Politique / France

Les vacances décomplexées de l’ambitieux Nicolas

Même au repos, Sarko fait son show: il tient à marteler, aussi par le langage des corps, sa différence avec ses rivaux et adversaires.

Nicolas Sarkozy saute du podium lors d’un meeting organisé par les Jeunes Républicains à Nice le 19 juillet 2015 | REUTERS/Jean-Pierre Amet
Nicolas Sarkozy saute du podium lors d’un meeting organisé par les Jeunes Républicains à Nice le 19 juillet 2015 | REUTERS/Jean-Pierre Amet

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C’est une photo de plage, façon stars à Malibu derrière leurs lunettes de soleil. Un cliché people assez banal au premier abord, négligemment sexy, comme l’époque du Net et des médias en consomme tant. Carla Bruni et Nicolas Sarkozy avançant enlacés sur le sable, en direction du photographe. Elle est en maillot deux pièces, lui, bronzé et torse nu, en short de bain jaune. Elle a passé son bras par dessus son épaule. Il lui tient la taille.

Mais au second coup d’œil surgit l’intention; et même la stratégie, au moins de communication, puisque la photo fait la couverture de Paris-Match; peut-être aussi, malgré l’atmosphère de détente recherchée par ce cliché de vacances, le premier acte d’une lutte politique qui s’annonce rude pour la primaire du parti des Républicains, l’an prochain et, au-delà, pour la campagne de la présidentielle de 2017.

Car cette image a manifestement pour objet de convaincre les lecteurs de Paris-Match, et quelques autres, qu’ils sont en présence d’un homme jeune et dynamique, ventre plat et silhouette affûtée, rompu à l’effort sportif, bref d’«un mec qui en a», selon une expression bien masculine qui ne devrait pas lui déplaire, lequel entend bien imposer une dimension physique aux combats à venir. Même au repos, Sarko fait son show et, comme à peu près à chacun de ses séjours à la mer, il tient à marteler, aussi par le langage des corps, et en s’adjoignant ouvertement la beauté de Carla Bruni, sa différence avec ses rivaux et adversaires.

Primaire physique

Le message s’adresse bien évidemment d’abord à Alain Juppé, qui a fêté son 70e anniversaire, le 15 août, soit quelques jours à peine après la diffusion de l’hebdomadaire. Histoire pour Nicolas Sarkozy de rappeler, en toute innocence, à mille lieux des décors du pouvoir, leur différence d’âge –9 ans et demi. Mais aussi, derrière le maire de Bordeaux, à François Hollande, au cas où, comme un 2014, un paparazzi aurait réussi à saisir la silhouette moins avantageuse du chef de l’État, à l’heure du bain. Mais celui-ci n’a pris que huit jours de vacances, en gardant discrète sa villégiature du Var, prévenu qu’il était des risques politiques des images en famille sur l’humeur de l’opinion. Il ne s’est montré qu’en public, et habillé.

Nicolas Sarkozy a toujours fait de son exhibitionnisme estival l’un des symboles de son originalité «culturelle»

Cette cible-là s’est dérobée. On n’a pas pu voir non plus Alain Juppé sur une plage de Grèce, pays où l’ancien Premier ministre est pourtant censé avoir séjourné. Tous les hommes politiques d’importance savent depuis longtemps, parfois après une erreur coûteuse, que les images de bord de mer peuvent être redoutables. Les photos de Valéry Giscard d’Estaing ou de Jacques Chirac en maillot de bain sont désormais fort anciennes. Aucune de François Mitterrand. Ni des Premiers ministres, Jospin, Raffarin, Fillon. Villepin, peut-être, et son bain de 2005, devant la presse, à La Baule.

La tendance est à la prudence. Sauf pour Nicolas Sarkozy, qui a toujours fait, au contraire, de son exhibitionnisme estival, de celui de ses footings ou de son endurance de coureur cycliste, l’un des symboles de son originalité «culturelle» par rapport au groupe restreint des personnages nationaux. D’ailleurs, la photo de Corse de 2015 ne fait que répéter un cliché de 2009, sur une plage du Mexique. Carla Bruni en bikini. Un couple amoureux. Seul son short, à lui, est d’une couleur différente. On pourrait tenir chronique d’un homme un peu voyant, même en vacances.

