Économie

Un ministre du Travail, à quoi ça sert?

La plupart des ministres du Travail et de l’Emploi qui se sont succédé n’ont pas laissé de souvenir impérissable. Comme si l’exercice de la fonction était trop court pour qu’ils s’attaquent à des dossiers lourds et sensibles. François Rebsamen aura été de ceux-là.

Le ministre du Travail François Rebsamen à l’Assemblée nationale, le 26 mai 2015 | REUTERS/Charles Platiau
Le ministre du Travail François Rebsamen à l’Assemblée nationale, le 26 mai 2015 | REUTERS/Charles Platiau

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À quoi sert un ministre du Travail et de l’Emploi? S’agissant de l’emploi, à pas grand-chose. Si l’on ne devait considérer que les chiffres, le court passage de François Rebsamen dans ce ministère ne sera pas marqué d’une pierre blanche.

Entre sa prise de fonction en avril 2014 et l’annonce de son départ en juillet dernier pour retourner à sa mairie de Dijon, le nombre d’inscrits à Pôle emploi sans aucune activité a augmenté de 190.000 personnes, et le bilan grimpe à 410.000 personnes si l’on compte les inscrits ayant une activité réduite. Sur le total, les chômeurs totalisant plus de plus de trois ans de recherche d’emploi sont aussi plus nombreux, de 140.000. En seulement seize mois, le bilan n’est guère brillant.

Volet «emploi»

Mais il serait injuste de ne l’attribuer qu’à un seul homme. L’emploi ne se décrète pas, et ce n’est pas un ministre seul ou avec son équipe qui peut déclencher des créations de postes. La responsabilité en incombe à l’ensemble d’un gouvernement qui, en assurant un environnement fiscal et administratif incitatif, en créant des conditions attractives pour l’investissement et en favorisant l’innovation peut mettre en place une politique favorable à l’emploi.

Autant dire que tous les ministres (de l’Économie à l’Agriculture en passant par la Justice et la Défense, les Transports et la Culture…) ont dans le périmètre de leur fonction un volet «emploi», et que le ministre réputé en charge du dossier n’est guère plus impliqué que les autres.

L’incapacité à enrayer la progression du chômage depuis seize mois doit être imputée à l’ensemble du gouvernement

L’incapacité à enrayer la progression du chômage depuis seize mois doit être imputée à l’ensemble du gouvernement, même si on doit aussi reconnaître que des dispositions comme le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et le pacte de responsabilité ont été prises pour inverser la tendance, sans avoir encore débouché sur les résultats espérés.

Régulation du travail

La première partie du portefeuille –le travail– est plus intéressante. C’est sur ce volet que des ministres comme Jean Auroux dans le gouvernement Mauroy et Martine Aubry dans le gouvernement Jospin ont imprimé leur marque –le premier en modernisant en profondeur les relations sociales dans l’entreprise, la seconde en réduisant à trente-cinq heures la durée du travail hebdomadaire. Quoi que l’on pense de ces dispositions, elles ont valu à leurs auteurs de devenir probablement les ministres du Travail les plus importants de la Ve République.

Ils le doivent à divers facteurs. D’abord, pendant les Trente Glorieuses et avant l’alternance de 1981, la problématique du travail ne se posait pas comme dans la période moderne. Pas étonnant que les ministres du Travail les plus déterminants vinrent plus tard.

Ensuite, culturellement, la droite libérale se veut moins interventionniste que la gauche dans la régulation du travail; les ministres de gauche purent être plus interventionnistes que ceux de droite.

Poste à longévité réduite

Enfin, quelle que soit la couleur des gouvernements, les ministres du Travail ont une longévité plutôt réduite dans cette fonction, ce qui ne peut que nuire à l’efficacité de leur action; seulement quelques-uns s’y sont donc fait remarquer.

Dans la plupart des cas, les ministres du Travail se maintiennent en poste moins de deux ans. Ce fut le cas de Michel Delebarre et de Philippe Séguin, mais aussi d’Elisabeth Guigou, François Fillon, Jean-Louis Borloo, Brice Hortefeux ou Éric Woerth. Ces personnalités ont marqué la politique pour d’autres faits d’armes qu’à ce ministère. Michel Sapin, actuel ministre des Finances publiques et prédécesseur de François Rebsamen, ne tint pas plus longtemps, laissant une empreinte moins importante que comme ministre de l’Économie au début des années 1990.

