Colombie, a débarqué ce vendredi 28 août dans son intégralité sur Netflix.

Les dix épisodes de cette saison suivent la montée au pouvoir de Pablo Escobar et l’établissement de ses réseaux. Ils évoquent également rapidement dans le troisième épisode une facette méconnue de la carrière du plus célèbre des narcotrafiquants: son passage par le Congrès colombien de 1982 à 1983.

Condensé d’une décennie de méfaits

Lors de la sortie du film Paradise Lost, consacré à la vie d’Escobar, Ouest France était rapidement revenu sur cet épisode de sa vie:

«Son poids sur la société colombienne, sa capacité à corrompre les politiciens et les juges, ainsi que ses dépenses en faveur d'infrastructures dédiées aux plus démunis, lui ont permis d'être élu comme député suppléant au Congrès de Colombie, sous l'étiquette du Parti libéral. Cette ambition lui permettant par ailleurs d'éviter une éventuelle extradition vers les États-Unis, qu'il redoutait plus que tout.»

Dans Narcos, le documentaire se mélange à la fiction, les images d'archives sont intégrées ça et là au cours de la série, tandis que la voix off et des sous-titres fournissent du contexte. Comme le raconte Télérama:

«Narcos cherche en permanence son équilibre entre documentaire et fiction. Les faits sont tellement improbables qu'ils fournissent une matière incroyable, à base d'anecdotes croustillantes, de personnages secondaires pittoresques et de rebondissements criminels sanglants. […] Il faut aller vite, pour pouvoir concentrer une décennie de faits et méfaits en dix petites heures.»

 

«Un putain de leader»


Lors de son entretien avec Slate.fr, Wagner Moura nous a expliqué que l’équipe de la série a pourtant tout fait pour coller au maximum à l’histoire d’Escobar. Et comme le raconte l’acteur brésilien: 

«Pablo voulait être président.»

Pablo voulait être président

Wagner Moura

En 1982, le narcotrafiquant est déjà l’une des plus grandes fortunes mondiales et il décide de se lancer en politique. Dans une scène de la série, Escobar explique à sa maîtresse son plan pour devenir député:

«Je vais acheter la presse. Pour ce qui est du parti, ne t’en fais pas, je l’achète aussi. Je ne vais pas être bon. Je vais être grandiose.»

Et la voix off d’expliquer pourquoi tout cela n’est pas aussi fou que cela peut en avoir l’air:

«Pour les Colombiens, Pablo n’avait rien d’un dealer, c’était un putain de leader. L’incarnation du rêve colombien. Le bienfaiteur qui achetait des maisons pour les pauvres. Pablo était sûr que les portes du succès politique s’ouvraient à lui et qu’il n’avait qu’à les franchir.»

Revenus illégaux

Preuve qu’Escobar savait se faire apprécier, dans Society, Nahuel Gallota écrivait ceci dans un article sur le «narcotourisme», à propos d'un quartier reconstruit par le narcotrafiquant:

«Le quartier, qui compte 16.000 habitants, est né pendant les huit semaines de campagne électorale de Pablo Escobar pour les élections législatives de 1982. En visite dans le quartier Moravia, qui venait d'être ravagé par un incendie, "le Patron" s'émeut de la pauvreté. Il fait alors livrer des matelas, des couvertures de la nourriture. Puis, il laisse une promesse: offrir une maison digne à chaque famille. […]. Mais la principale source de revenus pour réaliser le rêve du quartier est illégale: les dons des narcotrafiquants devenus millionnaires grâce au cartel de Medellin permettent de financer 300 maisons, tandis que Pablo paye les 143 autres et l'église –que les évêques refusèrent d'utiliser pendant des années.»