Et pour qu’on soit sûr du sens à donner à ce cliché de l’été 2015, l’article de Paris-Match qu’il illustre vise directement Alain Juppé. C’est le député-maire d’Ajaccio, Laurent Marcangeli (LR), invité à rendre visite à son président, pendant le séjour de celui-ci dans un luxueux domaine du sud de la Corse, qui s’en charge. «C’est le temps de la remise en forme, assure le jeune élu. Un autre travail de fond… qu’il entame avec le sérieux d’un champion, à la veille d’une grande compétition.» L’enjeu de l’ancien chef de l’État? Son duel avec le maire de Bordeaux, aux primaires de novembre 2016. Un autre ami, anonyme, dans le même article, est plus direct encore :

«Nicolas est convaincu que la primaire se jouera en partie sur le physique. Il nous répète sans arrêt que Juppé a dix ans de plus que lui et que cet argument pèsera le moment venu.»

Bagarre outrancière

En juillet, déjà, et toujours dans Paris-Match, la même obsession, avant le combat promis des champions. Un autre article, mais les mêmes ingrédients. Sa jeunesse, son tempérament de bagarreur, ses appétits… et l’âge de son challenger. «Son obsession, aujourd’hui, c’est Alain Juppé, bien qu’il s’en défende, écrit l’envoyé spécial de l’hebdomadaire. Pourtant, il ne parle que du maire de Bordeaux, et quand il en parle, c’est toujours par les mêmes mots: Alain, c’est mon ami. Finalement, ça m’arrange qu’il soit candidat. Un concurrent de 72 ans, ça me convient.”»

Le président des Républicains joint l’image à la parole, et fait tâter ses biceps en direct

Nicolas Sarkozy n’a pas inventé, sous la Ve République, le recours à l’argument voyou de l’âge du capitaine, en politique. Jacques Chirac s’y était essayé, pendant la campagne présidentielle de 1988, contre un Mitterrand fatigué, et mal lui en a pris. Simplement, le président des Républicains joint, lui, l’image à la parole, et fait tâter ses biceps en direct. Voilà prévenu le très courtois et très civilisé Alain Juppé: son adversaire de 2016 va l’entraîner dans des bagarres de rue.

On a parlé de «droite décomplexée» au sein de l’ex-UMP, et désormais des Républicains, ce mélange conceptuel de populisme, d’outrances verbales et de gros mensonges statistiques, dont, après la droite américaine, Nicolas Sarkozy revendique la paternité pour la France. Sans doute faut-il aussi envisager désormais que l’ancien président de la République, en cette rentrée, libère un peu plus en lui un fonctionnement débridé, un style agressif, de plus en plus en rupture avec la moyenne observée des us et coutumes des confrontations démocratiques, ces dernières décennies.

Les coups bas langagiers sont généralement laissés aux lieutenants, aux personnalités, comme Nadine Morano (LR), qui se sont faits une spécialité des exagérations poujadistes, ou aux parlementaires les plus bretteurs. Les chefs de file, surtout s’ils ont exercé les premières responsabilités, et même en temps de cohabitation frontale, savent à peu près jusqu’où ne pas aller trop loin dans l’insulte. Le Mitterrand de la rentrée 1986 adorait déstabiliser son nouveau premier ministre, Édouard Balladur, en conseil des ministres. Jacques Chirac et Lionel Jospin ne se sont rien épargné, entre 1997 et 2002, mais seulement sur le fond des dossiers. François Hollande a été lui-même un chef de l’opposition plutôt mordant jusqu’en 2012. Mais une certaine limite, de bienséance, de respect de l’homme derrière le responsable politique, n’a été que rarement franchie. Il arriva même que les coupables de dérapage s’excusent discrètement, après l’affront fait.

