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Doit-on vraiment s'inquiéter du «Jour du dépassement»?

Le mode de calcul du «Jour du dépassement» est contestable.

<a href="https://www.flickr.com/photos/jdhancock/3653177703/">Vue d'artiste de la Terre</a> | JD Hancock via Flickr CC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/">License by</a>
Vue d'artiste de la Terre | JD Hancock via Flickr CC License by

Temps de lecture: 3 minutes - Repéré sur New Scientist, The Guardian

Avez-vous déjà entendu ces formules? «À partir d'aujourd'hui, l'humanité vit à crédit»«Chaque année, nous consommons une planète et demie»... Il y a de fortes chances que oui: c'est une des statistiques environnementales les plus partagées et communiquées dans les médias.

Chaque année, l'ONG Global Footprint Network utilise les données de l'ONU pour calculer le «Jour du dépassement», date à laquelle la consommation de l'humanité en ressources naturelles excède ce que la nature est capable de générer en un an. En 2015, la situation s'est aggravée: l’humanité a commencé à vivre au-dessus de ses moyens dès le 13 août, 132 jours plus tôt qu'il y a quarante-cinq ans.

Un seule chiffre, inquiétant, résume ainsi à lui seul les enjeux environnementaux auxquels l'humanité doit faire face. Nous surexploitons la planète, qui ne peut plus suffisamment se régénérer ou absorber nos déchets.

«Il compare des pommes et des poires»

En théorie, son mode de calcul paraît facile: (biocapacité de la planète / empreinte écologique) x 365 = Jour du dépassement.

La biocapacité correspond aux ressources que la planète peut générer, et l'empreinte écologique aux ressources dont l'homme a besoin pour consommer et rejeter ses déchets.

Comment pouvez-vous coller ensemble des faits concernant, par exemple, les gaz à effet de serre, la destruction des forêts tropicales et le rendement du maïs, pour arriver à un seul chiffre?

Leo Hickman, du WWF, dans le Guardian

Pourtant, cette apparente simplicité cache plusieurs raccourcis, note le Guardian:

«On peut dire que cela revient à comparer des pommes et des poires afin d'arriver à une conclusion globale. Comment pouvez-vous coller ensemble des faits concernant, par exemple, les gaz à effet de serre, la destruction des forêts tropicales et le rendement du maïs, pour arriver à un seul chiffre?»

La biocapacité, indicateur approximatif?

Sa première critique porte sur l'hectare global. Les terres cultivées, forêts, prairies, zones de pêches n'ont pas toutes la même biocapacité. Pour calculer notre empreinte écologique, il faut pourtant aditionner ces surfaces entre elles. C'est pourquoi une unité de mesure, «l'hectare global» (hectare d'espace biologiquement productif, avec une productivité mondiale moyenne), a été inventée. Elle s'appuie sur le rendement agricole de chaque surface: plus une surface peut produire de ressources, plus elle compte d'hectares globaux.

Les milliers de données exploitées par la Global Footprint Network (issues de l’ONU, l’Agence internationale de l’énergie, le département des statistiques des Nations unies et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sont ainsi converties en hectares globaux, afin de pouvoir calculer la biocapacité globale de la planète.

Un résultat incertain, juge Léo Hickman, chef de WWF au Royaume-Uni, et auteur de l'article du Guardian:

«Le concept d'hectare global est utilisé en référence depuis de nombreuses années et est calculé à partir d'une grande variété de jeux de données, mais je pense qu'il est préférable de le voir comme un indicateur utile plutôt que comme un chiffre absolu.»

Le casse-tête de l'empreinte écologique

Le calcul de l'empreinte écologique est lui aussi un casse-tête. Le site New Scientist est catégorique:

«Nous ne pouvons pas calculer notre empreinte écologique.»

D'abord, selon l'échelle étudiée (locale, nationale, internationale), les données disponibles ne sont pas les mêmes et les modes de calcul changent également. Les facteurs pouvant être pris en compte sont multiples (consommation du pays, importations, exportations, cycles de vie des produits...). Cette étude de faisabilité menée en 2012 indique qu'il existe plus de cent méthodes à l'échelle des localités, avec chacune leurs avantages et leurs inconvénients. Les entreprises, elles aussi, ont bien du mal à s'y retrouver dans ces myriades de méthodes.

Le problème n'est pas le manque de ressources...

Le Breakthrough Institute, institut environnemental indépendant dirigé par Michael Shellenberger –personnage aussi loué que critiqué–, est plus catégorique: il considère que les mesures du «Jour du Dépassement» sont «si trompeuses qu'elles ne devraient pas pouvoir être publiées dans un contexte scientifique sérieux».

Laissons tomber l'empreinte écologique et commençons à mesurer directement notre empreinte carbone

Michael Shellenberger, directeur du Breakthrough Institute

D'abord, pour lui, l'empreinte écologique calculée au niveau des terres cultivées, des zones de pêches ou des forêts (pour le bois) est «ridiculement banale»: elle indique que la demande est dans l'ensemble égale voire inférieure à la quantité de ressources utilisées:

«Naturellement, nous ne pouvons pas consommer plus de cultures que ce que nous en cultivons.»

Alors pourquoi l'humanité vit-elle «à crédit», endettée? À cause du carbone. Les forêts et les océans ne peuvent pas absorber tout le dioxyde de carbone émis par l'homme. Le problème se situe donc moins dans la régénération des ressources pour nous nourrir que, très largement, dans le nombre de forêts disponibles pour absorber les déchets.

La question est donc mal posée, pour Michael Shellenberger, qui conclut:

«Laissons tomber l'empreinte écologique et commençons à mesurer directement notre empreinte carbone. Et utilisons des mesures plus significatives pour vérifier si notre exploitation des terres, des forêts, des mers, est faite de façon durable.»

En effet, les impacts environnementaux (par exemple la pollution ou l'épuisement de l'eau liés à l'agriculture) ne sont pas pris en compte dans le calcul de l'empreinte écologique.

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