Élection et immunité parlementaire

Avant de se lancer, il fut décidé que Pablo Escobar allait être suppléant de Jairo Ortega Ramírez. Au cours de la campagne, leur liste fut pourtant exclue des rangs du parti libéral, nous raconte Thierry Noël, historien spécialiste de l’Amérique latine et auteur de Pablo Escobar, trafiquant de cocaïne. Dans son livre, il détaille:

«Champion de la lutte anti-corruption et précurseur dans la dénonciation du milieu, Luis Carlos Galán [chef de file du parti] ne peut rester passif: en février 1982, à l’occasion de sa campagne à Medellín, il dénonce nommément Escobar lors d’un discours public et exclut de ses rangs la liste locale de la Rénovation libérale.»

Sans incidence au final. Les deux hommes sont quand même élus sous l’étiquette du mouvement de rénovation libérale. Une photo les montre en train de prêter serment en 1982. L'élection permit par ailleurs à Escobar de récupérer une immunité parlementaire et un passeport diplomatique ainsi qu’un visa pour les Etats-Unis.

Ortega était le joker de Pablo. Quand il voulait occuper le siège, il ordonnait à Jairo de le lui laisser et Jairo s’exécutait

John Jaíro Velasquez alias Popeye

Et la place de second n’était pas vraiment un inconvénient pour le célèbre narcotrafiquant, selon un de ses lieutenants, John Jaíro Velasquez alias Popeye, qui dans son livre El Verdadero Pablo: sangre, traición y muerte (Le Vrai Pablo: sang, traîtrise et mort), écrit ceci:

«Ortega était le joker de Pablo. Quand il voulait occuper le siège, il ordonnait à Jairo de le lui laisser et Jairo s’exécutait.»

«Il n’a pas fait beaucoup d’interventions mais il a siégé au Congrès et il y accordait de l’importance», confirme Thierry Noël.

«Il était idéologiquement faible, mais il possédait une fibre sociale sincère.»

«Encombrant suppléant»

Jusqu’à ce qu’il doive renoncer à son rêve après avoir été exclu du Congrès, en grande partie à cause de la persévérance du ministre de la Justice, Rodrigo Lara Bonilla, lancé dans une guerre contre les narcotrafiquants et de Guillermo Cano Isaza, directeur du quotidien El Espectador qui ressortit l'article sur l'arrestation d'Escobar pour trafic en 1976. Comme le raconte Thierry Noël dans son livre, Pablo Escobar, trafiquant de cocaïne:

«Le mouvement libéral chasse l’encombrant suppléant de ses rangs. Ses alliés politiques prennent leurs distances. La justice entre en jeu, qui ressort des cartons l’affaire de 1976, puis l’assassinat en 1977 des deux agents à l’origine de l’arrestation. Le cousin Gustavo Gaviria et le beau-frère Mario Henao sont aussi impliqués. Le ministre Lara demande la levée d’immunité de Pablo Escobar, qui sera obtenue après une longue bataille à l’Assemblée.»

Escobar finira par démissionner du mouvement libéral et de son mandat en septembre 1983, en «gardant une énorme rancœur envers Galan et Bonilla», précise l’historien.

L’énorme rancœur d’Escobar

Pour Wagner Moura, qui l’incarne à l’écran –et qui dit avoir fait autant de recherches que possible sur Escobar pour préparer ce rôle— la politique était un autre moyen de se faire accepter de l'élite du pays.

«Il voulait être accepté. Il voulait faire partie d’une élite. Quand vous êtes un enfant pauvre en Colombie, vous ne pensez pas que vous pourrez y accéder. Et il n’a pas été autorisé à y accéder, et ce même quand il était un des hommes les plus riches du monde. Donc se lancer en politique, c’était une façon pour cet enfant d’être reconnu. [...] Sa guerre n’était pas seulement contre l’état et les Etats-Unis, mais aussi contre l’élite.»

Preuve que cette guerre ne se limitait pas aux mots: en 1984, Rodrigo Lara Bonilla fut abattu dans sa voiture, par deux hommes sur une moto. Cinq ans plus tard, c’est Luis Carlos Galán qui fut assassiné. Les deux hommes le furent sur ordre d’Escobar.

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