Des mandats de moins de deux ans au Travail ne permettent pas d’engager de vastes chantiers

Jacques Barrot et Xavier Bertrand occupèrent le poste un peu plus longtemps dans la mesure où ils se virent confier ce maroquin à plusieurs reprises, mais c’est surtout dans les affaires sociales ou la santé qu’ils laissèrent une empreinte. Si Martine Aubry a eu probablement l’action la plus déterminante à ce poste, c’est aussi parce qu’elle eut la charge de ce ministère dans trois gouvernements (Cresson et Bérégovoy, puis Jospin), totalisant plus de cinq années au pilotage du Travail.

Échec collectif

Car il faut du temps pour engager une politique et mener des réformes dans un secteur sensible où toute évolution ne peut se construire que sur la base d’un dialogue social, forcément long et difficile compte tenu des antagonismes de départ entre représentants des employeurs et des salariés.

En outre, avec le paritarisme, l’État n’intervient souvent qu’en tant qu’arbitre, laissant les partenaires sociaux négocier des compromis. Sauf lorsque la négociation est dans l’impasse: l’État reprend alors les dossiers, mais le temps a passé. Sans compter que certains volets de l’action du ministère du Travail ne peuvent être mis en œuvre sans l’implication du ministère de l’Économie et des Finances pour traiter par exemple des allègements de charges, ou du ministère de l’Éducation nationale pour se pencher sur la formation et l’apprentissage, ou du ministère de la Santé pour ce qui touche à la médecine du travail… Dans ces conditions, des mandats de moins de deux ans au Travail ne permettent pas d’engager de vastes chantiers.

Un exemple: alors que tous les ministres qui se sont succédé depuis plusieurs décennies ont dénoncé la complexité croissante du droit du travail, tous ont contribué à rendre le millefeuille juridique de plus en plus épais et aucun n’a entrepris la simplification qui s’impose pour le rendre plus accessible. L’échec, de ce point de vue, est collectif.

Le problème est identique pour la formation, dénoncée par tous les ministres comme étant insuffisamment productive compte tenu des moyens engagés, mais qui n’est toujours révisée qu’à la marge. Avec comme conséquence une coupable inefficacité pour les chômeurs de longue durée en période de crise économique. Une réforme en profondeur serait-elle trop lourde et trop longue à mener?

Tentatives de toilettage

Tout comme Michel Sapin avait poussé à l’émergence, début 2013, d’un accord interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi, François Rebsamen a marqué son passage par une loi sur le dialogue social qui s’intéresse notamment aux PME. En période de recrudescence du chômage de masse, on aurait pu espérer un engagement plus concret.

Tous les ministres du Travail ont contribué à rendre le millefeuille juridique de plus en plus épais

Certes, il y eut aussi la création du compte personnel de formation, entré en vigueur au 1er janvier 2015, qui remplace le droit individuel à la formation et dont on ne peut encore tirer de bilan. Mais en matière d’apprentissage, malgré les tentatives pour toiletter le système, le ministre sortant n’a pu empêcher un nouveau recul en 2014 alors que le chômage des jeunes ne baisse pas. François Rebsamen ne sera pas parvenu plus que ses prédécesseurs à réhabiliter un mode d’acquisition des connaissances dont, pourtant, tout le monde souligne l’intérêt. Pas plus qu’il ne sera parvenu à réduire ou au moins à stabiliser le chômage de longue durée, bien que ce fut pour lui un «combat prioritaire en soi».

Celui qui voulait renforcer le contrôle des chômeurs, stigmatisant avec maladresse les demandeurs d’emploi sur le même mode que certains de ses prédécesseurs de droite, aura finalement quitté le navire bien plus vite que tous les demandeurs d’emploi dont la première aspiration consiste justement à sortir du chômage.

Mais, en seize mois, le ministre en charge du Travail et de l’Emploi ne leur aura guère ouvert de voies nouvelles. D’où la question de départ de cette chronique, que ces chômeurs peuvent légitimement poser.

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