Élan sarkozyste

Nicolas Sarkozy paraît décidément avoir envoyé promener ces bonnes manières. Depuis son retour, l’automne dernier, il a montré qu’il ne comptait pas s’embarrasser du handicap propre à un ancien chef de l’État, soumis à une forme d’obligation de réserve pour avoir été dans les secrets du pouvoir, ce qui devrait l’inciter à bien mesurer son passage à l’opposition et sa liberté de critique. À trop brocarder son successeur, il pourrait s’attendre à se voir reprocher une forme de coresponsabilité, sur les temps longs, de la situation du pays. Malgré la détestation que les hommes peuvent se porter, l’État doit témoigner d’une forme de continuité qui passe aussi par la retenue dont doivent faire preuve ses serviteurs successifs les uns envers les autres. Sans même parler du statut de membre du Conseil constitutionnel, charge et honneur qui échoient aux anciens présidents de la République, et dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils inclinent à la pondération…

Nicolas Sarkozy se sent toujours le président de la République en exercice, et considère François Hollande comme un usurpateur

Or, les mois passant, Nicolas Sarkozy s’exonère allègrement de ces principes. À la fin du printemps, et en début d’été, il a même surenchéri dans le dénigrement à l’égard de François Hollande ou de son quinquennat. Mieux –ou pire: il a choisi de braver l’interdit qui consiste, pour un haut responsable politique, à s’empêcher de critiquer l’exécutif de son pays, à l’étranger. L’ancien chef de l’État a profité de ses nombreux déplacements, en Israël, en Espagne, en Tunisie, à Bruxelles, pour dénoncer sans vergogne la diplomatie de la France, qui ressemble pourtant d’assez près à celle qu’il a lui-même conduite. À Bruxelles, il a ainsi reproché au président de la République de mettre en danger le couple franco-allemand, alors que, non loin de la conférence de presse qu’il tenait, au même moment, ledit couple s’efforçait conjointement de sauver la participation de la Grèce à la Zone euro. «Il faut que M. Hollande se ressaisisse», a-t-il même lancé en direction des journalistes, assez pantois.

Les exemples abondent des embarras dont l’ancien président complique l’emploi du temps diplomatique d’une France qu’il ne dirige plus, mais dont il reste indirectement comptable. Il passe après Hollande ou Fabius, contredit devant ses hôtes ses successeurs, à propos de la politique au Proche-Orient, des négociations occidentales avec l’Iran, ou de la «vente» des Mistral à la Russie, et paraît éprouver un malin plaisir à dérouler la pelote patiemment enroulée. «Je ne sais pas trop pourquoi il fait ça», explique Hubert Védrine, l’ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Lionel Jospin, à sa manière pudique. Cette espèce de contre-diplomatie commence à répondre, en fait, à un mobile profond: il arrive que Nicolas Sarkozy se sente toujours le président de la République en exercice, et considère François Hollande comme un usurpateur.

Quand viendra le temps du bilan sarkozyste, tout à la fin d’une longue carrière, dont évidemment on ignore encore la suite, il se trouvera sûrement un historien pour assurer que le style assez unique du président des Républicains, sa façon rugueuse, expéditive, de faire de la politique, ont eu aussi pour conséquence de le placer dans la position psychologique d’un homme parvenant à se croire, certains jours, comme régnant de droit sur la France. Tout petit déjà, il se prenait pour le président: telle sera peut-être l’impression laissée. En tout cas, dès le début des années 2000, alors que, ministre de l’Intérieur ou de l’Économie, il piaffait d’impatience à voir Jacques Chirac lui céder la place, il donne aujourd’hui parfois le sentiment de continuer sur son élan. Selon la chronologie officielle, Nicolas Sarkozy a été le 23e président de la République. Mais à sa manière, pour lui, dans sa chimie personnelle, sans doute aussi le 22e, et encore le 24e. Président à vie d’une République intime, et quelque peu névrotique.

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